Infames Romani

Ti. Gutta [1]

Numéro
25
Identité
Catégorie
Procédures censoriales
Sous catégorie
Eviction du Sénat
Date de l'épisode
-70
Références prosopographiques

F. Münzer, RE, 7/2, 1912, col. 1952, n° 1 s. v. Gutta ; Wiseman 1971, p. 234, n° 199 ; Alexander 1990, p. 80-81, n° 161 ; Nadig 1997, p. 165-166, n° 21 ; DPRR n° ANON3196.

Source
Source

Cic., Cluent., 98 : Quapropter hoc Bulbi iudicium non plus huic obesse causae debet quam illa quae commemorata sunt ab accusatore duo iudicia P. Popili et Ti. Guttae, qui causam de ambitu dixerunt, qui accusati sunt ab eis qui erant ipsi ambitus condemnati ; quos ego non idcirco esse arbitror in integrum restitutos quod planum fecerint illos ob rem iudicandam pecuniam accepisse sed quod iudicibus probarint, cum in eodem genere in quo ipsi offendissent alios reprendissent, se ad praemia legis uenire oportere.


Aussi cette condamnation de Bulbus ne doit pas plus nuire à notre cause que les deux autres que l’accusateur a rappelées, celles de P. Popilius et de Ti. Gutta. Ils eurent à se défendre contre une accusation de brigue : or ils furent accusés par des gens qui eux-mêmes avaient été condamnés pour brigue. Si ces derniers ont été réhabilités, ce n’est pas à mon sens pour avoir démontré que les deux autres avaient reçu de l’argent pour le jugement qu’ils avaient à rendre, mais parce qu’ils ont fait admettre des juges que, ayant convaincu les autres des mêmes actions pour lesquelles eux-mêmes ils avaient succombé, ils devaient accéder aux récompenses prévues par la loi (trad. P. Boyancé, CUF).


 


Cic., Cluent., 119-120 : Video, igitur, iudices, animaduertisse censores in iudices quosdam illius consili Iuniani, cum istam ipsam causam subscriberent. […] quos autem ipse L. Gellius et Cn. Lentulus, duo censores, clarissimi uiri sapientissimique homines, furti et captarum pecuniarum nomine notauerunt, ei non modo in senatum redierunt sed etiam illarum rerum iudiciis absoluti sunt.


Donc, Juges, je vois que les censeurs ont adressé un blâme à certains juges de ce tribunal de Junius et ils ont dans leurs notes précisément fait état de cette affaire. […] mais ceux que L. Gellius lui-même et que Cn. Lentulus, tous deux censeurs, personnages illustres et très éclairés ont flétris pour vol et pour corruption judiciaire, non seulement sont rentrés dans le Sénat, mais ont été acquittés par des jugements qui visaient précisément ces points-là (trad. P. Boyancé, CUF).


 


Cic., Cluent., 127 : Nam haec quidem quae de iudicio corrupto subscripserint quis est qui ab illis satis cognita et diligenter iudicata arbitretur ? In M’. Aquilium et in Ti. Guttam uideo esse subscriptum. Quid est hoc ? Duos esse corruptos solos pecunia iudicant ; […] Duos solos uideo auctoritate censorum adfinis ei turpitudini iudicari.


De fait pour les notes qu’ils [les censeurs de 70] ont données sur la corruption des juges, quelqu’un croit-il qu’elles aient été suffisamment étudiées, soigneusement pesées par eux ? Je vois qu’elles ont été infligées à M’. Aquilius et Ti. Gutta. Qu’est-ce donc ? C’est décider que deux juges seulement ont été achetés. […] Je n’en vois que deux seulement qui, de l’avis des censeurs, soient mêlés à cette infamie (trad. P. Boyancé, CUF).


 


Cic., Cluent., 130 : Praetermitti ab censoribus et neglegi macula iudiciorum posse non uidebatur. Homines, quos ceteris uitiis atque omni dedecore infamis uidebant, eos hac quoque subscriptione notare uoluerunt, et eo magis quod illo ipso tempore illis censoribus erant iudicia cum equestri ordine communicata, ut uiderentur per hominum idoneorum ignominiam sua auctoritate <rem> reprendisse.


