F. Münzer, RE, 7/1, 1910, col. 317, n° 22 s. v. Furius ; Nicolet 1966-1974, 2, p. 888-890, n° 160 ; Wiseman 1971, p. 233, n° 189 ; DPRR n° FURI1804.
Cic., Rab. Perd., 24 : At C. Decianus, de quo tu saepe commemoras, quia, cum hominem omnibus insignem notis turpitudinis, P. Furium, accusaret summo studio bonorum omnium, queri est ausus in contione de morte Saturnini, condemnatus est.
Mais ce C. Decianus dont tu parles si souvent, lors d’une accusation qu’il intenta contre un homme marqué de toutes les infamies, P. Furius, avec l’ardente sympathie de tous les gens de bien, il osa déplorer dans l’assemblée la mort de Saturninus et c’est pour cette raison qu’il fut condamné (trad. A. Boulanger, CUF).
Val. Max., 8, 1, damn. 2 : C. autem Deciano spectatae integritatis uiro uox sua exitium attulit : nam cum P. Furium inquinatissimae uitae pro rostris accusaret, quia quadam in parte actionis de morte L. Saturnini queri ausus fuerat, nec reum damnauit et insuper ei poenas addictas pependit.
Mais sa voix même mena C. Decianus, homme d’une intégrité reconnue, à sa fin : en effet, alors qu’il accusait des rostres P. Furius pour sa vie très souillée, comme dans une partie de son discours il avait osé se plaindre de la mort de L. Saturninus, il ne fit pas condamner l’accusé et en outre il dut subir la peine qu’il avait réclamée contre lui.
App., BC, 1, 147-148 : ἀναιρεθέντων δὲ τῶν ἀμφὶ τὸν Ἀπουλήιον ἡ μὲν βουλὴ καὶ ὁ δῆμος ἐκεκράγεσαν κατακαλεῖν Μέτελλον, Πούπλιος δὲ Φούριος δήμαρχος, οὐδ’ ἐλευθέρου πατρός, ἀλλ’ ἐξελευθέρου, θρασέως ἐνίστατο αὐτοῖς καὶ οὐδὲ Μετέλλου τοῦ Μετέλλου παιδὸς ἱκετεύοντος αὐτὸν ἐν ὄψει τοῦ δήμου καὶ δακρύοντος καὶ τοῖς ποσὶ προσπίπτοντος ἐνεκλάσθη. Ἀλλ’ ὁ μὲν παῖς ἐκ τῆσδε τῆς ὄψεως Εὐσεβὴς ἐς τὸ ἔπειτα ἐκλήθη, τοῦ δ’ ἐπιόντος ἔτους Φούριον μὲν ἐπὶ τῷδε ἐς δίκην Γάιος Κανουλήιος δήμαρχος ὑπῆγε, καὶ ὁ δῆμος οὐδὲ τοὺς λόγους ὑπομείνας διέσπασε τὸν Φούριον· οὕτως αἰεί τι μύσος ἑκάστου ἔτους ἐπὶ τῆς ἀγορᾶς ἐγίγνετο.
Après l’exécution d’Appuleius et de ses partisans, le Sénat et le peuple réclamèrent à grands cris le rappel de Metellus. Mais le tribun Publius Furius (qui n’était pas même le fils d’un homme libre mais d’un affranchi…) leur fit hardiment obstacle : il ne fléchit même pas quand Metellus, le fils de Metellus, le supplia en versant des larmes, sous les yeux du peuple, et se jeta à ses pieds ! Cette scène valut au fils de Metellus d’être surnommé par la suite le Pieux, tandis que Furius, l’année suivante, se vit intenter un procès à ce sujet par le tribun Caius Canuleius, et que le peuple le mit en pièces sans même le laisser s’exprimer (trad. P. Goukowsky, CUF).
D.C., 28, 95, 2-3 : ὅτι ὁ Φούριος ἔχθραν τῷ Μετέλλῳ οὕτως ἔσχεν ὅτι τὸν ἵππον αὐτοῦ τιμητεύων ἀφείλετο.
Ὅτι Πούπλιον Φούριον γραφέντα ἐφ’ οἷς δημαρχήσας ἐπεποιήκει, ἀπέκτειναν ἐν αὐτῇ τῇ ἐκκλησίᾳ οἱ Ῥωμαῖοι, ἀξιώτατον μέν που ἀπολέσθαι ὄντα (καὶ γὰρ ταραχώδης ἦν, καὶ τῷ Σατουρνίνῳ τῷ τε Γλαυκίᾳ πρῶτον συστὰς μετεβάλετο, καὶ πρὸς τοὺς ἀντιστασιώτας αὐτῶν αὐτομολήσας σφίσι συνεπέθετο), οὐ μέντοι καὶ προσήκοντα τούτῳ τῷ τρόπῳ φθαρῆναι.
Furius entretenait une grande inimité contre Metellus parce que ce dernier, étant censeur, l’avait privé de son cheval.
