E. Klebs, RE, 2/2, 1896, col. 2086-2092, n° 51 s. v. Atilius ; K.-L. Elvers, Neue Pauly, 2, 1996, col. 212, [I 21] ; Blättler 1945 ; DPRR n° ATIL0703.
Cic., Off., 3, 100 : In senatum uenit, mandata exposuit, sententiam ne diceret, recusauit ; quamdiu iure iurando hostium teneretur, non esse se senatorem.
Il [Régulus] vint au sénat, exposa l’objet de sa mission, refusa d’exprimer officiellement un avis : aussi longtemps qu’il était tenu par le serment prêté à l’ennemi, il n’était plus sénateur (trad. M. Testard, CUF).
Pomponius (libro 37 ad Q. Mucium) D. 49.15.5. 3 = Pomponius, 319 Lenel : Et ideo in Atilio Reguluo, quem Carthaginenses Romam miserunt, responsum est non esse eum postliminio reuersum, quia iurauerat Carthaginem reuersurum et non habuerat animum Romae remanendi.
En conséquence, pour Atilius Regulus, que les Carthaginois envoyèrent à Rome, il fut répondu qu’il ne revenait pas en vertu du postliminium, parce qu’il avait juré de revenir à Carthage et n’avait pas l’intention de rester à Rome.
M. Atilius Regulus, peut-être un neveu de M. Atilius Regulus, consul en 294[1] et donc un petit-fils du consul de 335[2], fut un des grands hommes politiques de la première guerre Punique et notamment le premier romain à commander une armée hors du sol italien. L’histoire de l’expédition en Afrique est bien connue, mêlant récit historique et légende à l’image de la lutte avec le gigantesque serpent[3]. Elle constitue surtout un exemple éclatant des aléas de la Fortune. En effet, après avoir vaincu les Carthaginois, Regulus leur proposa des conditions de paix inacceptables qui provoquèrent une reprise des hostilités et sa défaite finale au cours de laquelle il fut capturé. C’est cet unique épisode qui nous est conservé par Polybe et par Diodore qui arrêtent là leur récit[4]. Regulus aurait ensuite participé à une ambassade carthaginoise à Rome pour négocier un échange de prisonniers au cours de laquelle il aurait parlé contre l’offre punique bien que cela signifiât une exécution quasi-certaine à son retour en Afrique. À son arrivée à Rome, il aurait refusé d’être considéré comme sénateur, et même comme citoyen romain, n’acceptant pas de bénéficier du postliminium. Cet épisode est depuis le XVIIe siècle mis en doute par les historiens qui s’étonnent surtout du silence de Polybe à ce sujet, puis des discordances entre les différents récits[5]. Le débat n’est toujours pas clos entre les tenants de l’authenticité[6] et ceux de l’invention[7]. Quoi qu’il en soit, même si les arguments des premiers nous semblent plus pertinents, que l’anecdote soit authentique ou non n’empêche pas les controverses des auteurs anciens sur le récit de l’arrivée de Regulus à Rome lors de l’ambassade de présenter un certain intérêt.
Regulus vint à Rome lié par un serment et c’est le respect de ce serment qui est la clé de l’exemplum. La fides est la valeur centrale qu’illustre l’anecdote, associée à la pietas envers la patrie, faisant de Regulus un héros romain[8]. Toutes les versions concordent sur le fait que Regulus refusa le bénéfice du postliminium car il se trouvait de par son serment toujours dans la potestas des Carthaginois. Silius Italicus va même jusqu’à le faire refuser de revêtir la toge, de saluer sa famille et de franchir le limen de sa demeure[9]. Au Sénat, il refusa également de retrouver son rang et d’exprimer un avis[10], mais il finit par céder aux demandes pressantes et il parla contre l’échange de prisonniers[11]. Ce refus de retrouver sa dignité est étroitement lié au statut de Regulus provoqué par sa capture, captivité qui perdure en raison du serment. C’est l’avis exprimé en particulier par Cicéron[12] et cette question semble avoir posé un problème de droit, comme en témoigne un passage du Digeste[13]. Ainsi, Regulus ne pouvait bénéficier du postliminium, soit qu’il se le refusa, soit qu’on lui refusa un tel droit. C. Herrmann avança que le comportement de Regulus avait entraîné une modification du droit confirmée par les juristes. Le postliminium ne serait désormais plus automatiquement accordé au passage du limen, mais son octroi dépendrait de la valeur du soldat et de la façon dont il était revenu à Rome[14]. En conséquence, Regulus, bien que revenu à Rome, ne pouvait retrouver ni sa dignité, ni même la citoyenneté. L’anecdote pouvait soit être authentique et le cas de Regulus aurait alors suscité un débat à l’époque, soit être un récit étiologique visant à expliquer le durcissement du postliminium au cours de la première guerre Punique.
