R. Hanslik, RE, 18/3, 1983, col. 97-98, n° 2 s. v. Palfurius ; L. Petersen et K. Wachtel, PIR², 6, 1998, p. 20, P 68 ; Leppin 1992, p. 301-302 ; Caldelli 1993, p. 128, n° 11 ; Rivière 2002, p. 534-535, n° 50.
Suet., Dom., 13, 3 : Sed et Capitolino certamine cunctos ingenti consensu precantis, ut Palfurium Suram restitueret pulsum olim senatu ac tunc de oratoribus coronatum, nullo responso dignatus tacere tantum modo iussit uoce praeconis.
Bien plus, lors du concours capitolin, comme tous les spectateurs ensemble, d’une voix unanime, le suppliaient de restituer Palfurius Sura, exclu autrefois du Sénat, et qui venait d’obtenir la couronne d’éloquence, il se contenta, sans daigner leur répondre, de faire imposer silence par un crieur (trad. H. Ailloud, CUF, modifiée).
Schol. Juv., 4, 53 : Palfurnius Sura, consularis filius, sub Nerone luctatus est < cum uirgine Lacedaemonia in agone >. Post inde a Vespasiano senatu[m] motus transiuit ad stoicam sectam, in qua cum praeualeret et eloquentia et artis poeticae gloria, abusus familiaritate Domitiani acerbissime partes delationis exercuit. Quo interfecto senatu accusante damnatus, cum fuisset inter delatores.
Palfurius Sura, fils d’un consulaire, combattit dans l’arène < avec une jeune lacédémonienne dans un concours > sous Néron. Ensuite, exclu du Sénat par Vespasien, il rejoignit l’école des stoïciens, alors que dans celle-ci, il l’emportait par son éloquence et par la gloire du talent poétique, ayant profité de sa très étroite intimité avec Domitien, il exerça le métier de la délation. [Domitien] ayant été tué, il est accusé par le Sénat, et condamné, puisqu’il avait fait partie des délateurs (trad. Y. Rivière modifiée).
T. Mommsen avait déjà identifié Palfurius Sura, exclu du Sénat puis couronné du prix de l’éloquence dans les concours capitolins, au M. Palfurius Sura d’une inscription[1]. Le scholiaste de Juvénal nous apprend qu’il était fils de consulaire[2], vraisemblablement de P. Palfurius, consul en 56[3]. R. Syme suppose à partir du nom que les Palfurii venaient de Tarraco, en Espagne[4].
Son père étant consul en 56, Palfurius était certainement un jeune homme lorsque le néronisme battait son plein. Il faisait partie des jeunes aristocrates que le Prince cherchait, et parvint, à séduire par sa nouvelle politique. Ainsi, Palfurius participa à un combat de lutte avec une jeune lacédémonienne d’après le scholiaste. Certes, l’exhibition de Palfurius n’appartenait pas aux activités infamantes comme la gladiature ou la comédie puisqu’elle se déroula dans un concours athlétique (in agone), mais le fait qu’un aristocrate romain combatte publiquement avec une jeune femme, même spartiate, put faire scandale[5].
Nous retrouvons Palfurius sous le règne de Vespasien qui, toujours selon le scholiaste, l’exclut du Sénat[6]. Ni Suétone ni le scholiaste ne précisent le motif de l’exclusion. Certains auteurs ont voulu l’expliquer par le spectacle public de lutte sous Néron[7]. Effectivement, la participation à ce concours est la seule information dont nous disposons qui précède l’exclusion et il est tentant de rapprocher les deux, en prêtant au inde du scholiaste un sens causal. Palfurius aurait alors probablement été exclu lors de la censure de Vespasien et de Titus en 73[8]. Suétone, dans son bref résumé de cette censure, parle d’indignissimi qui furent summoti[9]. Or le premier terme pourrait convenir à Palfurius et le second rappelle précisément celui employé par le scholiaste. Cependant, nous avons déjà signalé que si cette exhibition avait sans doute fait jaser, ce qui expliquerait que le scholiaste la rapporte, elle n’était pas pour autant infamante. Un autre motif possible serait la perte du cens sénatorial qui aurait été constatée lors de l’examen annuel de l’ordre[10]. Si Palfurius était exclu pour sa participation au néronisme, alors la date de 73 conviendrait mieux pour son exclusion puisqu’il fallait dès le premier examen condamner un tel comportement. S’il fut exclu pour avoir perdu une partie de sa fortune, l’exclusion peut avoir eu lieu à n’importe quelle date entre 73 et 80.
En revanche, le scholiaste lie sa conversion au stoïcisme à l’exclusion du Sénat. En adoptant cette doctrine philosophique, qui avait alimenté l’opposition au néronisme[11], cherchait-il à proclamer un changement radical de mode de vie[12] ? Ou bien rallia-t-il les cercles stoïciens parce qu’ils constituaient l’un des courants d’opposition à Vespasien à l’image du cercle des Helvidii[13] ? La première hypothèse s’accorderait bien avec une exclusion due au spectacle de lutte tandis que la seconde ferait du refus de Vespasien de renflouer Palfurius l’origine de son ressentiment[14].