Publius Furius, en accusation pour les actes qu’il avait commis lors de son tribunat, fut massacré par les Romains en pleine assemblée. Il méritait amplement de mourir, certainement, parce qu’il était un séditieux, qui après s’être d’abord allié à Saturninus et Glaucia avait viré de bord, gagnant la faction adverse, et s’alliant avec eux pour attaquer ses anciens associés ; cependant il n’est pas convenable qu’il périt de cette manière.
P. Furius serait, d’après Appien[1], le fils d’un affranchi. Cependant cela est douteux car il s’agit d’une accusation banale pour dénigrer les populares et ce d’autant plus qu’il était chevalier romain[2]. Lors de la censure de 102[3], Q. Caecilius Metellus Numidicus lui retira son cheval public, sans que son collègue et cousin, Q. Caecilius Metellus Caprarius, s’y opposât, ce qu’il avait fait pour Saturninus et Glaucia[4]. Ce retrait correspondait nécessairement à un blâme puisqu’il fit naître l’inimitié de Furius envers Metellus[5]. L’exclusion de l’ordre équestre ne pouvait se justifier par le plébiscite reddendorum equorum que si Furius était recruté au Sénat, ce qui impliquerait, en raison d’une naissance non noble, une questure au plus tard en 103[6]. Or nous n’avons aucune information dans nos sources permettant de supposer que Furius fût jamais recruté comme sénateur et on comprendrait mal la rancune de Furius si les Metelli l’avaient privé de son cheval parce qu’ils l’avaient choisi comme sénateur. En effet, s’il avait été questeur peu avant 102, il aurait alors été écarté (praeteritus)[7] du Sénat par Metellus puisqu’il pouvait prétendre à un tel honneur et les sources auraient sans doute conservé cet épisode, lié au refus de recruter Saturninus, plutôt que le simple retrait du cheval public. Comme l’écrivait C. Nicolet, ou bien Furius ne fut pas questeur et était simple priuatus lors du recensement, ou bien il gérait la questure en 102, et, n’ayant pas achevé sa magistrature, il ne pouvait pas aspirer à être recruté à la lectio de 102, à la suite de laquelle le plébiscite reddendorum equorum l’aurait obligé à rendre son cheval[8]. La première solution nous semble la plus probable d’après le caractère général de cette anecdote et il faut conclure à un retrait infamant du cheval public par les censeurs de 102.
Les historiens ont immédiatement rapproché ce blâme du jugement sévère de Cicéron, qui le désigne comme homo omnibus insignis notis turpitudinis, pour proposer comme motif une vie immorale[9]. Cicéron émettait ici sans doute plutôt une pique contre un ancien popularis et surtout contre un personnage versatile qui avait empêché le retour d’exil de Numidicus, un des héros des optimates. Une telle accusation était monnaie courante dans le jeu politique et il est difficile d’en déduire la cause de sa dégradation de 102. Rien n’indique non plus que l’exclusion était liée au statut de Furius[10], si tant est qu’il était effectivement fils d’affranchi. En revanche le caractère partisan de l’action de Numidicus est considéré par certains historiens comme manifeste[11]. Furius n’aurait alors pas été épargné par Caprarius sans doute en raison de sa faible notoriété et de son statut équestre[12]. Nous pouvons cependant nous demander en quoi un simple chevalier, peut-être même fils d’affranchi, pouvait être un partisan actif de Saturninus et Glaucia au point que Metellus décida de le sanctionner alors même qu’il n’avait exercé aucune charge. Son élection en 101 révèle que Furius était une personnalité montante, sans doute popularis, que les censeurs optimates tentèrent d’éliminer avant qu’il ne s’élevât davantage. Néanmoins il reste difficile de trancher entre une action purement politique et un blâme moral peut-être incité par le soutien de Furius aux populares. Toujours est-il que la sanction ne fit que rapprocher Furius de Saturninus et Glaucia, voire le jeter dans leurs bras, et susciter sa haine envers le censeur.
L’année suivante, il brigua le tribunat de la plèbe avec le soutien des populares et fut élu pour l’année 100[13]. De cette élection, nous apprenons qu’un simple citoyen privé de son cheval pouvait être élu au tribunat de la plèbe et, si Furius était bien le fils d’un affranchi, que de tels individus pouvaient briguer une magistrature sans enfreindre quelque règle[14]. L’humiliation lors de la dernière recognitio equitum n’avait pas brisé l’image de Furius, sans doute car il avait, dès l’annonce du blâme, affirmé qu’il s’agissait d’une sanction politique et non morale. Toutefois Furius sut changer de camp à temps puisqu’il abandonna Saturninus et Glaucia lorsque les optimates décidèrent de les éliminer[15]. Afin de prouver son retournement, il proposa peu après leur mort une mesure visant à confisquer leurs biens[16]. Quoiqu’il se fût rallié aux optimates, il agit de concert avec Marius pour empêcher le retour d’exil de Numidicus par son veto tribunicien, motivés tous les deux par leur profonde inimitié à son égard[17].