Ayant incité les sénateurs à refuser l’offre punique, Regulus honora sa promesse et retourna à Carthage où il fut torturé. Ce respect de la parole donnée fit de lui l’exemplum de la fides Romana et effaça l’humiliation de sa capture. Enfin, un dernier argument en faveur de la véracité de l’anecdote pourrait être la belle carrière du fils de Regulus, M. Atilius M. f. M. n. Regulus[15], consul en 227 et suffect en 217, censeur en 214 (à cette occasion il aurait d’ailleurs puni les prisonniers rusés d’Hannibal, ravivant la mémoire de son père[16]).
[1] E. Klebs, RE, 2/2, 1896, col. 2086, n° 50 s. v. Atilius ; K.-L. Elvers, Neue Pauly, 2, 1996, col. 212, [I 20].
[2] E. Klebs, RE, 2/2, 1896, col. 2086, n° 49 s. v. Atilius ; K.-L. Elvers, Neue Pauly, 2, 1996, col. 212, [I 19].
[3] En particulier Liv., Perioch., 18, 1.
[4] Plb., 1, 35 ; D.S., 23, frg. 12 et 24, frg. 16.
[5] Pour une synthèse à ce sujet : Mix 1970, p. 18‑27.
[6] Le plus récent, Le Bohec 1997, avec la bibliographie, reprend les arguments traditionnels. Polybe décide de ne parler plus en avant comme le montre sa phrase de conclusion (« Mais n’en disons pas davantage là-dessus ») et semble suivre Philinos, source favorable aux Carthaginois qui ne connaissaient pas bien les événements survenus à Rome et n’avait aucun intérêt à glorifier un général romain. Il insiste ensuite sur la concordance générale de l’histoire qui ne trouve des divergences que dans des points de détail et conclut en affirmant la banalité de la vengeance privée exercée par la famille de Regulus qui n’aurait pas eu besoin d’être occultée.
[7] En général, l’anecdote est perçue comme visant à étouffer la cruauté de la famille de Regulus qui se vengea de sa mort en suppliciant deux prisonniers carthaginois d’après D.S., 24, frg. 16. C’est l’opinion que défend notamment Walbank 1957, p. 92-94 ou Gaillard 1972. Récemment Gendre et Loutsch 2006, p. 162-163 ont proposé de dater l’invention de cette légende de l’époque de la troisième guerre Punique. Elle répondait, selon eux, à un besoin de la gens Atilia de redorer le blason de leur ancêtre tout en offrant un parallèle intéressant pour les problèmes de Numance et de Mancinus (cf. notice n° 183).
[8] Un autre élément se développa également, celui de la pauvreté de Regulus qui obligea la République à subvenir aux besoins de sa famille afin de le conserver à la tête des armées : Val. Max., 4, 4, 6 ; Front., Strat., 4, 3, 3 ; Vir. Ill., 40, 2.
[9] Sil. It., 6, 392-528 ; voir aussi Hor., Od., 3, 5, 41-52.
[10] Cic., Off., 3, 100.
[11] Liv., Perioch., 18, 7 ; Flor., 1, 18, 23-26 ; Gell., 7, 3, 4 qui cite Tuditanus, la plus ancienne source romaine à parler de cet épisode ; Eutr., 24, 2 – 25, 3 ; Vir. Ill., 40, 2-4 ; Aug., Ep., 125, 3 ; Zonar. 8, 15.
[12] Cic., Off., 3, 100 : quamdiu iure iurando hostium teneretur, non esse se senatorem.
[13] Pomponius D. 49.15.5.3.
[14] Herrmann 1963, p. 170-172.
[15] E. Klebs, RE, 2/2, 1896, col. 2092-2093, n° 52 s. v. Atilius ; K.-L. Elvers, Neue Pauly, 2, 1996, col. 212-213, [I 22].
[16] Cf. notice n° 47.
Blättler 1945 : Blättler P., Studien zur Regulusgeschichte, Fribourg, 1945
Gaillard 1972 : Gaillard J., « Régulus selon Cicéron. Autopsie d’un mythe. », REL, 1972, 50, p. 46-49.
Gendre et Loutsch 2006 : Gendre M. et Loutsch C., « C. Duilius et M. Atilius Regulus », dans Coudry M. et Späth T. (éd.), L’invention des grands hommes de la Rome antique, Paris, 2006, p. 131-172.
Herrmann 1963 : Herrmann C., « Le cas d’Attilius Regulus », Iura, 1963, 14, p. 159-175.
Le Bohec 1997 : Le Bohec Y., « L’honneur de Régulus », AntAfr, 1997, 33, p. 87-93.
Mix 1970 : Mix E. R., Marcus Atilius Regulus, exemplum historicum, La Haye, 1970.
Walbank 1957 : Walbank F. W., A Historical Commentary on Polybius, 1, Commentary on books I-VI, Oxford, 1957.