H. Volkmann, RE, 22/1, 1954, col. 53-54, n° 10 s. v. Popillius ; Nicolet 1966-1974, 2, p. 994-995, n° 290 ; Wiseman 1971, p. 253, n° 338 ; Alexander 1990, p. 93-94, n° 185 ; Nadig 1997, p. 178, n° 31 ; DPRR n° POPI3227.
Cic., Cluent., 98 : Quapropter hoc Bulbi iudicium non plus huic obesse causae debet quam illa quae commemorata sunt ab accusatore duo iudicia P. Popili et Ti. Guttae, qui causam de ambitu dixerunt, qui accusati sunt ab eis qui erant ipsi ambitus condemnati ; quos ego non idcirco esse arbitror in integrum restitutos quod planum fecerint illos ob rem iudicandam pecuniam accepisse sed quod iudicibus probarint, cum in eodem genere in quo ipsi offendissent alios reprendissent, se ad praemia legis uenire oportere. Quapropter neminem dubitare existimo quin illa damnatio ambitus nulla ex parte cum causa Cluenti uestroque iudicio coniuncta esse possit.
Aussi cette condamnation de Bulbus ne doit pas plus nuire à notre cause que les deux autres que l’accusateur a rappelées, celles de P. Popilius et de Ti. Gutta. Ils eurent à se défendre contre une accusation de brigue : or ils furent accusés par des gens qui eux-mêmes avaient été condamnés pour brigue. Si ces derniers ont été réhabilités, ce n’est pas à mon sens pour avoir démontré que les deux autres avaient reçu de l’argent pour le jugement qu’ils avaient à rendre, mais parce qu’ils ont fait admettre des juges que, ayant convaincu les autres des mêmes actions pour lesquelles eux-mêmes ils avaient succombé, ils devaient accéder aux récompenses prévues par la loi. Aussi personne de vous, je suppose, ne doute que cette condamnation pour brigue est sans rapport avec le cas de Cluentius et l’affaire que vous jugez (trad. P. Boyancé, CUF).
Cic., Cluent., 103 : Illud igitur Iunianum per uim factu est, Bulbi et Popili et Guttae contre Cluentium non est.
Donc cette condamnation de Junius a été l’effet de la violence ; celles de Bulbus, Popilius, Gutta sont sans portée contre Cluentius (trad. P. Boyancé, CUF).
Cic., Cluent., 131 : Nam in P. Popilium qui Oppianicum condemnarat subscripsit L. Gellius, quod is pecuniam accepisset quo innocentem condamnaret.
En effet, pour frapper P. Popilius, qui avait condamné Oppianicus, L. Gellius nota qu’il avait reçu de l’argent, afin de condamner un innocent (trad. P. Boyancé, CUF).
Cic., Cluent., 132 : Condemnat Popilium Gellius, iudicat <eum> accepisse a Cluentio pecuniam. Negat hoc Lentulus ; nam Popilium, quod erat libertini filius, in senatum non legit, locum quidem senatorium ludis et cetera ornamenta relinquit et eum omni ignominia liberat. Quod cum facit, iudicat eius sententia gratiis esse Oppianicum condemnatum. Et eundem Popilium postea Lentulus in ambitus iudicio pro testimonio diligentissime laudat. Qua re si neque L. Gelli iudicio stetit Lentulus neque Lentuli existimatione contentus fuit Gellius, et si uterque censor censoris opinione standum non putauit, quid est quam ob rem quisquam nostrum censorias subscriptiones omnis fixas et in perpetuum ratas putet esse oportere ?
Gellius condamne Popilius. Il juge qu’il a reçu de l’argent de Cluentius. Lentulus le nie. En effet, comme Popilius était fils d’affranchi, il ne l’admet pas au Sénat, mais il lui laisse aux jeux sa place de sénateur et ses autres distinctions ; il le lave de toute ignominie. Ce faisant, il juge que par son vote Oppianicus a été condamné sans qu’il y eût vénalité. Et ce même Popilius reçoit ensuite de Lentulus déposant comme témoin dans un procès pour brigue les éloges les plus délicats. C’est pourquoi, s’il est vrai que Lentulus ne s’est pas rangé à la décision de L. Gellius, que Gellius ne s’est point tenu à l’opinion de Lentulus, si chacun des deux censeurs n’a pas pensé qu’il lui fallait rester fidèle à l’avis d’un censeur, pourquoi l’un de nous croirait-il que toutes leurs notes doivent être irrévocables et valables à jamais ? (Trad. P. Boyancé, CUF).
