F. Münzer, RE, 4A/1, 1931, col. 811, n° 68 s. v. Sulpicius.
Gell., 6, 12 : De tunicis chirodytis ; quod earum <usum> P. Africanus Sulpicio Galo obiecit.
Tunicis uti uirum prolixis ultra brachia et usque in primores manus ac prope in digitos Romae atque in omni Latio indecorum fuit. Eas tunicas Graeco uocabulo nostri « chirodytas » appellauerunt feminisque solis uestem longe lateque diffusam decere existimauerunt ad ulnas cruraque aduersus oculos protegenda. Viri autem Romani primo quidem sine tunicis toga sola amicti fuerunt ; postea substrictas et breues tunicas citra humerum desinentis habebant, quod genus Graeci dicunt ἐξωμίδας. Hac antiquitate indutus P. Africanus, Pauli filius, uir omnibus bonis artibus atque omni uirtute praeditus, P. Sulpicio Galo, homini delicato, inter pleraque alia, quae obiectabat, id quoque probro dedit, quod tunicis uteretur manus totas operientibus.
Verba sunt haec Scipionis : « Nam qui cotidie unguentatus aduersum speculum ornetur, cuius supercilia radantur, qui barba uulsa feminibusque subuulsis ambulet, qui in conuiuiis adulescentulus cum amatore cum chirodyta tunica interior accubuerit, qui non modo uinosus, sed uirosus quoque sit, eumne quisquam dubitet, quin idem fecerit, quod cinaedi facere solent ? »
Vergilius quoque tunicas huiuscemodi quasi femineas probrosas criminatur :
» et tunicae inquit manicas et habent redimicula mitrae ».
Q. quoque Ennius Carthaginiensium « tunicatam iuuentutem » non uidetur sine probro dixisse.
Sur les tuniques chirodytae (à manches longues) ; quels reproches à leur égard fit Scipion l’Africain à Sulpicius Galus.
Qu’un homme use de tuniques longues descendant au-delà des bras sur la naissance des mains presque jusqu’aux doigts, était déshonorant à Rome et dans tout le Latium. Ces tuniques nos compatriotes les appelèrent d’un mot grec chirodytae et ils jugèrent qu’un vêtement long et ample ne convenait qu’aux femmes pour protéger des regards leurs bras et leurs jambes. Quant aux hommes, primitivement du moins, à Rome, ils étaient vêtus seulement d’une toge sans tunique ; ensuite ils portaient des tuniques étroites et courtes, s’arrêtant avant l’épaule, du genre de ce que les Grecs appellent ἐξωμίδες (qui laissent les épaules nues). Vêtu suivant ces principes anciens, P. Scipion l’Africain, fils de Paulus, homme doté de toutes les qualités et de toute sorte de vertus, parmi les nombreux reproches qu’il faisait à P. Sulpicius Galus, un voluptueux, lui fit un grief aussi d’user de tuniques couvrant complètement les mains.
Voici les paroles de Scipion : « Quand un homme se parfume tous les jours et fait sa toilette devant un miroir, quand on lui rase les sourcils, quand il se promène la barbe épilée et les cuisses épilées par-dessous, quand dans les banquets, comme un petit jeune homme avec son amant, il se place plus bas que lui en tunique chirodota, quand il est porté non seulement sur le vin mais aussi sur les hommes, peut-on douter qu’il n’ait fait ce que font les mignons ? ».
Virgile aussi accuse les tuniques de cette sorte d’être efféminées, infamantes : « Et leurs tuniques ont des manches, leurs bonnets des rubans, dit-il ».
Ennius lui non plus ne paraît pas avoir parlé sans intention infamante de « la jeunesse en tunique de Carthage » (trad. R. Marache, CUF).
P. Sulpicius Galus est la cible d’un discours moralisant de Scipion Émilien dont Aulu-Gelle nous transmet un extrait alors qu’il rapporte le caractère honteux de certains types de vêtements. En dehors des critiques formulées dans ce passage, nous ne savons rien de Galus. Les historiens se sont très vite accordés pour supposer que ce discours avait été prononcé par Scipion lors de sa censure en 142[1], à l’occasion de la recognitio equitum, et que ce P. Sulpicius Galus était un jeune chevalier que le second Africain blâmait par des propos véhéments[2]. En effet, le contenu même de ce discours est un indice fort en faveur de son rattachement aux discours censoriaux de Scipion. De même, en ce qui concerne le statut de Galus, les reproches qui lui sont faits suggèrent qu’il appartenait à la jeunesse dorée de l’époque et donc qu’il était au moins de rang équestre.