Les censeurs ne pouvaient, semble-t-il, ignorer et traiter par le mépris la honte des tribunaux. À des hommes qu’ils voyaient déjà déshonorés par d’autres vices et par toutes sortes de turpitude ils ont voulu infliger en outre la flétrissure de ces notes. Ils l’ont voulu d’autant plus qu’à ce même moment, sous leur censure, on avait ouvert les tribunaux à l’ordre équestre : ainsi en flétrissant à propos les individus, ils sembleraient avoir de leur autorité condamné l’usage ancien (trad. P. Boyancé, CUF).


 


Quint., Inst. Or., 5, 10, 108 : « Cicero pro Cluentio P. Popilium et Tiberium Guttam dicit non iudicii corrupti sed ambitus esse damnatos ». Quid signi ? Quod accusatores eorum, qui erant ipsi ambitus damnati, e lege sint post hanc uictoriam restituti.


« Cicéron dans le Pro Cluentio, dit que P. Popilius et Tiberius Gutta ont été condamnés non pour s’être laissés corrompre comme juges, mais pour brigue ». La preuve ? Que leurs accusateurs eux-mêmes, qui avaient été condamnés pour brigue, furent réhabilités, conformément à la loi, après avoir eu gain de cause (trad. J. Cousin, CUF).


 


Schol. in Pers., 2, 19 : « Vis Staio ? » Nomen fictum, quomodo supra « Nerio ». Aelius Staius in Iuniano iudicio et consortio sedit, qui pecuniam a reo et accusatore accepit, decepitque utrumque. Erat ergo inter notissimos ciues. Potest igitur Iuppiter uel hoc melior uideri ? An etiam in hoc dubitas, quis possit melior iudex esse, Iuppiter an Staius ? An adhuc dubitas uel Staio praeponere Iouem ? Elige tibi quemuis pessimum, cui ducas anteponendum Iouem animi bonitate. *Staius autem prateor tutelarum fuit, Gutta et Albus et caeteri praepositi fuerunt iudices, qui in Iuniano iudicio corrupti, Oppianicum damnauerunt.*


« Veux-tu à Staius ? » Nom fictif, de la même façon que Nerio ci-dessus. Aelius Staius s’assit dans le tribunal Junien et dans cette association, il reçut de l’argent de l’accusé et de l’accusateur, et il trompa les deux. Il était donc parmi les citoyens les plus connus. Qui semble le meilleur de lui ou de Jupiter ? Est-ce que tu doutes en cela, qu’il puisse y avoir un meilleur juge de Jupiter ou de Staius ? Est-ce que tu doutes toujours de préférer Jupiter à Staius ? Choisis pour toi le pire, à qui Jupiter doit être préféré pour la bonté de l’âme. *Or Staius était le préteur des tutelles, Gutta et Albus et tous les autres furent les juges préposés, qui furent corrompus dans le tribunal Junien, condamnèrent Oppianicus.

Notice
Notice

Ti. Gutta est connu principalement par le Pro Cluentio de Cicéron[1] où il apparaît comme un juge présumé corrompu du procès d’Oppianicus de 74. Nous n’avons aucune indication sur une éventuelle magistrature, mais son appartenance au jury est une preuve de son rang sénatorial[2]. C’est un nom peu courant, porté par trois personnages dans nos sources : notre sénateur, un capouan qui participa à la guerre civile aux côtés des marianistes[3] et un candidat au consulat de 52[4]. F. Münzer, dans sa notice de la Realencyclopädie, refusait l’identification de ces trois personnages, cependant la rareté du nom fit supposer que le capouan marianiste et le sénateur de 74 devaient être parents[5]. Cette rareté laissait aussi entendre qu’il s’agissait d’un homo nouus[6], si bien qu’on a très vite songé à un sénateur syllanien[7].


De si forts soupçons de corruption pesèrent sur les juges du procès d’Oppianicus qu’ils furent vite décriés[8]. Les censeurs de 70[9], lors de leur sévère purge du Sénat, décidèrent de blâmer deux de ces juges, Ti. Gutta et M’. Aquillius[10] afin de répondre aux attentes de l’opinion[11]. Par l’emploi du verbe subscripsere pour décrire l’action des censeurs, Cicéron fait directement allusion à la nota accolée au nom. Cette dernière donnait le motif de la sanction, très probablement une exclusion du Sénat[12]. Cela est confirmé par l’information fournie par Cicéron selon laquelle furti et captarum pecuniarum nomine notauerunt, ei non modo in senatum redierunt[13], ce qui présuppose une exclusion préalable. De ces trois textes, nous apprenons que Ti. Gutta fut exclu du Sénat en 70 parce que les censeurs considéraient qu’il avait été corrompu lorsqu’il avait exercé les fonctions de juge en 74[14].


