Infames Romani

C. Sempronius Ti. f. P. n. Gracchus [47]

Numéro
62
Identité
Catégorie
Procédures censoriales
Sous catégorie
Retrait du cheval public
Date de l'épisode
-124
Références prosopographiques

F. Münzer, RE, 2A/2, 1923, col. 1375-1400, n° 47 s. v. Sempronius ; K. Bringmann, Neue Pauly, 11, 2001, col. 388-391, [I 11] ; Niccolini 1934, p. 158-164 et p. 164-171 ; DPRR n° SEMP1598.

Source
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C. Sempronius Gracchus, Apud censores cum ex Sardinia rediit, frg. 24 Malcovati (ap. Cic., Orat., 233) : Age sume de Gracchi apud censores illud : « abesse non potest quin eiusdem hominis sit probos improbare qui improbos probet » : quanto aptius, si ita dixisset : « quin eiusdem hominis sit qui improbos probet probos improbare » !


Prends donc du discours de Gracchus devant les censeurs : Abesse non potest quin eiusdem hominis sit probos improbare qui improbos probet ; combien ce serait plus lié s’il avait dit quin eiusdem hominis sit qui improbos probet probos improbare ! (Trad. A. Yon, CUF).


 


C. Sempronius Gracchus, Apud censores cum ex Sardinia rediit, frg. 23 Malcovati (ap. Plut., CG, 2, 7-9) : ὁ δὲ τούτων αὐτῷ προσπεσόντων εὐθὺς ἐξέπλευσε πρὸς ὀργήν, καὶ φανεὶς ἐν Ῥώμῃ παρ’ ἐλπίδας οὐ μόνον ὑπὸ τῶν ἐχθρῶν αἰτίαν εἶχεν, ἀλλὰ καὶ τοῖς πολλοῖς ἀλλόκοτον ἐδόκει τὸ ταμίαν ὄντα προαποστῆναι τοῦ ἄρχοντος. Οὐ μὴν ἀλλὰ κατηγορίας αὐτῷ γενομένης ἐπὶ τῶν τιμητῶν, αἰτησάμενος λόγον οὕτω μετέστησε τὰς γνώμας τῶν ἀκουσάντων, ὡς ἀπελθεῖν ἠδικῆσθαι τὰ μέγιστα δόξας. Ἐστρατεῦσθαι μὲν γὰρ ἔφη δώδεκα ἔτη, τῶν ἄλλων δέκα στρατευομένων ἐν ἀνάγκαις, ταμιεύων δὲ τῷ στρατηγῷ παραμεμενηκέναι τριετίαν, τοῦ νόμου μετ’ ἐνιαυτὸν ἐπανελθεῖν διδόντος· μόνος δὲ τῶν στρατευσαμένων πλῆρες τὸ βαλλάντιον ἐξενηνοχὼς κενὸν εἰσενηνοχέναι, τοὺς δ’ ἄλλους ἐκπιόντας ὃν εἰσήνεγκαν οἶνον, ἀργυρίου καὶ χρυσίου μεστοὺς δεῦρο τοὺς ἀμφορεῖς ἥκειν κομίζοντας.


Mais, aussitôt que Caius eut appris cette décision, il s’embarqua sous le coup de la colère. Lorsqu’on le vit arriver à Rome contre toute attente, non seulement il fut mis en accusation par ses ennemis, mais le peuple lui-même trouva étrange qu’étant questeur, il eût abandonné son chef. Traduit pour ce motif devant les censeurs, il demanda la parole et changea si bien les dispositions des auditeurs que, lorsqu’il se retira, ils étaient convaincus qu’il avait été victime d’une grande injustice. Il dit qu’il avait servi douze ans, alors que les autres s’en tenaient aux dix années obligatoires, qu’étant questeur, il était resté trois ans auprès de son général, alors que la loi l’autorisait à revenir au bout d’un an, que, seul de toute l’armée, il avait rapporté vide une bourse qu’il avait emportée pleine, tandis que les autres, après avoir bu le vin qu’ils avaient apporté dans des amphores, étaient revenus à Rome avec ces amphores pleines d’argent et d’or (trad. R. Flacelière et É. Chambry, CUF).