En fait, nous connaissons probablement un autre membre de sa famille, C. Sulpicius Galus[3], le consul de 166, qui avait divorcé de sa femme parce qu’elle s’était montrée tête nue[4]. Bien que, malgré l’homonymie, F. Münzer n’établît aucun lien de parenté entre les deux hommes, l’hypothèse reste envisageable. Notre P. Sulpicius pourrait tout à fait être le fils de C. Sulpicius, cadet puisqu’il ne porte pas le prénom de son père, et serait alors un jeune chevalier issu d’une famille consulaire et à ce titre promis sans doute à une belle carrière. Son illustre origine aurait favorisé la conservation des paroles de Scipion d’autant plus que le comportement du jeune Galus contrastait singulièrement avec celui de son père qui avait répudié son épouse afin de respecter rigoureusement la morale romaine. L’opposition entre la tête nue de la mère et les manches longues du fils qui valurent pourtant aux deux des reproches et même des sanctions pourrait être un effet de style et d’érudition d’Aulu-Gelle dans ce passage.
P. Sulpicius fut en effet blâmé par Scipion Émilien parce qu’il était un homo delicatus, qu’il prenait un tel soin de son corps qu’il paraissait efféminé et pouvait donc être considéré comme un mignon. Ce mode de vie était non seulement en contradiction totale avec la mémoire de son père, mais était aussi indigne de son rang[5], ce que dénonça Scipion à une autre occasion[6]. Galus semblait suivre sa mère sur le chemin du vice, renforçant symboliquement son absence de virilité qui ne pouvait que justifier son éviction de l’ordre équestre[7]. Cependant, nous l’avons déjà vu, Aulu-Gelle qui s’intéresse ici aux tenues des Romains, ne précise pas l’occasion du discours de Scipion et nous ne pouvons donc pas savoir si Galus fut effectivement noté.
En définitive, nous avons seulement de sérieuses raisons de penser que, lors de la censure de 142, Scipion Émilien enleva le cheval public à P. Sulpicius Galus, vraisemblablement le fils du consul de 166.
[1] MRR, 2, p. 474-475 et Suolahti 1963, p. 393-398.
[2] Fraccaro 1912, p. 374 ; Scipion Émilien, Adusersus P. Sulpicium Galum, frg. 17 Malcovati (ap. Gell., 6, 12, 1) ; Astin 1967, p. 120. Schmähling 1938, p. 57-62 ne précise pas le statut de Galus mais place également le discours lors de la censure et affirme, p. 81, que Galus fut puni.
[3] F. Münzer, RE, 4A/1, 1931, col. 808-811, n° 66 s. v. Sulpicius ; T. Schmitt, Neue Pauly, 11, 2001, col. 1100, [I 14].
[4] Val. Max., 6, 3, 10 ; Plut., Moralia, 267 C.
[5] McDonnell 2006, p. 262 insiste également sur le choix d’un mot grec, chirodota, pour désigner la tenue arborée par Galus, signe d’un rejet de Scipion Émilien de certains aspects de la culture grecque. Sur la réprobation de l’homosexualité passive par les Romains, voir Bur 2018, chapitre 17.2.2.4.
[6] Macrob., Sat., 3, 14, 6-7.
[7] F. Münzer, RE, 4A/1, 1931, col. 811, n° 68 s. v. Sulpicius explique une fois de plus cet épisode par la lutte des partis : les Sulpicii étaient menés par Ser. Sulpicius Galba qui était un adversaire de Scipion. Il n’est pas nécessaire de faire intervenir l’inimitié même si celle-ci pouvait inciter Scipion à plus de rigueur. La simple vie de Galus, si elle était bien telle que Scipion la présentait, suffisait amplement à justifier le blâme. Voir Dupont et Éloi 2001, p. 87-89 sur la mollitia.
Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.
Dupont et Éloi 2001 : Dupont F. et Éloi T., L’Érotisme masculin dans la Rome antique, Paris, 2001.
Fraccaro 1912 : Fraccaro P., Studi sull’età dei Gracchi. Oratori ed orazioni dell’età dei Gracchi, Pise, 1912.
McDonnell 2006 : McDonnell M., Roman Manliness, Cambridge, 2006.
Schmähling 1938 : Schmähling E., Die Sittenaufsicht der Censoren, Stuttgart, 1938.
Suolahti 1963 : Suolahti J., The Roman censors : a study on social structure, Helsinki, 1963.