Finalement, ayant suscité l’hostilité des populares qu’il avait trahis et des optimates par son opposition au rappel de Numidicus, il fut accusé l’année suivante, en 99, vraisemblablement par une coalition de deux tribuns appartenant à chacune des deux factions, C. Appuleius Decianus, parent du tribun défunt, et C. Canuleius[18]. Bien qu’il fût tant décrié, il ne fut pourtant pas condamné parce que Decianus avait osé déplorer la mort de Saturninus dans son discours, brisant ainsi la fragile association qui le liait à Canuleius. Cependant, la foule, excitée par les discours des orateurs et haïssant ce personnage d’une obscure origine et dont la carrière symbolisait les malheurs récents, lyncha Furius en pleine assemblée[19].
En conclusion, P. Furius était un chevalier romain, peut-être fils d’affranchi, qui fut privé de son cheval par les censeurs de 102, soit pour indignité soit dans le cadre de la lutte contre les populares. Il réussit néanmoins à manœuvrer en ces temps difficiles pour atteindre le tribunat et échapper à la répression contre les populares qu’il trahit au moment opportun mais fut finalement massacré par la foule. Nous n’avons aucune information sur un éventuel descendant, mais son horrible fin nous fait supposer que s’il avait eu un fils, ce dernier aurait eu beaucoup de mal à faire carrière en se réclamant de l’héritage d’un tel père. Le souvenir de P. Furius semble en effet majoritairement négatif, ce qu’illustrent les jugements de Cicéron, Valère Maxime et Dion Cassius à son égard[20].
[1] App., BC, 1, 147-148.
[2] Treggiari 1969, p. 58 affirme que le père de Furius était affranchi tandis que Nicolet 1966-1974, 2, p. 890 réfute cela.
[3] Sur la censure de Metellus Numidicus et Metellus Caprarius, voir MRR, 1, p. 567 et Suolahti 1963, p. 430‑434.
[4] D.C., 28, 95, 2-3. Cf. notices n° 16 et 17.
[5] Nicolet 1966-1974, 2, p. 889 ; Epstein 1987, p. 78‑79.
[6] Willems 1885, 1, p. 393 suppose cette questure.
[7] Sur la praeteritio, voir Bur 2018 chapitre 4.2.
[8] Nicolet, loc. cit., en particulier n. 6. Voir aussi Bur 2018, chapitre 4.3.2.
[9] Cic., Rab. Perd., 24. Willems 1885, 1, loc. cit. ; Schmähling 1938, p. 140.
[10] Treggiari 1969, p. 64.
[11] Gruen 1968, p. 187 ; Cavaggioni 1998, p. 71.
[12] Ce dernier point nous incite à penser que Furius ne pouvait pas être questeur en 102, sinon Caprarius aurait peut-être reculé aussi et les sources auraient sans doute conservé son statut questorien au moment du blâme.
[13] T. R. S. Broughton, qui datait d’abord son tribunat de 99 dans MRR, 2, p. 2, s’est rangé aux arguments de Gabba 1958, p. 110-111 et de Gruen 1966, p. 32-33 pour le placer finalement en 100 (MRR, 3, p. 22) ce que confirme Badian 1984a, p. 130-133.
[14] Treggiari 1969, p. 58-62.
[15] D.C., 28, 95, 2-3.
[16] Oros., Hist., 5, 17, 10. Gruen 1968, p. 188.
[17] App., BC, 1, 147-148. Epstein 1987, p. 78-79.
[18] Cic., Rab. Perd., 24 ; App., BC, 1, 147-148 ; Val. Max., 8, 1, damn. 2. Voir Badian 1984a, loc. cit. et Alexander 1990, p. 41-42, n° 79 sur le procès.
[19] App., BC, 1, 148 ; D.C., 28, 95, 2-3.
[20] Cic., Rab. Perd., 24 ; Val. Max., 8, 1, damn. 2 ; D.C., 28, 95, 2-3.
Alexander 1990 : Alexander M. C., Trials in the late Roman Republic, 149 BC to 50 BC, Toronto, 1990.
Badian 1984a : Badian E., « The Death of Saturninus », Chiron, 1984, 14, p. 101-147.
Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.
Cavaggioni 1998 : Cavaggioni 1998 : Cavaggioni F., L. Apuleio Saturnino. Tribunus plebis seditiosus, Venise, 1998.
Epstein 1987 : Epstein D. F., Personal Enmity in Roman Politics, Londres, 1987.
Gabba 1958 : Gabba E., Appiani Bellorum civilium liber primus, Florence, 1958
Gruen 1968 : Gruen E. S., Roman Politics and the Criminal Courts, 149-78 B.C., Cambridge (Mass.), 1968.
Nicolet 1966-1974 : Nicolet C., L’Ordre équestre à l’époque républicaine (312-43 av. J.-C.), Paris, 1966-1974 (2 vol.).
Schmähling 1938 : Schmähling E., Die Sittenaufsicht der Censoren, Stuttgart, 1938.
Suolahti 1963 : Suolahti J., The Roman censors : a study on social structure, Helsinki, 1963.
Treggiari 1969 : Treggiari S., Roman Freedmen during the Late Republic, Oxford, 1969.
Willems 1885 : Willems P., Le Sénat de la République romaine, Paris, 1885² (2 vol.).
Wiseman 1971 : Wiseman T. P., New Men in the Roman Senate, Londres, 1971.