A. Nagl, RE, 1A/1, 1914, col. 1160-1161, n° 8 s. v. Rubellius ; W. Eck, Neue Pauly, 10, 2001, col. 1144, [5] ; K. Wachtel, PIR², 7, 1999, p. 87-88, R 115.
Tac., Ann., 14, 59, 4 : Sed ad senatum litteras misit de caede Sullae Plautique haud confessus, uerum utriusque turbidum ingenium esse et sibi incolumitatem rei publicae magna cura haberi. Decretae eo nomine supplicationes utque Sulla et Plautus senatu mouerentur, grauioribus iam ludibriis quam malis.
Cependant il envoya un message au Sénat, où, sans rien avouer du meurtre de Sulla et de Plautus, il reprochait à l’un et à l’autre leur esprit séditieux et déclarait veiller avec grand soin au salut de l’État. On décréta, à ce titre des supplications, et on décida d’exclure Sulla et Plautus du Sénat – par une dérision encore plus accablante que leurs malheurs (trad. P. Wuilleumier, CUF).
Rubellius Plautus est né vers 33 de C. Rubellius Blandus[1], consul suffect en 18[2], et de Julia l’aînée, fille de Drusus. Par sa mère, il appartenait donc à la famille julio-claudienne alors que son grand-père paternel n’était qu’un chevalier de Tibur[3]. Toutefois son père avait accompli une belle carrière et lui avait transmis un patrimoine conséquent[4] ainsi qu’une clientèle solide[5]. Descendant au même degré d’Auguste que Néron, Plautus pouvait à bien des égards apparaître comme un danger pour le jeune Prince. Dès 55, la menace se faisait sentir lorsque Julia Silana accusa Agrippine de vouloir renverser son fils pour le remplacer par Plautus[6]. Burrus dévoila toute l’affaire mais Néron était désormais bien conscient de l’existence d’un rival gênant. Or, contrairement à Faustus Cornelius Sulla Felix, décrit par nos sources comme un oisif[7], Plautus participait activement au cercle stoïcien traditionaliste de Musonius Rufus[8]. Après le départ de Sulla pour Marseille, Plautus, grâce à sa réputation d’austérité, devint la figure de proue de ce groupe politique regroupant des opposants au Prince et au néronisme[9]. La situation devint périlleuse lorsqu’en 60 le passage d’une comète fut interprété comme l’annonce d’un changement de règne. Aussitôt, Néron prit les devants en conseillant à Plautus de quitter Rome et de rejoindre ses domaines d’Asie pour sa propre sécurité[10]. Deux ans plus tard, Tigellin ranima les peurs de Néron, lui faisant craindre une rébellion de Sulla en Gaule et de Plautus en Asie. Le Prince envoya alors des hommes pour tuer ses rivaux potentiels[11]. Tacite nous dresse un portrait flatteur de la fin de Plautus, qui, averti de la décision de Néron, aurait fait face à son destin avec courage, en bon stoïcien[12]. Une fois assuré de leur mort, le Prince écrivit au Sénat pour dénoncer les comportements séditieux de Sulla et Plautus, sans toutefois mentionner leur disparition. Les sénateurs lui répondirent en votant des supplications et l’exclusion du Sénat des deux personnages[13].