Palfurius s’adonna également, apparemment après son exclusion, à l’éloquence, où il excella, et à la poésie. Ces deux disciplines, plus honorables indéniablement que la lutte, pouvaient le mener également à participer à des concours. Effectivement il remporta la palme de l’éloquence lors des jeux Capitolins sous Domitien, donc en 86, 90 ou 94[15]. Une fois sa victoire proclamée, Suétone nous apprend que le peuple unanime réclama à Domitien la restitution au Sénat de Palfurius, mais le Prince ordonna à son praeco d’imposer le silence. L’attitude de Domitien n’implique pas nécessairement un refus : il pouvait être dur et accorder néanmoins ce que le peuple désirait. Notre épisode s’insère dans un chapitre où Suétone rapporte différentes anecdotes illustrant la brutalité de Domitien dans l’exercice du pouvoir, sa façon de se comporter non en princeps mais en dominus. Nous ne pensons pas comme B. W. Jones que Domitien interdit à son héraut de nommer Palfurius vainqueur mais simplement qu’il fit taire la foule qui le sollicitait[16]. En revanche, comme B. W. Jones le signale, il pouvait être ennuyé par cette victoire et l’idée de restituer un personnage aussi ambigu l’embarrassait sans doute[17]. Néanmoins, nous ne pouvons conclure à un refus de Domitien d’autant plus que le scholiaste désignait Palfurius comme un familiaris de ce Prince[18].
L’éloquence de Palfurius n’était pas destinée qu’aux concours puisqu’il est également présenté comme un delator. La pratique de l’art oratoire n’était donc pas qu’un otium mais servit apparemment des buts moins honorables. L’allusion de Juvénal est interprétée par Y. Rivière[19], à juste titre selon nous, comme la preuve que Palfurius faisait partie des delatores fisci. Y. Rivière accepte également l’indication du scholiaste et le classe parmi les délateurs dans les affaires criminelles. Plusieurs questions se posent alors et en premier lieu le moment où Palfurius commença à se livrer à de telles activités. Y. Rivière concluait que les delatores fisci n’appartenaient que très rarement à l’élite de l’empire et considérait que Palfurius était une exception. Cependant, si nous supposons que Palfurius se lança au service du fisc après avoir été exclu du Sénat par Vespasien, cela pourrait ôter la difficulté[20]. Notons que si Palfurius avait été radié de l’ordre sénatorial parce qu’il n’avait plus le cens, il pouvait trouver là un moyen de reconstituer sa fortune. Nous arrivons ainsi au deuxième problème : la délation était-elle compatible avec le stoïcisme ? Cela nous semble difficile et il est possible qu’il y ait eu deux étapes : d’abord la conversion à la doctrine du Portique et, après l’avoir abandonnée, le choix de la délation. Dernier problème : le peuple pouvait-il réclamer la restitution d’un délateur ? Certes les délateurs du fisc n’étaient pas aussi haïs que les délateurs dans les affaires criminelles, mais ils n’étaient pas pour autant appréciés. Toutefois, les délateurs s’en prenaient d’abord aux aristocrates, qui possédaient les gros patrimoines, et le peuple pouvait ne pas tenir rigueur à ces individus qui s’attaquaient aux plus riches. Moins informé que les aristocrates, il pouvait aussi ignorer cet aspect de Palfurius qui les avait éblouis. Acclamé par le peuple, Palfurius s’était distingué par son talent oratoire et Domitien l’avait remarqué. Comme le laisse entendre le scholiaste, le Prince l’utilisa alors comme délateur contre le Sénat peut-être après l’avoir restitué – auquel cas Domitien en imposant le silence au public aurait seulement voulu manifester qu’il décidait seul.
Palfurius fut finalement emporté dans la vague d’épuration qui suivit la chute de Domitien. Le scholiaste de Juvénal rapporte qu’il fut condamné devant le Sénat, indice supplémentaire en faveur de sa restitution par Domitien. La plupart des commentateurs ont voulu l’identifier avec le philosophe Seras dont Dion Cassius nous rapporte la condamnation à mort[21]. Que Dion Cassius le qualifie de philosophe plutôt que d’orateur est surprenant et pourrait justifier la distinction entre le Seras de Dion et notre Sura[22]. Toujours est-il que la condamnation au début du règne de Nerva signa la fin de Palfurius.
En conclusion, M. Palfurius Sura fut un personnage haut en couleurs de la fin du premier siècle. Il fut exclu du Sénat par Vespasien soit lors de sa censure de 73-74 pour avoir combattu comme lutteur dans des concours néroniens, soit parce qu’il avait perdu le cens requis entre 73 et 80. En réaction, Palfurius se convertit au stoïcisme, manifestant par là son changement de vie et peut-être aussi son ressentiment envers le Prince. Il s’adonna également à l’éloquence et la poésie et exerça l’activité de delator fisci, peut-être pour renflouer ses caisses. Vainqueur du concours capitolin d’éloquence, il fut vraisemblablement restitué par Domitien, malgré la superbe de son attitude envers le public, et, devenu familiaris du Prince, utilisé comme délateur contre les opposants sénatoriaux. Cette dernière étape lui valut d’être condamné au début du règne de Nerva.