Cependant Cicéron précise également que Ti. Gutta fut condamné de ambitu, sans donner malheureusement la date[15]. F. X. Ryan a bien démontré que cette condamnation, si elle avait eu lieu avant 70 comme le proposait M. C. Alexander[16], aurait certainement figuré dans la nota des censeurs et Cicéron n’aurait pas manqué d’en parler afin d’alléger le soupçon de corruption et d’affirmer ainsi la culpabilité d’Oppianicus[17]. F. X. Ryan en conclut que Ti. Gutta fut condamné de ambitu entre 69 et 66, soit d’après la lex Cornelia soit d’après la lex Calpurnia. Il déduit ensuite du retour au Sénat attesté par Cicéron que Ti. Gutta brigua une magistrature après la censure, fut élu et revint grâce au ius s. d. au Sénat, avant d’être finalement condamné pour cette campagne[18]. Ce même passage de Cicéron indique également que Ti. Gutta fut acquitté dans un procès pour sa corruption de 74. Il aboutit à la reconstruction suivante : sénateur avant 74, peut-être recruté par Sylla, il fut exclu du Sénat par les censeurs de 70, accusé pour corruption mais acquitté en 70-69, élu à une magistrature en 69 (questure probablement, peut-être la seconde) et condamné à sa sortie de charge en 67‑66, après être revenu au Sénat. S’il fut condamné e lege Calpurnia, alors il perdit de nouveau sa place au Sénat, en revanche s’il le fut e lege Cornelia, il se voyait interdit d’exercer une magistrature pendant dix ans, sans être pour autant exclu du Sénat pendant ce laps de temps[19].


Un Gutta apparaît de nouveau cette fois dans la correspondance de Cicéron comme candidat au consulat de 52 bénéficiant du soutien de Pompée[20]. F. Münzer refusait l’identification (supra) et fut suivi par L.-A. Constans et ensuite par D. R. Shackleton Bailey. Ces deux savants s’étonnaient du revirement de Pompée en faveur d’un inconnu pour une charge aussi importante que le consulat en ces années troubles et proposèrent de faire de Gutta un sobriquet de P. Plautius Hypsaeus ou de Metellus Scipio, concurrents de Milon au consulat[21]. F. X. Ryan proposa néanmoins d’identifier notre sénateur de 74 avec ce candidat en s’appuyant sur la rareté du nom et en attribuant les dix années d’absence de la vie politique justement à la condamnation de Ti. Gutta d’après la loi Cornelia[22]. Interdit d’exercer une magistrature en 67, il aurait revêtu la préture en 56 ou 55 et pourrait ainsi briguer le consulat pour 52. Cependant cette hypothèse est très fragile. Ti. Gutta ne semble pas être un personnage politique important et, s’il avait été condamné pour brigue e lege Cornelia, il aurait disparu pendant dix années de la scène politique. Une telle absence aurait trop fortement terni sa réputation et amoindri ses liens avec les autres aristocrates pour pouvoir relancer sa carrière. Surtout, nous ne voyons pas pourquoi Pompée aurait soudainement décidé de le supporter alors qu’il soutenait auparavant des personnages de plus grande envergure[23]. Nous préférons donc suivre L.-A. Constans et D. R. Shackleton Bailey.


En conclusion, Ti. Gutta était un sénateur, peut-être syllanien, sûrement homo nouus, juge au procès d’Oppianicus en 74 au cours duquel il fut soupçonné de corruption. Exclu du Sénat par les censeurs de 70 pour ce motif, il fut cependant acquitté peu après lors d’un procès pour corruption, puis, en 69, brigua et obtint une magistrature, certainement la questure ou le tribunat. Il fut accusé et condamné de ambitu à sa sortie de charge en 67-66 sans que l’on sache d’après quelle loi et donc s’il fut de nouveau exclu du Sénat. Nous perdons alors sa trace puisqu’il ne peut être identifié avec le candidat au consulat de 52 et que les sources ne nous donnent aucune information sur un éventuel descendant.






[1] Les diverses occurrences du nom n’offrent aucune variation, seul le prénom a subi des corruptions dans les manuscrits ainsi en T. ou Titi ou encore Ti Ti dans Cic., Cluent., 98 ou T. au § 127.


[2] Ainsi MRR, 2, p. 491.


[3] K.-L. Elvers, Neue Pauly, 5, 1998, col. 14, [1] ; Badian 1964, p. 60, n° 7.