Les principaux éditeurs du Pro Cluentio[1] s’accordent pour nommer notre personnage P. Popilius[2], à la suite d’Ursinus pour le prénom et l’autorité de tous les manuscrits pour le nom[3]. Cette orthographe curieuse a été attribuée à l’origine servile de notre personnage[4]. Son père serait un affranchi de la gens Popillia ce qui aurait entraîné une légère transformation du nom et expliquerait cette forme rare avec un seul « l »[5]. P. Popilius siéga comme juge au procès d’Oppianicus en 74 et fut fortement soupçonné de corruption à cette occasion[6]. Cette fonction révèle qu’il était alors sénateur[7], ce qui est confirmé par le fait qu’à son exclusion de la Curie en 70, les censeurs lui permirent de conserver ses insignia[8]. Ce fils d’affranchi, qui était de façon quasi certaine homo nouus[9], après avoir atteint l’ordre équestre[10], serait parvenu au rang sénatorial vraisemblablement grâce à la faveur de Sylla[11]. Si tel est bien le cas, P. Popilius devait apparaître aux yeux de nombreux Romains comme un parvenu, comme le symbole de la folie de l’époque des guerres civiles[12]. Ainsi les soupçons de corruption qui pesèrent sur lui à l’issue du procès d’Oppianicus trouvèrent-ils un terreau favorable.
En 70, les censeurs Cn. Cornelius Lentulus Clodianus et L. Gellius Publicola menèrent une lectio senatus sévère puisque 64 sénateurs furent exclus dont P. Popilius[13]. Selon P. Willems, ils entreprirent de blâmer les juges réputés corrompus du procès de 74 afin de satisfaire le peuple et de redorer le blason des tribunaux romains[14]. Gellius mit en avant ce motif pour justifier l’exclusion de Popilius mais son collègue le réfuta, bien qu’il acceptât la dégradation. Cicéron nous apprend que Lentulus refusa d’inscrire (non legit) P. Popilius parce qu’il était fils d’affranchi après avoir nié la corruption de celui-ci (negat)[15]. Contrairement à la théorie la plus répandue, nous ne pensons pas que les deux raisons figuraient dans la subscriptio[16] car le soupçon de corruption serait contradictoire avec la conservation des insignia. Il est plus probable que les censeurs trouvèrent un compromis et que leurs débats furent connus du public[17].
En réalité, l’origine servile du père de P. Popilius n’interdisait pas légalement son entrée au Sénat, seul le mépris et le mos, sur lequel veillaient les censeurs, les écartaient généralement des honneurs[18]. Par conséquent, la cause fournie par Lentulus n’était vraisemblablement qu’un prétexte, ou plus précisément une porte de sortie honorable pour un personnage honni du public. Sa carrière incroyable malgré ses origines jointe aux pesants soupçons de corruption avaient dû lui attirer aussi bien des inimitiés au sein de l’aristocratie que l’animosité du peuple. Lentulus réalisait qu’il ne pouvait pas refuser son exclusion sans que cela ne nuise également à sa propre réputation. Aussi est-il probable que, lié à P. Popilius, il allégua une impossibilité statutaire et non une faute qui aurait écorné l’honneur de notre personnage. C’est pourquoi Cicéron précise bien qu’il « ne l’admet pas au Sénat » plutôt que de parler d’exclusion[19], qu’il « nie » la corruption, c’est-à-dire qu’il supprime le délit. Grâce à ce stratagème, Lentulus réussit à éviter à P. Popilius l’humiliation publique (eum omni ignominia liberat) qui constituait une partie essentielle du blâme des censeurs. En outre, il l’autorisa à conserver ses insignia, ce qui est un hapax dans notre catalogue, pour la période républicaine du moins. Tout se passe comme si Lentulus voulait montrer à tous que Popilius était digne du rang sénatorial mais que la sévère coutume l’en écartait. C’est en cela que nous pouvons supposer que Lentulus songeait nécessairement aux intérêts de P. Popilius et qu’il devait être son ami voire son patron. Ce dernier ne pouvait qu’accepter cette retraite avec les honneurs, réintégrant peut-être l’ordre équestre[20], tandis que le peuple se contentait de la fin de son insolente carrière.