 


C. Sempronius Gracchus, Ad populum cum ex Sardinia rediit, frg. 26-28 Malcovati (ap. Gell., 15, 12) : Locus ex oratione Gracchi de parsimoni ac de pudicitia sua memoratissimus.


C. Gracchus, cum ex Sardinia rediit, orationem ad populum in contione habuit. Ea uerba haec sunt : « Versatus sum » inquit « in prouincia, quomodo ex usu uestro existimabam esse, non quomodo ambitioni meae conducere arbitrabar. Nulla apud me fuit popina, neque pueri eximia facie stabant, sed in conuiuio liberi uestri modestius erant quam apud principia ». Post deinde haec dicit : « Ita uersatus sum in prouincia, uti nemo posset uere dicere assem aut eo plus in muneribus me accepisse aut mea opera quemquam sumptum fecisse. Biennium fui in prouincia ; si ulla meretrix domum meam introiuit aut cuiusquam seruulus propter me sollicitatus est, omnium nationum postremissimum nequissimumque existimatote. Cum a seruis eorum tam caste me habuerim, inde poteritis considerare, quomodo me putetis cum liberis uestris uixisse ». Atque ibi ex interuallo : « Itaque, » inquit « Quirites, cum Romam profectus sum, zonas, quas plenas argenti extuli, eas ex prouincia inanes retuli ; alii uini amphoras quas plenas tulerunt, eas argento repletas domum reportauerunt ».


Passage très célèbre d’un discours de Gracchus sur son économie et ses bonnes mœurs.


C. Gracchus quand il revint de Sardaigne tint un discours au peuple en réunion. En voici les termes : « Je me suis comporté dans la province, dit-il, comme je jugeais qu’il était de votre intérêt et non comme je pensais qu’il convenait à mon ambition. Il n’y avait pas chez moi de beuverie, il ne s’y tenait pas de jeunes garçons à la beauté exceptionnelle mais vos enfants étaient traités au banquet avec plus de réserve que dans la tente de leur général ». Ensuite il ajoute ceci : « Je me suis comporté dans la province en sorte que personne ne pût dire sans mentir que j’ai reçu un as ou plus dans mes charges ni que quelqu’un a fait une dépense à cause de moi. J’ai été deux ans dans la province ; si une courtisane est entrée dans ma maison ou si on a cherché à séduire le petit esclave de qui que ce soit pour mon compte, jugez-moi le dernier et le plus débauché de toutes les espèces d’homme. Alors que je me suis abstenu si chastement de leurs esclaves, vous pourrez en conclure de quelle manière penser que j’ai vécu avec vos enfants ». Et après un intervalle : « Dans ces conditions, Quirites, dit-il, quand je suis parti pour Rome j’ai ramené vides de la province les ceintures que j’avais pleines d’argent au départ ; alors que d’autres ont rapporté chez eux remplies d’argent les amphores qu’ils avaient emportées pleines de vin » (trad. R. Marache, CUF).


 


C. Sempronius Gracchus, Apud censores cum ex Sardinia rediit, frg. 25 Malcovati (ap. Char., p. 101, 1) : galeros Vergilius masculino genere dixit – sed C. Gracchus apud censores « cum galeare ursici » dixit.


Virgile dit galeros au genre masculin mais C. Gracchus dit devant les censeurs « cum galeare ursici ».

