Infames Romani

Suillius P. f. Caesoninus [2]

Numéro
176
Identité
Catégorie
Procédures judiciaires
Sous catégorie
Condamnés dans un procès indéterminé
Date de l'épisode
48
Références prosopographiques

P. von Rohden et H. Dessau, PIR, 1898, p. 279-280, S 698 ; M. Fluss, RE, 4A/1, 1931, col. 718, n° 2 s. v. Suillius ; W. Eck, Neue Pauly, 11, 2001, col. 1092 [1] ; M. Heil et K. Wachtel, PIR², 7/2, 2006, p. 356, S 967.

Source
Source

Tac., Ann., 11, 36, 4 : Suillio Caesonino et Plautio Laterano mors remittitur, huic ob patrui egregium ; Caesoninus uitiis protectus est, tamquam in illo foedissimo coetu passus muliebra.


Suillius Caesoninus et Plautius Lateranus échappent à la mort, celui-ci grâce au mérite éclatant de son oncle, Caesoninus protégé par ses vices, pour avoir, dans cette ignoble compagnie, joué le rôle de femme (trad. J. Hellegouarc’h, CUF).

Notice
Notice

Suillius Caesoninus est très probablement le fils de P. Suillius Rufus[1], délateur notoire et très influent sous le règne de Claude mais à la carrière mouvementé, et donc le frère de Suillius Nerullinus[2], consul ordinaire en 50[3]. Jeune aristocrate promis à un bel avenir, nous n’avons malheureusement aucune information sur ses éventuels débuts dans la carrière sénatoriale. Son frère étant consul en 50, si l’écart d’âge n’était pas trop important entre eux deux, il est possible qu’il eût profité de l’influence de sa tante, épouse de Caligula[4], et de son père, familier de Claude, au moins pour réussir à entrer au Sénat.


En 47, il fut insulté par Valerius Asiaticus que son père accusait alors. Il insinuait qu’il avait fait preuve de sa virilité aux fils de Suillius Rufus[5]. Ces propos étaient-ils une bravade sans fondement ou bien la révélation d’une réalité embarrassante pour son accusateur ? Il est difficile de trancher et C. A. Williams ne prend pas vraiment parti[6]. Pourtant les événements de l’année 48 éclairent sous un jour intéressant cette injure. Caesoninus fit en effet partie des personnages impliqués dans les débauches de Messaline mais Claude épargna sa vie « pour avoir, dans cette ignoble compagnie, joué le rôle de femme » affirme Tacite[7]. Les paroles d’Asiaticus étaient peut-être fondées. Cependant, si Claude prétexta cette raison pour ne pas faire exécuter Caesoninus, l’influence de son père dut jouer un rôle important, comme dans le cas de Plautius Lateranus[8]. Il est vrai qu’en avouant ses vices, Caesoninus se présentait comme un personnage indigne et incapable d’être une menace[9]. Néanmoins, il nous semble que la protection de son père dut tenir une place au moins aussi importante[10].


Toutefois, s’il garda la vie sauve, il fut très certainement exclu de l’ordre sénatorial comme Lateranus. En outre, le blâme pouvait s’appuyer sur son aveu de muliebra pati qui en faisait un gender deviant, c’est-à-dire un homme qui refusait sa masculinité[11], conduite incompatible avec la uirtus et la dignité sénatoriale[12]. L’insinuation d’Asiaticus n’était peut-être pas le premier scandale auquel était mêlé Caesoninus et il est possible que son genre de vie lui avait attiré une mauvaise réputation dont il se servit pour se protéger lors de la répression des complices de Messaline. Le fait surtout que les commentateurs tirent tous son surnom de sa tante, Milonia Caesonina, demi-sœur de son père et épouse de Caligula, pourrait d’ailleurs en être un indice. Caesoninus n’était peut-être pas un cognomen mais un sobriquet rappelant, par l’association à Caligula, son goût pour les débauches.