Le cas de Plautus est comparable à celui de Sulla examiné dans la notice précédente. Comme pour Sulla, Néron n’avait fait que conseiller (consulere) à Plautus de se rendre en Asie afin d’apaiser l’agitation à Rome et d’échapper aux rumeurs[14]. Les conseils de Néron pouvaient passer pour des ordres, cependant il ne s’agit pas d’une décision du Prince, condamnation ou décret. Plus loin, Tacite précise de nouveau en parlant de Sulla et de Plautus qu’ils sont amoti et non exilés, relégués ou bannis[15]. Malgré la forte pression du Prince, Plautus était en réalité en Asie de par sa propre volonté, avec l’accord de Néron et du Sénat, et restait sénateur. La procédure est strictement la même que celle de Sulla puisque les deux exclusions eurent lieu en même temps. Les sénateurs votèrent l’exclusion de deux de leurs membres selon une procédure d’auto-épuration qui avait connu son essor à la fin de la République[16]. Le motif d’exclusion avait été fourni par Néron : Plautus était, comme Sulla, un séditieux ourdissant quelque complot visant à renverser l’empereur et menaçant la res publica. L’action de Néron visait à intimider ses opposants au Sénat, puisque le Sénat connaissait sans doute la mort de Sulla et Plautus. Cependant, E. Cizek fait remarquer à juste titre qu’il faut nuancer la figure tragique dépeinte par Tacite et que Plautus était peut-être effectivement impliqué dans certaines intrigues[17].
En conclusion, Rubellius Plautus était un rival potentiel pour Néron, plus sérieux que Sulla car plus impliqué dans la vie politique de son temps. Il fut pour cela d’abord contraint à l’exil et finalement assassiné. Pour cautionner son acte inspiré par la crainte, Néron organisa une véritable mascarade à laquelle se prêtèrent les sénateurs. Feignant d’ignorer la mort de Plautus, ils votèrent son exclusion du Sénat parce qu’il menaçait la res publica par ses ambitions personnelles. Les beaux-parents et la fille de Plautus furent également exécutés sur ordre de Néron[18] et nous n’avons aucune mention d’un éventuel descendant[19].
[1] A. Nagl, RE, 1A/1, 1914, col. 1158-1159, n° 5 s. v. Rubellius ; W. Eck, Neue Pauly, 10, 2001, col. 1144, [3] ; K. Wachtel, PIR², 7, 1999, p. 84-86, R 111.
[2] Degrassi 1952, p. 8.
[3] Tac., Ann., 6, 27, 1 rapporte ainsi que le mariage, conclu en 33, entre Blandus et Julia fit jaser quoique Blandus fût alors déjà consulaire.
[4] En particulier un domaine en Asie (Tac., Ann., 14, 22, 3).
[5] Par exemple en Afrique, où Blandus puis Plautus sont patrons de Mactar comme le montre Picard 1963.
[6] Tac., Ann., 13, 19-20.
[7] Cf. notice n° 126.
[8] Cizek 1972, p. 58 et 67.
[9] Cizek 1972, p. 116 et 129-130 et 1982, p. 55.
[10] Tac., Ann., 14, 22.
[11] Tac., Ann., 14, 57.
[12] Tac., Ann., 14, 58-59.
[13] Tac., Ann., 14, 59, 4.
[14] Tac., Ann., 14, 22, 3.
[15] Cizek 1972, p. 131 parle ainsi d’un « exil presque officiel ».
[16] McAlindon 1956, p. 125 ; Talbert 1984, p. 27. Cf. Bur 2018, chapitre 8.
[17] Cizek 1972, p. 148, en particulier n. 5. Voir aussi Picard 1963, p. 72.
[18] Tac., Ann., 16, 10, 1.
[19] Licordari 1982, p. 45 le présente comme « l’ultimo esponente della gens ad avere contorni storici precisi ».
Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.
Cizek 1972 : Cizek E., L’époque de Néron et ses controverses idéologiques, Leyde, 1972.
Cizek 1982 : Cizek E., Néron, Paris, 1982.
Degrassi 1952 : Degrassi A., I Fasti consolari dell’impero romano dal 30 avanti Cristo al 613 dopo Cristo, Rome, 1952.
Licordari 1982 : Licordari A., « Italia : Regio I (Latium) », dans Epigrafia e ordine senatorio, 2, Rome, 1982, p. 9-57.
Picard 1963 : Picard G.-C., « Rubellius Plautus patron de Mactar », Les Cahiers de Tunisie, 1963, 11, p. 69-74.
Talbert 1984 : Talbert R. J. A., Senate of Imperial Rome, Princeton, 1984.