Notice
Notice

C. Sempronius Gracchus, né en 154, est le fils cadet de Ti. Sempronius Gracchus et le frère du tribun du même nom. L’épisode qui nous intéresse se situant avant son tribunat, nous n’exposerons pas les nombreux débats sur celui-ci. Rappelons simplement qu’en 133 Caius avait pris part activement aux réformes engagées par son frère et avait été élu comme triumvir agraire malgré son jeune âge[1]. Il devint questeur en 126 et partit servir sous les ordres du consul L. Aurelius Orestes en Sardaigne[2]. Les témoignages de Plutarque et d’Aulu-Gelle indiquent qu’il y resta jusqu’en 124[3]. En effet, le Sénat, désireux de maintenir éloigné le frère du tribun de 133 qui manifestait les mêmes idées, prorogea Orestes mais en apprenant la nouvelle Caius quitta sa province et revint à Rome[4]. Si d’après Diodore le peuple l’accueillit dans une grande liesse, Plutarque insiste, lui, sur les attaques qu’il subit à son retour[5]. On lui reprochait d’avoir abandonné son général en quittant contre l’avis du Sénat sa province[6]. Plutarque est le seul à préciser qu’il eut à se défendre devant les censeurs et rapporte quelques arguments tirés du discours qu’il prononça alors[7]. Le discours était déjà connu de Cicéron qui le désignait comme apud censores. Charisianus le nomme de la même manière lorsqu’il en cite un extrait[8]. Le discours de C. Gracchus devant les censeurs est donc bien attesté mais son occasion reste obscure.


Plutarque indique que Caius fut mis en accusation devant les censeurs (κατηγορίας αὐτῷ γενομένς ἐπὶ τῶν τιμητῶν) sans préciser les circonstances. Trois possibilités s’offrent à nous : la lectio senatus puisque C. Gracchus était un ancien questeur ; la recognitio equitum ; le regimen morum des simples citoyen. La révision de l’album sénatorial était traditionnellement la première tâche des censeurs et ceux-ci étaient entrés en fonction en 125[9]. L’épisode se situant en 124, il ne peut donc pas s’inscrire dans le cadre de la lectio senatus[10]. Cela s’accorde avec le fait que la lectio senatus ne comportait aucun entretien individuel entre les censeurs et les sénateurs, mais que ceux-ci comparaissaient soit durant la revue des chevaliers, s’ils possédaient le cheval public, soit durant les opérations de recensement du reste de la population[11]. Restent donc ces deux options : soit Gracchus fut interrogé lorsque les censeurs l’examinèrent comme chevalier, soit il fut convoqué au titre du regimen morum. En 124, les opérations étaient sans doute déjà bien avancées et la grande majorité des citoyens devait avoir été recensée. Toutefois rien n’interdit de penser que la tribu de Caius était l’une des dernières à passer, à moins qu’il n’eût mis à profit son retour anticipé pour venir faire sa déclaration lui-même et éviter qu’un représentant ne l’accomplît[12]. Il est donc possible que Caius ait été simplement interrogé par les censeurs alors qu’il venait se faire recenser en qualité de chevalier et que les magistrats lui demandèrent de rendre compte de sa conduite récente[13]. Cependant, si cette hypothèse est envisageable, elle ne nous semble en accord ni avec la tonalité du passage de Plutarque ni avec la vigueur de la défense de Caius[14]. Une convocation à titre exceptionnelle dans le cadre du regimen morum nous paraît bien plus probable et conviendrait mieux à l’expression utilisée par Plutarque de mise en accusation[15]. Les censeurs, lorsqu’ils virent Caius revenir trop tôt de sa province, conscients du scandale que cela provoquait, et peut-être afin de satisfaire la partie du Sénat qui voulait discréditer le jeune frère du tribun de 133, le firent comparaître devant eux. Cependant leur tentative pour lui infliger un blâme, probablement le retrait du cheval public, échoua en raison du talent oratoire du jeune homme.


D’ailleurs, le discours n’est pas exempt de difficultés. En effet, ce dernier est, nous l’avons vu, désigné comme apud censores par Cicéron, Plutarque et Charisianus. Or Aulu-Gelle rapporte l’existence d’un discours de parsimoni ac de pudicitia sua qui aurait été apud populum in contione[16]. Le problème vient du fait que le dernier extrait donné par Aulu-Gelle est le même que l’un de ceux de Plutarque. Aussi les historiens hésitent-ils entre plusieurs solutions. H. Meyer supposait qu’il fallait identifier les deux discours en un seul discours apud censores in contione ad populum mais cela a été réfuté comme peu vraisemblable par P. Fraccaro[17]. La meilleure solution est sans doute celle de D. Stockton qui supposait une confusion de Plutarque sur l’origine de ce dernier extrait[18]. Ainsi C. Gracchus aurait prononcé deux discours, l’un devant les censeurs pour échapper à la dégradation sur laquelle pouvait déboucher sa convocation, l’autre devant le peuple alors qu’il avait été accusé par ses ennemis ainsi que l’indiquait Plutarque[19]. Dans ce second discours, il insista sur sa moralité qui avait été mise à mal par la comparution devant les censeurs et qui avait besoin d’être réaffirmée[20].


