Préjean, Alice

Les rapports d'inspection soulignent du début à la fin de sa carrière la grande précision des cours d’Alice Préjean et le recours constant aux expériences. On insiste particulièrement sur le soin qu'elle déploie à entretenir le cabinet de Physique. On reconnaît d'ailleurs son écriture dans l'un des registres d'inventaires des instruments scientifiques conservés au lycée Saint-Sernin. Plusieurs des instruments anciens toujours présents au lycée ont été commandés par elle.

Divers éléments issus des rapports d’inspection contenus dans son dossier professionnel aux Archives nationales :

Rapport d'un Inspecteur général en mars 1898 : « Chose rare chez ses collègues, Mlle Préjean ne recule pas devant les expériences et donne beaucoup de soin à la partie expérimentale de son enseignement. Le cabinet de Physique est très bien tenu ».

Mai 1899 : « Mlle Préjean jouit à Toulouse d'une excellente réputation ; ses leçons sont accompagnées d'expériences nombreuses, bien faites et bien interprétée ».

Mai 1900 : « Les résultats obtenus sont excellents ; ses élèves s'intéressent à l'enseignement et savent vraiment de la physique ».

Cependant, les manipulations de Physique-Chimie deviennent obligatoires à la fin des années 1920. Si Alice Préjean a recours systématiquement aux expériences, elle semble plus douée pour les réaliser que pour les faire réaliser par ses élèves, alors que les programmes le demandent de plus en plus, notamment à la fin des années 1920 avec la création de cours de travaux pratiques.

Les rapports d’inspection se font de plus en plus sévères à son égard et souligne tant sa valeur scientifique que la contre-productivité pédagogique de son exigence jugée excessive. Plusieurs observations donnent à voir un professeur intransigeant tant avec ses élèves qu'avec ses collègues et notamment la direction (plusieurs litiges surgissent au sujet de commandes d'instrument de Physique).

1921, un Inspecteur d’Académie : « Professeur remarquable, mais d'une exigence telle qu'elle fait oublier parfois toutes ses qualités. On l'estime, on la respecte, mais on la redoute et on ne l'aime pas ».

1922, la directrice du lycée, Madame Gonnet : « une exigence perpétuelle pour l'organisation de ses expériences, discipline qui provoque une peur maladive, notation d'une incompréhensible sévérité ».

1923, un Inspecteur général : « Mlle Préjean a fait une leçon extrêmement riche de faits qui se rapportent à un petit nombre d'idées très simples ; des expériences intéressantes en ont illustré toutes les parties. Pendant une heure, elle a parlé sans interruption, avec une rapidité déconcertante (…). Les élèves sont passives (...) ».

1926, un Inspecteur général : « Elle demande un gros effort aux élèves de cette classe et je ne crois pas avoir vu encore l'équivalent au niveau correspondant des lycées de garçons où j'inspecte les professeurs de Physique ».« La grande valeur de Mlle Préjean, la peine qu'elle se donne n'auront pas produit, du point de vue scientifique, tous les résultats qu'elle s’imagine ».

1927, un Inspecteur général : « des expériences très nombreuses et d'une présentation impeccable ; les élèves sont invitées à voir, à comparer, à raisonner, à construire ; un travail des plus profitables (…). J'ai rarement rencontré un professeur faisant aussi bien. Quel dommage qu'une sévérité bien inutile éloigne d'elle le cœur de ses élèves ».

1930, un Inspecteur général : « J'ai attendu pendant une demi-heure que Mlle Préjean terminât les explications sur la préparation d'une séance de travaux pratiques, consacrée à la sensibilité de la balance. Elle a noyé ses élèves sous un flux de paroles, ne leur faisant grâce d'aucun détail sur les opérations qu'elles devaient accomplir. Ayant perdu l'espoir de voir la classe en action, je suis parti  ». « un tyran intellectuel ».

Témoignage d’une ancienne élève puis collègue d’Alice Préjean, Marthe Privat née Baillaud, elle-même professeure de Sciences.

« Elle était jeune alors, et pleine de charme dans ses bons moments ; il ne pouvait y avoir meilleur professeur qu'elle et les bonnes élèves au moins l'aimaient beaucoup. Nous l'aimions beaucoup mais nous tremblions  ; moi, je tremblais d'autant plus que je l'adorais !

Quand j'étais en sixième – votre taupe ou votre khâgne d'aujourd'hui – j'avais chimie le mercredi après-midi. Je commençais à pleurer – par provision – en entrant, le matin, au lycée, et puis je continuais toute la journée, jusqu'à ce que l'algarade généralement méritée, vint enfin terminer mon attente et sécher mes pleurs.

(Pas toujours méritée : «  Qui peut me rappeler la formule de la glycérine ? Mlle Baillaud ? - CH2OH-CHOH-CH2OH- Vous le savez ? C'est bien par hasard! » Quand on avait pâli toute une veillée sur le mystère de la constitution des alcools et qu'on recevait ce « par hasard » à la figure, c'était charmant.)

Quelques années plus tard, j'avais dans ce même lycée, Mlle Préjean comme collègue. J'étais passée de l'autre côté de la table et je vous assure que je m'efforçais de bien enseigner la chimie – J'aimais toujours autant Mlle Préjean mais je n'en avais plus peur.

Or, peu de jours avant la distribution des prix, elle me chargea de faire l'inventaire du laboratoire. Et il y en avait, des tubes à déplacer ! Et des ballons. Et des cornues ! Et des éprouvettes !... Dans ce remue-ménage, un appareil m'échappe et tombe à terre. C'était un appareil historique dont on parle avec le plus grand respect, que l'on montre aux élèves, mais dont je n'ai jamais vu se servir. Ni à Sèvres, ni au Lycée, l'expérience de Faraday n'a été refaite devant moi.

Quand je l'ai ramassé, il ne paraissait pas cassé… mais... comme le vase où meurt cette verveine... il était inutilisable. Heureusement qu'on ne s'en servait jamais.

Dans d'autres circonstances, j'aurais écrit sur l'inventaire : « Tel appareil – « cassé ». Et bien, toute ma vieille peur m'est revenue et je n'ai jamais osé avouer l'accident à cette chère Mlle Préjean. J'ai dissimulé l'appareil derrière une pile de verreries et je n'ai trouvé qu'un moyen de m'en tirer : j'ai demandé un congé, je me suis mariée et j'ai pris le premier train pour Berck (avec mon mari). Là j'ai respiré.

Et si je vous fais cet aveu aujourd'hui, c'est que quarante-cinq ans ont passé depuis : il y a prescription. Et encore ne vous ai-je pas nommé l'appareil : on ne sait jamais. »