Nous n’avons aucune information sur d’éventuels descendants.
[1] CIL, 5/2, 8112, 64. Syme 1979-1991, 4, p. 88 n. 76 défend cette hypothèse en s’appuyant sur la rareté du nom, tandis que L. Petersen et K. Wachtel, PIR², 6, 1998, p. 20, P 68 trouvent l’identification douteuse.
[2] Schol. Juv., 4, 53 : consularis filius.
[3] Degrassi 1952, p. 15. Il n’est ni dans la Realencyclopädie, ni dans la Neue Pauly.
[4] Syme 1979-1991, 4, p. 88.
[5] Cf. Bur 2018, chapitre 17.1.2 et 3.
[6] L’exclusion du Sénat, qui avait d’abord été bien attribuée à Vespasien par Lafaye 1883, p. 87 et Gsell 1893, p. 85, fut ensuite considérée comme l’œuvre de Domitien par Leppin 1992, p. 301. Cette interprétation se fonde sur une lecture erronée à notre avis du texte de Suétone dont la traduction d’H. Ailloud, que nous avons modifiée, est un exemple. En effet, Suétone précise qui était Palfurius Sura en lui accolant deux participes, motus et coronatus, mais sans préciser a Domitiano ou un autre équivalent. Certes le Prince couronnait les vainqueurs des jeux capitolins, toutefois rien n’indique que le complément d’agent passé sous silence pour coronatus soit le même pour motus. En outre, une telle interprétation contredit le texte du scholiaste de Juvénal. Aussi la plupart des auteurs contemporains préfèrent-ils revenir à l’interprétation traditionnelle, faisant de Palfurius un sénateur exclu par Vespasien : Galli 1991, p. 88, n° 124 ; Levick 1999, p. 247 ; HArdie 2003, p. 133. Dernièrement Rivière 2002, p. 534-535 a proposé une autre interprétation selon laquelle Palfurius aurait été recruté au Sénat par Vespasien et exclu par Domitien. Cette hypothèse visait à ordonner la carrière de Palfurius et à éliminer l’obstacle apparent d’une double exclusion, par Vespasien puis par Domitien, si l’on associait les textes de Suétone et du scholiaste. Cependant elle est fondée sur un contresens sur le verbe mouere qui signifie « exclure » et non « recruter » (cf. Bur 2018, chapitre 4.1) et, comme nous l’avons montré, le texte de Suétone ne permet pas de conclure que Domitien fût l’auteur de l’exclusion.
[7] Gsell 1893, loc. cit. ; Leppin 1992, loc. cit. ; Levick 1999, loc.cit.
[8] Suet., Vesp., 9, 2. Buttrey 1980, p. 15 et 23 pour les attestations épigraphiques de la censure. Pour la date, Jones B. 1972, p. 128 a montré que Vespasien avait conservé les pouvoirs censoriaux de 73 à sa mort, en 80, et il reste donc tout à fait possible que Palfurius fût exclu entre ces deux dates.
[9] Suet., Vesp., 9, 2.
[10] Mommsen 1889-1896, 5, p. 233 et 7, p. 56-57. Cf. Bur 2018, chapitre 6.2.2.
[11] À l’image de Thrasea, cf. Cizek 1972, p. 129‑130.
[12] Cizek 1972, p. 250.
[13] Cizek 1972, p. 252 et 1983, p. 106 et 141.
[14] Levick 1999, p. 247 signale que Vespasien avait donné à certains sénateurs, jugés dignes de rester dans la curie bien qu’appauvris, de quoi maintenir leur cens.
[15] HArdie 2003, loc. cit.
[16] Jones B. 1992, p. 104.
[17] Jones B. 1992, loc. cit. parle à cette occasion d’un exil de Palfurius sans que nous sachions pourquoi.
[18] Schol. Juv., 4, 53 : abusus familiaritate.
[19] Juv., Sat., 4, 53-55. Rivière, loc. cit.
[20] Levick 1999, p. 247 suppose que Vespasien exclut du Sénat Palfurius aussi parce qu’il était délateur. Nous ne pensons pas que les sources permettent d’arriver à une telle interprétation. La pratique de la délation semble bien plutôt avoir été provoquée par l’exclusion.
[21] D.C., 68, 1, 2. L’identification s’appuie sur la correction de Seras en Souras proposée par Merula bien que non retenue par U. P. Boissevain.
[22] Cizek 1983, p. 106 n. 77 distingue les deux personnages. Contra Rivière, loc. cit. qui suppose un raccourci de Dion Cassius qui aurait confondu la répression collective contre les delatores fisci et le procès intenté à Sura comme délateur dans les affaires criminelles.
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