En conclusion, en 124, les adversaires des Gracques tentèrent de discréditer le jeune C. Gracchus qui briguait le tribunat en saisissant le prétexte offert par son retour prématuré. Ils soulevèrent contre lui l’accusation d’avoir abandonné son poste et réussirent à convaincre les censeurs, soit des alliés, soit des magistrats scrupuleux, de convoquer le jeune homme pour qu’il réponde de ses actes dans le cadre du regimen morum. Cependant C. Gracchus parvint à s’en sortir indemne et même à retourner les accusations grâce à son éloquence. Il put ainsi être élu tribun pour 123 et mena les réformes que l’on sait.






[1] MRR, 1, p 495.


[2] MRR, 1, p. 508.


[3] Gell., 15, 12, 3 parle d’un biennium et Plut., CG, 2, 9 de trois ans, durée incluant sans doute l’année de départ selon le comput habituel.


[4] Plut., CG, 2, 6-7


[5] D.S., 34, 24 et Plut., CG, 2, 7.


[6] Mommsen 1889-1896, 4, p. 56 n. 7 classe la faute de Gracchus parmi les « abus d’imperium », dans la rubrique des abandons de poste.


[7] Plut., CG, 2, 7-9 = C. Sempronius Gracchus, Apud censores cum ex Sardinia rediit, frg. 23 Malcovati.


[8] Cic., Orat., 233 et Char., p. 101, 1 qui correspondent à C. Sempronius Gracchus, Apud censores cum ex Sardinia rediit, frg. 24 et 25 Malcovati.


[9] MRR, 1, p. 510 et Suolahti 1963, p. 410-413.


[10] F. Hinard dans sa note 150 de Goukowsky 2008 suppose même que C. Gracchus venait d’être recruté au Sénat en 125 comme quaestorius.


[11] Cf. Bur 2018, chapitre 3.3.


[12] Sur le fait que les chevaliers étaient examinés au début des opérations concernant leur tribu et sur le droit de se faire représenter durant le census cf. Bur 2018, chapitre 3.1.1.


[13] Hypothèse de Nicolet 1966-1974, 1, p. 107 qui met en avant les questions liées aux campagnes militaires posées par les censeurs.


[14] Contra Malcovati, ORF4, p. 181 qui affirme que les censeurs voulaient priver Gaius de son cheval public.


[15] Sur la convocation cf. Bur 2018, chapitre 3.2.


[16] Gell., 15, 12.


[17] Sur le débat voir Malcovati, ORF4, p. 181.


[18] Stockton 1979, p. 219.


[19] Plut., CG, 2, 7. Il pouvait s’agir d’une mise en accusation par un tribun ou d’une prise de parole dans une contio réunie par un allié de Gaius pour répondre aux attaques de ses ennemis.


[20] Gell., 15, 12, 2-3.

Bibliographie
Bibliographie

Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.


Goukowsky 2008 : Goukowsky P., Appien. Histoire romaine, 13, Guerres civiles, 1, Paris, 2008.


Malcovati, ORF4 : Malcovati H., Oratorum Romanorum fragmenta Liberae rei publicae, I, Textus, Turin, 19534.


Mommsen 1889-1896 : Mommsen T., Le Droit public romain, Paris, 1889-1896 (8 vol.).


Niccolini 1934 : Niccolini G., I Fasti dei tribuni della plebe, Milan, 1934.


Nicolet 1966-1974 : Nicolet C., L’Ordre équestre à l’époque républicaine (312-43 av. J.-C.), Paris, 1966-1974 (2 vol.).


Stockton 1979 : Stockton D., The Gracchi, Oxford, 1979.


Clément Bur, Infames Romani n°62, Albi, INU Champollion, Pool Corpus, 2018, mis à jour le