W. Eck, RE, Suppl. 14, 1974, col. 852, n° 28 s. v. Vibius ; Jones B. 1979, p. 120‑121, n° 304 ; Rivière 2002, p. 549-550, n° 75.
Tac., Hist., 4, 41, 2-3 : Probabant religionem patres, periurium arguebant ; eaque uelut censura in Sariolenum Voculam et Nonium Attianum et Cestium Seuerum acerrime incubuit, crebris apud Neronem delationibus famosos. Sariolenum et recens crimen urgebat, quod apud Vitellium molitus eadem foret : nec destitit senatus manus intentare Voculae, donec curia excederet. Ad Paccium Africanum transgressi eum quoque proturbant, tamquam Neroni Scribonios fratres concordia opibusque insignis ad exitium monstrauisset. Africanus neque fateri audebat neque abnuere poterat : in Vibium Crispum, cuius interrogationibus fatigabatur, ultro conuersus, miscendo quae defendere nequibat, societate culpae inuidiam declinauit.
Les sénateurs approuvaient l’honnêteté scrupuleuse, dénonçaient le parjure, et cette espèce de censure s’exerça avec le plus de rigueur contre Sariolenus Vocula, Nonius Attianus et Cestius Severus, décriés pour leurs nombreuses délations auprès de Néron. Sariolenus était aussi sous le coup d’un grief récent : il avait, sous Vitellius, exercé les mêmes pratiques, et le Sénat ne cessa de montrer le poing à Vocula, jusqu’à ce qu’il sortît de la curie. Passant à Paccius Africanus, ils veulent aussi l’expulser, parce que, disaient-ils, il avait dénoncé à Néron, pour leur perte, les frères Scribonii, bien connus pour leur bonne entente et leur richesse. Africanus n’osait pas avouer et ne pouvait nier, mais, se retournant contre Vibius Crispus qui le harcelait de questions, il l’impliqua dans des faits dont il ne pouvait se disculper et, se donnant un complice, il détourna l’hostilité (trad. H. Le Bonniec, CUF).
Tac., Hist., 4, 43, 2 : Quod ubi sensit Marcellus, uelut excedens curia « imus » inquit, « Prisce, et relinquimus tibi senatum tuum : regna praesente Caesare. » sequebatur Vibius Crispus, ambo infensi, uultu diuerso, Marcellus minacibus oculis, Crispus renidens, donec adcursu amicorum retraherentur. Cum glisceret certamen, hinc multi bonique, inde pauci et ualidi pertinacibus odiis tenderent, consumptus per discordiam dies.
Quand Marcellus s’en aperçut, faisant mine de sortir de la curie : « nous partons, Priscus, dit-il, et nous te laissons ton Sénat ; règne en présence de César ». Vibius Crispus le suivait ; tous deux étaient irrités, mais montraient un visage différent : Marcellus avait le regard menaçant, Crispus un sourire sardonique ; finalement leurs amis coururent à eux et les ramenèrent. La querelle s’envenimant, d’un côté les honnêtes gens, qui avaient le nombre, de l’autre une minorité, qui avait l’influence, s’affrontèrent avec une haine opiniâtre, et la journée se passa en disputes (trad. H. Le Bonniec, CUF).
Lors de la fameuse séance du 1er janvier 70, C. Paccius Africanus[1], alors que les sénateurs le forçaient à sortir de la curie, parvint à faire diversion en dénonçant la complicité de Q. Vibius Crispus dans l’affaire des frères Scribonii. Notre personnage fait donc partie des délateurs menacés d’exclusion du Sénat lors de la tentative d’épuration du début du règne de Vespasien[2].
Tacite arrête son récit lorsque Paccius réussit à échapper à l’ire sénatoriale, aussi ne sommes-nous pas bien renseignés sur ce qui advint à Vibius. Originaire de Verceil et sans doute d’origine modeste[3], Q. Vibius Crispus était peut-être né à la fin du règne d’Auguste[4]. Grâce à ses talents rhétoriques, il devint un personnage puissant et très riche[5]. Consul vers 60[6], il occupait depuis 68 la charge de curator aquarum[7]. Contrairement aux Cestius Severus, Nonius Attianus et Sariolenus Vocula[8], ce n’était pas chose aisée de le faire tomber. Plusieurs éléments permettent d’affirmer que, bien que menacé en 70, il ne fut pas exclu du Sénat. Premièrement, sa carrière se poursuivit sans accrocs et il devint proconsul d’Afrique au début des années 70, puis légat d’Auguste propréteur en Tarraconnaise et enfin consul suffect pour la deuxième fois en 74 et la troisième fois en 82 ou 83[9]. Il serait étonnant que les Flaviens aient accordé le proconsulat d’Afrique quelques mois à peine et le consulat quatre ans après avoir toléré l’exclusion du Sénat d’un personnage aussi puissant et aussi décrié. En outre, dans la suite du texte de Tacite, nous voyons Vibius et Marcellus faire semblant d’abandonner la curie pour être aussitôt rappelés par leurs amis (amici) relançant de plus belle les polémiques[10]. Cette comédie laisse entendre que Vibius parvint à soutenir les accusations et, comme Paccius, à éviter les sanctions.
En conclusion, Q. Vibius Crispus ne fut sans doute ni expulsé de la curie, ni exclu du Sénat. Comme C. Paccius Africanus, il était un sénateur important et n’aurait pas fait un bon bouc-émissaire puisque, au contraire, sa condamnation aurait probablement donné le signal à une vague d’épuration que ne souhaitaient pas les Flaviens. Dénoncé et décrié lors de la séance du 1er janvier 70, Vibius continnua à exercer sa charge de curator aquarum, et poursuivit sa carrière sans que cet épisode semble avoir constitué une gêne.
[1] Cf. notice n° 130.
[2] Pour l’ensemble de la procédure, nous renvoyons à la notice de Cestius Severus n° 128.
[3] Tac., Dial., 8, 1 ; Schol. Juv., 4, 81 ; CIL, 5, 6660 et 6590 et 6711.
[4] Rivière 2002, p. 550.
[5] Tac., Or., 8, 1-4 ; H., 2, 10, 1 ; Mart., 4, 54, 7.
[6] Jones B. 1979, p. 120‑121, n° 304 et Rivière 2002, loc. cit. Contra Degrassi 1952, p. 19 qui place le consulat de Vibius au début 68.
[7] Front., Aq., 102.
[8] Cf. notices n° 128, 129 et 131.
[9] Syme 1979-1991, 7, p. 524-530 ; Rivière 2002, loc. cit. Voir Plin., nat., 19, 4. Contra Jones B. 1979, loc. cit qui propose une autre carrière.
[10] Tac., Hist., 4, 43, 2.
Degrassi 1952 : Degrassi A., I Fasti consolari dell’impero romano dal 30 avanti Cristo al 613 dopo Cristo, Rome, 1952.
Jones B. 1979 : Jones B. W., Domitian and the Senatorial Order, Philadelphie, 1979.
Rivière 2002 : Rivière Y., Les Délateurs sous l’Empire romain, Rome, 2002.
Syme 1979-1991 : Syme R., Roman Papers, Oxford, 1979-1991 (7 vol.).