Cependant cette exclusion ne marqua pas la fin de ses ennuis puisque Cicéron précise qu’il fut poursuivi et condamné de ambitu peu après[21]. La condamnation n’apparaît dans les motifs de blâme ni de Gellius ni de Lentulus ce qui élimine une date antérieure à l’exclusion du Sénat[22]. Ainsi la date du procès doit être fixée entre 70 et 66, année de la plaidoirie de Cicéron pour Cluentius. Dans ce cas, l’élection pour laquelle P. Popilius fut condamné aurait eu lieu après l’exclusion. On a pensé que P. Popilius cherchait là un moyen de retrouver son siège au Sénat[23]. Pourtant la participation de Lentulus à la défense de P. Popilius s’oppose à cette hypothèse[24]. L’ancien censeur pouvait-il soutenir Popilius dans la reconquête de sa dignité sans affaiblir sa propre opinion et donc sa propre réputation ? L’aide de Lentulus ne pouvait que signifier que P. Popilius respectait l’exclusion dont il avait été frappé et qu’il ne cherchait pas alors à la remettre en cause[25]. En outre, il serait surprenant qu’un tel personnage ait tenté de circonvenir la décision des censeurs en recourant à la décision d’un peuple qui réclamait pourtant quelques années plus tôt sa condamnation pour corruption[26]. F. X. Ryan conclut que l’élection pour laquelle P. Popilius fut accusé de brigue se situait avant son exclusion du Sénat et émet l’hypothèse d’en faire un questeur avant 71[27]. L’accusation aurait été soulevée car P. Popilius constituait une cible facile, affaiblie par ses déboires récents, pour des condamnés de ambitu qui cherchaient à retrouver leur statut[28]. P. Popilius jouissait toujours des insignia sénatoriaux ce qui pouvait paraître insupportable à certains, facilitant la condamnation, et également légitimer la procédure puisque P. Popilius apparaissait presque comme un sénateur. Si la condamnation fut e lege Calpurnia, alors P. Popilius perdit certainement ses insignia[29].
En conclusion, P. Popilius, fils d’affranchi et vraisemblablement sénateur syllanien, fortement soupçonné de corruption lors du procès d’Oppianicus de 74, se vit offrir une porte de sortie honorable par le censeur Lentulus, peut-être son patron ou un proche, pour échapper à l’exclusion ignominieuse du Sénat. Conservant ses insignia, il pouvait espérer jouir d’une retraite respectable, peut-être dans l’ordre équestre, mais il fut poursuivi de ambitu pour une élection antérieure à son exclusion et condamné malgré le témoignage élogieux de Lentulus. P. Popilius disparaît ensuite complètement de nos sources sans que nous n’ayons aucune indication sur une éventuelle descendance.
[1] Clark 1905 ; Grose Hodge 1927 ; Fruechtel 1931 ; Boyancé 1953.
[2] Personne n’a jamais envisagé d’identifier P. Popilius à C. Popilius, sénateur condamné entre 80 et 70 de péculat et de corruption comme juge (Cic., Verr., 1, 39 ; cf. notice n° 167). La différence de prénom s’y oppose mais aussi le fait qu’il n’est jamais question de péculat dans la carrière de notre personnage, ce qui aurait vraisemblablement été invoqué par les censeurs en 70.
[3] Dans Cic., Cluent., 98, la seconde main du Parisinus 14749, appelée Σ, offre la leçon Popilli, mais les éditeurs ont corrigé en Popili en s’appuyant sur l’unanimité des manuscrits pour Cic., Cluent., 131-132, passages où le nom revient à plusieurs reprises.
