F. Münzer, RE, 2A/2, 1923, col. 1436-1437, n° 79 s. v. Sempronius ; J. Bartels, Neue Pauly, 11, 2001, col. 395, [I 19] ; Zumpt 1871, p. 517 ; Alexander 1990, p. 162, n° 334 ; David 1992, p. 876 ; DPRR n° SEMP2972.
Cic., Fam., 8, 8, 1 (début octobre 51) = Shackleton Bailey, CLF, n° 84 : Etsi de re publica quae tibi scribam habeo, tamen nihil quod magis gauisurum te putem habeo quam hoc : scito C. Sempronium Rufum, mel ac delicias tuas, calumniam maximo plausu tulisse. <Qua> quaeris in causa. M. Tuccium, accusatorem suum, post ludos Romanos reum lege Plotia de ui fecit hoc consilio, quod uidebat, si extraordinarius reus nemo accessisset, sibi hoc anno causam esse dicendam ; dubium porro illi non erat quid futurum esset. Nemini hoc deferre munusculum maluit quam suo accusatori. Itaque sine ullo subscriptore descendit et Tuccium reum fecit. At ego, simul atque audiui, inuocatus ad subsellia rei occurro ; surgo, neque uerbum de re facio, totum Sempronium usque eo perago ut Vestorium quoque interponam et illam fabulam narrem, quem ad modum tibi pro beneficio dederit †si quod iniuriis suis esset ut Vestorius teneret†.
J’ai de quoi t’écrire sur les événements politiques, mais rien qui doive, me semble-t-il te faire plus de plaisir que ceci : C. Sempronius Rufus, oui, Rufus, ton chéri, tes délices, a été reconnu calomniateur, et la sentence a été fort applaudie. Dans quel procès ? me demandes-tu. Il a accusé de violence, en vertu de la loi Plotia, après les Jeux Romains, M. Tuccius son accusateur : c’est qu’il voyait bien que, s’il ne surgissait pas quelque accusé hors rang, il lui faudrait plaider son procès cette année-ci ; or, il n’avait point de doute sur ce qui arriverait. Ce gentil petit cadeau, il aima mieux l’offrir à son accusateur qu’à toute autre personne. C’est pourquoi, sans autre nom que le sien au bas de l’acte d’accusation, il vint au forum et accusa Tuccius. Mais à peine l’eus-je appris que, sans être appelé, je me précipite au banc de l’accusé, je me lève, et je ne dis mot du fond de l’affaire, mais j’attaque Sempronius sans merci, au point de faire intervenir même Vestorius et de raconter cette vieille histoire : comme il prétendit te faire un cadeau en consentant que, †…† , Vestorius le gardât (trad. L.‑A. Constans et J. Bayet, CUF).
C. Sempronius Rufus était un homme politique impliqué dans des affaires maritimes avec M. Tuccius Galeo et Vestorius[1]. Cicéron se fait l’écho des difficultés entre Rufus et ses associés au début de l’année 51 et notamment de sa brouille avec Vestorius[2].
À l’automne de la même année, Rufus, afin d’échapper au procès intenté par M. Tuccius, accusa ce dernier d’après la lex Plotia de ui[3]. Cicéron fait remarquer que Rufus se lança sans subscriptor, signe d’une grande précipitation et, comme le choix d’une accusation de ui lui permettait de faire passer le procès qu’il intentait avant celui qu’il subissait[4], on considère traditionnellement qu’il voulait repousser la date de son procès. Peut-être Sempronius espérait-il obtenir un président plus compatissant l’année suivante ou, hypothèse émise par E. J. Weinrib, attendait-il d’entrer en charge comme magistrat et bénéficier de l’immunité liée à cette charge[5]. Nous ne savons pas sous quel chef d’accusation il était inculpé, mais sa hâte suggère qu’il était convaincu d’être condamné si le procès se tenait immédiatement[6]. Sa manœuvre échoua cependant, en partie à cause de l’intervention de Cicéron auprès de Tuccius, et il fut condamné pour calumnia[7]. Il faut en déduire que M. Tuccius avait été acquitté et qu’il avait saisi l’occasion de poursuivre Rufus pour son accusation mensongère devant les juges qui avaient connu la première affaire[8]. La condamnation pour calomnie prévoyait l’infamie et peut-être une peine pécuniaire[9]. Si Rufus appartenait au Sénat, il en fut vraisemblablement exclu.
Toutefois, nous n’avons aucune raison de supposer qu’il partît en exil. Son patrimoine n’était pas menacé et il semble bien que la condamnation fut proclamée puisqu’elle provoqua, aux dires de Cicéron, des applaudissements[10]. L’argument principal en faveur de l’exil est une lettre de Cicéron de la fin avril 44 où il affirmait qu’après le rappel de Sex. Cloelius, scribe de Clodius exilé en 52 d’après une lex Pompeia de ui[11], viendrait le tour de Rufus[12]. Cependant, dans sa lettre, Cicéron ne parle que de restitutio ce qui convient à tous les condamnés, exilés ou non. Après sa condamnation Rufus resta à Rome, ou du moins en Italie préférant peut-être se retirer à la campagne pour échapper au scandale. Naturellement, il demeura écarté des honneurs et de la vie civique en raison de son infamie.