[4] K.-L. Elvers, Neue Pauly, 5, 1998, col. 14, [2].


[5] Wiseman 1964, p. 127.


[6] Wiseman 1971, p. 234, n° 199 ; Gruen 1974, p. 202 et 521.


[7] Gabba 1951b, p. 270 le classe parmi les « senatori sillani meno securi » ; Badian 1958, p. 247 ; Nicolet 1966-1974, 1, p. 586.


[8] Cic., Cluent., 71 ; 75 ; 78 ; 103 et 127 ; Ps. Ascon., p. 216 St. pour Ti. Gutta.


[9] Cn. Cornelius Lentulus Clodianus et L. Gellius Publicola : cf. MRR, 2, p. 126-127 et Suolahti 1963, p. 458‑464.


[10] Cic., Cluent., 127 ; Schol. Pers. 2, 19. Cf. notice n° 21.


[11] Willems 1885, 1, p. 417.


[12] Cic., Cluent., 119 ; 120 et 127. Cf. Bur 2018, chapitre 4.5.


[13] Cic., Cluent., 120.


[14] Willems 1885, 1² p. 418.


[15] Cic., Cluent., 98 et 103 ; Quint., Inst. Or., 5, 10, 108.


[16] Alexander 1990, p. 80-81, n° 161


[17] Ryan 1996a, p. 199. Zumpt 1871, p. 528 datait déjà le procès de ambitu de 67.


[18] Ryan 1996a, p. 199-200 à partir de Cic., Cluent., 120.


[19] Cf. Bur 2018, chapitres 11.3-4.


[20] Cic., Q. F., 3, 6, 6 de novembre 54 = Shackleton Bailey, CLQ, n° 26.


[21] Ascon., p. 30 C. Constans 1940, p. 257 préfère identifier Gutta avec Hypsaeus tandis que Shackleton Bailey, CLQ, loc. cit. et 1991, p. 26 reste indécis entre les deux candidats. Il propose également de corriger Gutta en Cotta, ce qui désignerait alors M. Aurelius Cotta, le gouverneur républicain de la Sardaigne de 49, bien que ce dernier ne soit pas attesté comme candidat au consulat de 52.


[22] Ryan 1996a, p. 200.


[23] Les candidats proches de Pompée étaient Q. Caecilius Metellus Pius Scipio Nasica, dont le nom est déjà éloquent : F. Münzer, RE, 3/1, 1897, col. 1224‑1228, n° 99 s. v. Caecilius et MRR, 2, p. 234-235 pour l’élection au consulat ; P. Plautius Hypsaeus, F. Münzer, RE, 21/1, 1951, col. 16-18, n° 23 s. v. Plautius.

Bibliographie
Bibliographie

Alexander 1990 : Alexander M. C., Trials in the late Roman Republic, 149 BC to 50 BC, Toronto, 1990.


Badian 1958 : Badian E., Foreign Clientelae, Oxford, 1958.


Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.


Constans 1940 : Constans L.-A., Cicéron. Correspondance, 3, Paris, 1940.


Gabba 1951b : Gabba E., « Ricerche sull’esercito professionale romano da Mario ad Augusto », Athenaeum, 1951, 29, p. 171-272.


Gruen 1974 : Gruen E. S., The Last Generation of the Roman Republic, Berkeley, 1974.


Nadig 1997 : Nadig P., Ardet ambitus. Untersuchungen zum Phänomen der Wahlbestechungen in der römischen Republik, Francfort, 1997.


Nicolet 1966-1974 : Nicolet C., L’Ordre équestre à l’époque républicaine (312-43 av. J.-C.), Paris, 1966-1974 (2 vol.).


Ryan 1996a : Ryan F. X., « Some persons in the Pro Cluentio », Tyche, 1996, 11, p. 195-205.


Suolahti 1963 : Suolahti J., The Roman censors : a study on social structure, Helsinki, 1963.


Willems 1885 : Willems P., Le Sénat de la République romaine, Paris, 1885² (2 vol.).


Wiseman 1964 : Wiseman T. P., « Some Republicain Senators and their Tribes », CQ, 1964, 14, p. 122-133.


Wiseman 1971 : Wiseman T. P., New Men in the Roman Senate, Londres, 1971.


Zumpt 1871 : Zumpt A. W., Der Criminalprocess der römischen Republik, Leipzig, 1871.


Clément Bur, Infames Romani n°25, Albi, INU Champollion, Pool Corpus, 2018, mis à jour le