Cic., de Orat., 2, 260 : Ridicule etiam illud L. [Porcius] Nasica censori Catoni ; quo mille : « Ex tui animi sententia tu uxorem habes ? – Non hercule, inquit, ex mei animi sententia ».
Plaisant aussi est le mot de L. Nasica à Caton le Censeur qui lui avait posé la question : « En ton âme et conscience, es-tu marié ? – Oui, dit-il, mais nullement certes au gré de mon âme » (trad. E. Courbaud, CUF).
Gell., 4, 20, 2-6 : Inter censorum seueritates tria haec exempla in litteris sunt castigatissimae disciplinae. Vnum est huiuscemodi : Censor agebat de uxoribus sollemne iusiurandum ; uerba erant ita concepta : « Vt tu ex animi tui sententia uxorem habes ? » Qui iurabat, cauillator quidam et canicula et nimis ridicularius fuit. Is locum esse sibi ioci dicundi ratus, cum ita, uti mos erat, censor dixisset « ut tu ex animi tui sententia uxorem habes ? », « habeo equidem » inquit « uxorem, sed non hercle ex animi mei sententia ». Tum censor eum, quod intempestiue lasciuisset, in aerarios rettulit causamque hanc ioci scurrilis apud se dicti subscripsit.
Parmi les sévérités des censeurs, voici trois exemples d’une discipline très stricte, relatés par la littérature. Le premier est ainsi. Un censeur faisait prêter le serment habituel sur les épouses. La formule était : « Réponds selon ton âme et cœur, as-tu une femme ? » Celui qui jurait était un plaisantin, mordant et bouffon à l’excès. Croyant avoir trouvé une occasion de faire un bon mot, il répondit au censeur qui lui disait suivant la coutume : « Selon ton âme et ton cœur, as-tu une femme ? – J’en ai une, il est vrai, mais non pas selon mon cœur ». Le censeur le relégua parmi les aerarii pour s’être amusé incongrûment et indiqua pour motif la plaisanterie bouffonne qui lui avait été faite en réponse (trad. R. Marache, CUF).
Les éditeurs de Cicéron et les historiens s’accordent pour considérer que le nom Porcius est une erreur des copistes et que notre personnage ne peut être appelé que L. Nasica, son nomen restant inconnu[1]. Ce personnage nous est connu grâce ou plutôt à cause du bon mot qu’il eut l’audace de dire à Caton qui l’interrogeait en sa qualité de censeur[2]. En effet, il plaisanta sur son mariage alors que le sévère censeur lui posait les questions habituelles liées au regimen morum. Or ce Nasica était qualifié de cauillator et de ridicularius, et nous ne pensons pas que cela vienne de sa réponse. Au contraire, Aulu-Gelle dévoile le caractère du personnage pour éclairer celle-ci. Aulu-Gelle ne connaît pas ou ne se souvient plus du nom qu’il a dû lire chez Cicéron, et le désigne par quidam[3]. Ce faisceau d’indices nous amène à penser que Nasica était vraisemblablement un simple citoyen, n’appartenant ni à l’ordre équestre ni au Sénat, et qu’il fut convoqué par Caton dans le cadre du regimen morum lorsque vint le tour de sa tribu[4].
Caton avait plusieurs raisons de s’intéresser à ce personnage. Nous avons déjà signalé qu’il était un bouffon, c’est-à-dire quelqu’un qui ne maîtrisait pas sa parole et la déconsidérait par des plaisanteries amoindrissant ainsi son autorité et par là son statut de citoyen[5]. En outre, Aulu-Gelle emploie un mot surprenant, celui de canicula qui avait été utilisé par Plaute[6] pour désigner une femme mordante et R. Marache s’étonnait du féminin[7]. Nous pensons que ce terme est essentiel dans le portrait de Nasica dressé par Aulu-Gelle et que les deux autres termes sur son goût des bons mots s’articulent autour de cet aspect central de sa personnalité. Le féminin et la référence à une petite chienne permettent de supposer que Nasica était efféminé, peut-être même était-il un mignon, comme celui qui se serait plaint à L. Quinctius Flamininus de n’avoir pas pu assister à des jeux de gladiateur[8]. L’absence de virilité irait de pair avec cette absence de sérieux, de gravité dans la parole et Caton, alerté d’une façon ou d’une autre à l’égard de ce personnage, aurait décidé de le convoquer devant lui lors de sa censure pour vérifier. Nasica confirma rapidement les soupçons qui pesaient sur lui avec cette réponse à une question liminaire. Caton décida par conséquent de le reléguer parmi les aerarii en avançant le bon mot qui lui avait été rétorqué qui marquait certes l’irrespect de Nasica envers le censeur mais pas seulement[9]. La raillerie révélait très clairement également sa vraie personnalité, celle d’une canicula et d’un cauillator, ce qui était incompatible avec une citoyenneté pleine et entière. Pour ne pas laisser un tel personnage participer à la vie civique, il le dégrada publiquement[10].