Si César ne le fit pas bénéficier de la clémence qu’il avait accordée aux victimes des tribunaux pompéiens de 52, Antoine semblait en revanche plus disposé à le restituer. Il avait sans doute les mêmes raisons que César en 49 : recruter des partisans reconnaissants et donc loyaux. Certes, Cicéron ne fait que supposer que Rufus pourrait être restauré, mais, dans une autre lettre, il nous apprend l’existence d’un sénatus-consulte Sempronianus qu’il classe parmi les falsi de l’époque[13]. Le Sénat pourrait avoir décidé, à l’instigation d’Antoine qui s’appuyait soi-disant sur les papiers de César, de restituer Sempronius ou bien de lui confier une mission après sa restitution ou bien Sempronius était le promoteur de la décision, preuve qu’il avait retrouvé son rang. En effet, la correspondance de Cicéron avec Q. Cornificius, gouverneur d’Afrique en 44-42[14], fait état de difficultés à la fin 44 et au printemps 43 avec un Sempronius qui pourrait être notre personnage[15]. Dernier indice, les commentateurs d’Horace parlent d’un Sempronius Rufus qui aurait montré aux Romains comment manger les cigognes et qui est qualifié de praetor chez Acron et de praetorius chez Porphyre[16]. F. Münzer avait déjà montré qu’il s’agissait très probablement de notre personnage et il datait l’épisode des cigognes de 44-43[17]. Il faut en déduire que Sempronius Rufus était prétorien au plus tard en 43[18]. Puisqu’il était exclu de la vie politique de 51 à 44, sa préture remonterait soit avant son procès, donc elle serait antérieure à 51, soit elle suivrait immédiatement sa restitution en 44. Une possibilité est que le sénatus-consulte Sempronianus dont nous venons de parler aurait non seulement restitué Rufus mais lui aurait aussi conféré le rang prétorien ou la préture pour le reste de l’année 44. L’autre solution est qu’en 51, Rufus était un prétorien et on comprendrait alors l’intérêt du public pour son procès avec Tuccius qui, lui, était à peine connu[19]. Cependant, il ne nous paraît pas possible de trancher, d’autant plus que l’identification de notre personnage avec l’inventeur du rôti de cigogne n’est pas sûre.
En conclusion, C. Sempronius Rufus fut condamné de calumnia à la fin de l’année 51 et frappé d’infamie. Humilié à la satisfaction générale, il put quitter Rome un moment pour étouffer le scandale sans s’exiler pour autant. Il obtint peut-être sa restitution d’Antoine peu après la mort de César et il revint au Sénat avec un rang prétorien, qu’il possédait autrefois ou qu’il obtint alors grâce à son nouveau protecteur. Sempronius, qui nous était connu surtout par Cicéron, disparaît de nos sources après la mort de ce dernier en 43, et nous ne lui connaissons aucun descendant.
[1] D’Arms 1980, p. 81.
[2] Cic., Att., 5, 2, 2 ; Fam., 8, 8, 1.
[3] Cic., Fam., 8, 8, 1.
[4] Constans et Bayet 1950, p. 56 n. 9 ; Lintott 1968, p. 122 n. 2.
[5] Weinrib 1971, p. 149 n. 8.
[6] Shackleton Bailey, CLF, 1, n° 84, p. 398.
[7] Cic., Fam., 8, 8, 1.
[8] Mommsen 1907, 2, p. 180-184.
[9] Mommsen 1907, 2, p. 184-185. Cf. Bur 2018, chapitre 12.8.
[10] Cic., Fam., 8, 8, 1 : maximo plausu.
[11] Il avait mis le feu à la curie en faisant le bûcher de Clodius : voir surtout Ascon., p. 36 et 55-56 C.
[12] Cic., Att., 14, 14, 2. Cicéron précise qu’il parle de l’ami de Vestorius ce qui ne laisse aucun doute sur l’identification du Rufus en question.
[13] Cic., Fam., 12, 29, 2.
[14] MRR, 2, p. 327-328 ; 345 et 360-361
[15] Cic., Fam., 12, 22a, 2 et 12, 25, 3 et 5.
[16] Acron et Prophyre sur Hor., Sat., 2, 2, 49-50.
[17] F. Münzer, RE, 2A/2, 1923, col. 1436-1437, n° 79 s. v. Sempronius.
[18]MRR, 2, p. 465 en fait un prétorien en 44.
[19] Gruen 1974, p. 351.
Alexander 1990 : Alexander M. C., Trials in the late Roman Republic, 149 BC to 50 BC, Toronto, 1990.
Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.
Constans et Bayet 1950 : Constans L.-A. et Bayet J., Cicéron. Correspondance, IV, Paris, 1950.
D’Arms 1980 : D’Arms J. H., « Republican Senators’ Involvement in Commerce in the Late Republic : Some Ciceronian Evidence », dans D’Arms J. H. et Kopff E. C., The Seaborne Commerce of Ancient Rome : Studies in Archaeology and History, Rome, 1980, p. 77-89.
David 1992 : David J.-M., Le Patronat judiciaire au dernier siècle de la République romaine, Rome, 1992.
Gruen 1974 : Gruen E. S., The Last Generation of the Roman Republic, Berkeley, 1974.
Lintott 1968 : Lintott A. W., Violence in Republican Rome, Oxford, 1968.
Mommsen 1907 : Mommsen T., Le Droit pénal romain, Paris, 1907 (3 vol.).
Shackleton Bailey, CLF : Shackleton Bailey D. R., Epistulae ad familiares, Cambridge, 1977 (2 vol.).
Zumpt 1871 : Zumpt A. W., Der Criminalprocess der römischen Republik, Leipzig, 1871.