[4] Cic., Cluent., 132 : libertini filius. Il est préférable de considérer que libertinus désigne ici un affranchi et non un individu à qui Rome a fraîchement accordé la citoyenneté, peut-être à l’occasion de la guerre sociale (cf. Cels Saint-Hilaire 2002) parce que notre personnage était déjà né au moment de la guerre sociale et donc il aurait bénéficié en même temps que son père de l’octroi de la citoyenneté, en faisant un libertinus et non un fils de libertinus.
[5] Nicolet 1966-1974, 2, p. 994.
[6] Cic., Cluent., 131-132.
[7] Willems 1885, 1, p. 187 ; MRR, 2, p. 495 ; Nicolet 1966-1974, 1, p. 585 et 2, p. 994 ; Ryan 1996a, p. 197.
[8] Cic., Cluent., 132.
[9] Wiseman 1971, p. 253 n° 338.
[10] Nicolet 1966-1974, 2, p. 994.
[11] Willems 1885, 1, p. 418 ; Gabba 1951b, p. 269, n° 53 des sénateurs syllaniens « maggiormente securi » ; Nicolet 1966-1974, 2, p. 994 ; Gruen 1974, p. 202 ; Ryan 1996a, loc. cit.
[12] Andreau 1992, p. 243-246 affirmait que les succès d’un affranchi ou d’un fils d’affranchi pouvaient être acceptés à condition de ne pas brûler les étapes, ce que fit apparemment P. Popilius.
[13] MRR, 2, p. 126-127 et Suolahti 1963, p. 458-464. Cf. Liv., Perioch., 98, 2 sur le chiffre de 64 exclus.
[14] Cic., Cluent., 131. Cf. Willems 1885, 1² p. 417-418.
[15] Cic., Cluent., 132.
[16] Zumpt 1871, p. 528 ; A. O’Brien Moore, RE, Suppl. 6, 1935, s. v. Senatus, col. 689 ; Schmähling 1938, p. 151 ; Gruen 1974, p. 529 ; Ryan 1996a, p. 198.
[17] Cic., Cluent., 132 signale ce qui pourrait apparaître comme une querelle entre les deux censeurs. Or nous savons qu’une sanction ne pouvait être décidée que si les deux censeurs étaient d’accord (cf. Bur 2018, chapitre 2.3). Le maintien des insignia n’avait donc peut-être besoin que du veto de Cn. Cornelius Lentulus contre la dégradation totale de L. Gellius Publicola. De cette façon, le motif invoqué par Lentulus pouvait effacer l’accusation de corruption. H. Volkmann, RE, 22/1, 1954, col. 53-54, n° 10 s. v. Popillius au contraire n’attribue l’exclusion qu’au soupçon de corruption.
[18] Treggiari 1969, p. 61-62.
[19] Non legit s’avère moins humiliant parce que la formule gomme l’exclusion, elle rappelle plutôt la procédure de praeterire qui était moins honteuse : cf. Bur 2018, chapitre 4.2 sur la praeteritio.
[20] Nicolet 1966-1974, 1, p. 111 n. 23 et 2, p. 995.
[21] Cic., Cluent., 98 et 131-132 repris par Quint., Inst. Or., 5, 10, 108. Alexander 1990, p. 93-94, n° 185.
[22] Ryan 1996a, p. 198. Gruen 1974, p. 529 supposait déjà une date comprise entre 69 et 66.
[23] H. Volkmann, RE, 22/1, 1954, col. 53-54, n° 10 s. v. Popillius.
[24] Cic., Cluent., 132. Zumpt 1871, loc. cit. ; David 1992, p. 760.
[25] Ryan 1996a, p. 199.
[26] Cic., Cluent., 131.
[27] Ryan 1996a, loc. cit.
[28] Cic., Cluent., 98 et Quint., Inst. Or., 5, 10, 108 précisent que les accusateurs furent in integrum restitutos.
[29] Cf. Bur 2018, chapitre 11.4.
Alexander 1990 : Alexander M. C., Trials in the late Roman Republic, 149 BC to 50 BC, Toronto, 1990.
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