Dix ans plus tard, lorsque son père fut banni aux Baléares, Caesoninus n’apparut pas parmi les héritiers qui récupèrent une partie de son patrimoine grâce à la clémence de Néron[13]. Seuls sont mentionnés Nerullinus et une petite-fille de P. Suillius Rufus que l’on suppose être la fille de Caesoninus[14]. On estime généralement soit qu’il était mort entre 48 et 58, soit qu’il était en exil. L’exil nous paraît peu probable pour les mêmes raisons que Lateranus[15]. En revanche, une troisième possibilité peut être envisagée : Caesoninus aurait été déshérité par son père. Afin de ne pas être entaché par le scandale, sa famille avait probablement décidé de rompre toute relation avec Caesoninus. Nous comprendrions alors pourquoi, bien que Valerius Asiaticus eût insulté les deux fils de Rufus, Nerullinus parvint au consulat deux ans après notre épisode. En condamnant ouvertement son frère, en le sacrifiant, il proclamait son attachement aux bonnes mœurs. Rufus lui-même poursuivit sa carrière sans être gêné par cette affaire et obtint le proconsulat d’Asie vers 53-54[16]. Supposer une mort assez jeune de Caesoninus, du moins avant son père, est une explication simple mais qui ne permet pas d’expliquer pourquoi sa famille ne souffrit pas de son implication en 48 et des scandales sur ses mœurs.


En conclusion, Caesoninus menait sans doute une vie dissolue ce qui l’amena à fréquenter le cercle de Messaline. Lors de la féroce répression de 48, l’aveu de ses mœurs et l’influence de son père le sauvèrent de la mort, mais il fut exclu du Sénat et peut-être renié par sa famille. Il eut apparemment une fille qui hérita de son grand-père, Rufus, signe qu’elle-même avait peut-être été éloignée de son père par sa famille afin de préserver son honneur.






[1] M. Fluss, RE, 4A/1, 1931, col. 719-722, n° 4 s. v. Suillius ; W. Eck, Neue Pauly, 11, 2001, col. 1092-1093 [3] et M. Heil et K. Wachtel, PIR², 7/2, 2006, p. 357-358, S 970. Voir aussi Rivière 2002, p. 545-546 n° 69.


[2] M. Fluss, RE, 4A/1, 1931, col. 718-719, n° 3 s. v. Suillius ; W. Eck, Neue Pauly, 11, 2001, col. 1092 [2] et M. Heil et K. Wachtel, PIR², 7/2, 2006, p. 356-357, S 969.


[3] Degrassi 1952, p. 14.


[4] Milonia Caesonia : Plin., nat., 7, 39.


[5] Tac., Ann., 11, 2, 1.


[6] Williams 1999, p. 196-197.


[7] Tac., Ann., 11, 36, 4.


[8] Cf. notice précédente n° 174. Nous renvoyons à cette notice pour étudier la répression réalisée par Claude.


[9] Williams 1999, loc. cit. Sur le mépris envers les homosexuels passifs à Rome, voir Bur 2018, chapitre 17.2.2.4.


[10] Si P. von Rohden et H. Dessau, PIR, 1898, p. 279-280, S 698 mettaient en avant l’influence du père, celle-ci disparaît dans les notices postérieures.


[11] Williams 1999, p. 210-215.


[12] Dupont et Éloi 2001, p. 87-89.


[13] Tac., Ann., 13, 43, 5.


[14] Nipperdey et Andresen 1880, p. 144 ; M. Fluss, RE, 4A/1, 1931, col. 718, n° 2 s. v. Suillius ; Koestermann 1967, p. 321 ; M. Heil et K. Wachtel, PIR², 7/2, 2006, p. 356, S 967.


[15] Cf. notice n° 175.


[16] Tac., Ann., 13, 43, 1. Magie 1950, p. 1421 n. 70 et p. 1582.

Bibliographie
Bibliographie

Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.


Degrassi 1952 : Degrassi A., I Fasti consolari dell’impero romano dal 30 avanti Cristo al 613 dopo Cristo, Rome, 1952.


Dupont et Éloi 2001 : Dupont F. et Éloi T., L’Érotisme masculin dans la Rome antique, Paris, 2001.


Magie 1950 : Magie D., Roman Rule in Asia Minor, Princeton, 1950.


Nipperdey et Andresen 1880 : Nipperdey K. et Andresen G., Cornelius Tacitus, 2, Berlin, 1880.


Rivière 2002 : Rivière Y., Les Délateurs sous l’Empire romain, Rome, 2002.


Williams 1999 : Williams Cr. A., Roman Homosexuality : ideologies of masculinity in classical antiquity, Oxford, 1999.


Clément Bur, Infames Romani n°176, Albi, INU Champollion, Pool Corpus, 2018, mis à jour le