Enfin, le silence d’Aulu-Gelle sur le changement de tribu pourrait indiquer que Caton ne le fit pas. Si tel est le cas, cela pourrait être parce qu’il n’y en avait nul besoin car Nasica était un affranchi et appartenait déjà à une tribu urbaine. Le comportement de Nasica pourrait surprendre : oser plaisanter devant Caton alors qu’il avait promis, et menait, une censure austère. Peut-être faut-il y voir une manière de faire front à l’inévitable humiliation à laquelle il s’attendait en raison de son mode de vie – la convocation par les censeurs pouvait déjà l’alarmer. Par son trait d’esprit, il désarmait le public en déclenchant le rire des spectateurs et affaiblissait les reproches qu’on lui faisait. Le caractère incongru et bravache de sa réplique aurait ainsi atténué l’humiliation et provoqua sa conservation.
[1] F. Münzer, RE, 16/2, 1935, col. 1788, n° 1 s. v. Nasica ; Leeman & alii 1989, p. 284. L’hypothèse de Kienast 1954, p. 76, reprise par Suolahti 1963, p. 356 d’en faire un L. Cornelius Scipio Nasica est selon nous beaucoup trop fragile en s’appuyant seulement sur un surnom. Celui-ci pouvait être également répandu au sein de la population civique en dehors des grandes gentes.
[2] Cic., de Orat., 2, 260 nous a conservé cet épisode uniquement comme exemple de plaisanterie tandis que Gell., 4, 20, 2-6 l’utilise comme exemple de sévérité des censeurs. Sur la censure de Caton et Flaccus en 184 : MRR, 1, p. 374-375 et Suolahti 1963, p. 348-358.
[3] Aulu-Gelle avait certainement lu le texte de Cicéron où il aurait pu trouver les noms de L. Nasica et de Caton. En revanche, il doit avoir consulté une autre source, peut-être celle-là même où puisa Cicéron, puisque ce dernier ne précise pas que Nasica fut relégué parmi les aerarii. Cette source donnait vraisemblablement des indications supplémentaires sur le contexte du dialogue et sur les protagonistes.
[4] Sur la procédure du regimen morum voir Bur 2018, chapitre 3.2.
[5] Un parallèle pourrait être établi entre ce comportement et l’indignité qui frappait les praecones et les acteurs. Cf. Bur 2018, chapitre 17.1.3-4.
[6] Plaut., Curc., 598.
[7] Marache 1967, p. 224 n. 1.
[8] Cf. notice n° 7. La répartie pourrait même désigner le regret d’être marié à une femme et non un homme.
[9] Mommsen 1889-1896, 4, p. 56 et à sa suite Kienast 1954, loc. cit. ; Suolahti, loc. cit. ; Astin 1978, p. 83 ; Baltrusch 1989, p. 14 le suivent en attribuant le châtiment uniquement à une conduite irrespectueuse envers les censeurs.
[10] Sur le tribus motus et aerarium facere, voir Bur 2016 et 2018, chapitre 4.4.
Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.
Kienast 1954 : Kienast D., Cato der Zensor : seine Persönlichkeit und seine Zeit, Heidelberg, 1954.
Leeman & alii 1989 : Leeman A. D., Pinkster H. et Rabbie E., De oratore libri III, Heidelberg, 1989.
Marache 1967 : Marache R., Aulu-Gelle. Nuits Attiques, I-IV, Paris, 1967
Suolahti 1963 : Suolahti J., The Roman censors : a study on social structure, Helsinki, 1963.