Infames Romani

L. Equitius [3]

Numéro
184
Identité
Catégorie
Autres cas
Sous catégorie
-
Date de l'épisode
-102
Références prosopographiques

F. Münzer, RE, 6/1, 1907, col. 322-323, n° 3 s. v. Equitius ; Niccolini 1934, p. 194 ; Wiseman 1971, p. 229, n° 63 ; DPRR n° EQUI1803.

Source
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Cic., Sest., 101 : Q. Metellus, patruus matris tuae, qui cum florentem hominem in populari ratione, L. Saturninum, censor notasset, cumque insitiuum Gracchum contra uim multitudinis incitatae censu prohibuisset.
Q. Metellus, qui, durant sa censure, a noté d’infamie L. Saturninus, personnalité marquante de la tendance démocratique, qui, malgré les violences de la foule surexcitée, a rayé un pseudo-Gracchus de la liste des citoyens (trad. J. Cousin, CUF).

Vir. Ill., 62, 1 : Quintus Caecilius Metellus Numidicus, qui de Iugurtha rege triumphauit, censor Equitium, qui se Tiberii Gracchi filium mentiebatur, in censum non recepit.
Quintus Caecilius Metellus Numidicus – qui triompha de Jugurtha, roi de Numidie – n’admit pas au cens, lors de sa censure, Équitius, qui se prétendait fils de Tibérius Gracchus (trad. P.‑M. Martin, CUF).

Vir. Ill., 73, 3-4 : Quendam libertini ordinis subornauit, qui se Tiberii Gracchi filium fingeret. Ad hoc testimonium Sempronia soror Gracchorum, producta nec precibus nec minis adduci potuit ut dedecus familiae agnosceret.
Il [Saturninus] suborna un homme, simple affranchi, pour qu’il se fît passer pour le fils de Tibérius Gracchus. Il produisit pour en témoigner Sempronia, sœur des Gracques, mais ni prières ni menaces ne purent faire reconnaître à celle-ci cette honte familiale (trad. P.‑M. Martin, CUF).

CIL, 1², n° XIXb (fragment d’une table de marbre retrouvée sur le forum d’Auguste en 1889) :
nsor•L•Eq
Texte généralement restitué en : ce]nsor L. Eq[uitium censu prohibuit- - -

Notice
Notice

Cicéron et Florus ne désignent notre personnage que comme un pseudo-Gracchus[1], et Valère Maxime est le seul à donner son véritable nom, L. Equitius, sans variation dans les trois passages où il le mentionne[2]. L’auteur du De Viris illustribus, qui suit peut-être Valère Maxime, donne dans certains manuscrits Equitium également[3]. G. Niccolini, s’appuyant sur l’existence du nom Equitius que nous retrouvons dans plusieurs inscriptions, en a conclu que notre personnage s’appelait bien L. Equitius et que Valère Maxime était le mieux informé sur celui-ci[4]. Valère Maxime précise même son origine, Firmo dans le Picenum sans indiquer toutefois son statut[5]. Cicéron le présente comme ex compedibus atque ergastulo[6], mais, en cela, il exprime sans doute la tradition hostile à Saturninus née dans les milieux optimates. Florus le caractérise comme un homme sine tribu, sine notore, sine nomine, c’est-à-dire soit un esclave, soit un étranger. Mais ces indications sont-elles fiables ou correspondent-elles, là encore, à la tradition hostile aux populares ? Les informations de Valère Maxime semblent préférables et, si L. Equitius venait bien de Firmo dans le Picenum, colonie romaine fondée en 264[7], il pouvait être citoyen romain. Et, aussi fragile que soit l’argument e silentio, le fait que Valère Maxime n’indiquât à aucun moment dans les trois récits impliquant L. Equitius son origine servile fragilise l’hypothèse servile. Ainsi S. Treggiari ne l’inclut pas dans ses listes d’affranchis, pas même parmi les probables[8].


En revanche, tous les auteurs sont unanimes pour faire de L. Equitius une créature de Saturninus utilisée dans la lutte contre les optimates à la toute fin du IIe siècle. Le chef de file des populares voulut faire passer notre personnage pour un fils de Ti. Gracchus resté dans les mémoires comme le champion de la plèbe. Pour réussir une telle mascarade, Saturninus comptait sur l’obscurité de L. Equitius, mais surtout vraisemblablement sur une quelconque ressemblance[9]. L. Equitius serait alors un aventurier sans doute lié à Saturninus dont il pouvait être un client ou un ancien affranchi. Jouer un tel rôle nécessitait des dispositions pour l’art oratoire, aussi L. Equitius était-il vraisemblablement issu d’une famille de notables du Picenum susceptible de lui donner une éducation suffisante ou bien un affranchi instruit de Saturninus.


La comédie se joua peu avant le début du recensement, en 102[10], afin de bénéficier de l’effet de surprise. Cependant, Q. Caecilius Metellus Numidicus, farouche adversaire des populares[11], ne fut pas dupe et refusa d’avaliser la supercherie. Les termes utilisés pour décrire la procédure sont divers et ont conduit à différentes interprétations. Cicéron emploie censu prohibere, Valère Maxime censum recipere/accipere nolere et l’auteur du De Viris illustribus in censum non recipere. De nombreux historiens conclurent que Metellus n’avait tout simplement pas recensé Equitius[12]. L’hypothèse revient à suivre le récit de Florus qui en faisait un homme sans tribu et sans nom, ce qui nous semble suspect. Pourtant, G. Niccolini propose une interprétation bien plus séduisante : Metellus aurait refusé d’inscrire Equitius sous le nom Gracchus[13]. Nous comprendrions alors la colère générale provoquée par sa décision et le lynchage auquel il échappa[14]. Plutôt qu’exclure L. Equitius de la citoyenneté, il voulut mettre un terme au mensonge, mais le peuple, même s’il savait peut-être au fond qu’il s’agissait d’une supercherie, y vit la fin d’espérances nées avec l’annonce de l’arrivée d’un descendant des Gracques[15]. Il est possible que, comme le signale J. Suolahti, le refus d’enregistrer L. Equitius comme fils de Ti. Gracchus entraînait aussi le refus de le recruter dans l’ordre équestre[16]. Néanmoins, Saturninus ne baissa pas les bras et parvint à organiser une contio[17] où il obligea Numidicus à justifier sa décision[18]. Enfin, il amena Sempronia, sœur de Ti. et C. Gracchus, mais ne réussit pas à lui faire admettre que L. Equitius était bien son neveu[19].


Malgré ces échecs, L. Equitius continua à jouir de la faveur du peuple et parvint tout de même à être élu tribun pour 100 ou 99[20]. L’élection fut très agitée et Valère Maxime la présente même comme contraire aux lois[21]. Il la lie à un épisode qu’il est le seul à relater : l’emprisonnement d’Equitius par Marius, alors consul, et sa libération par le peuple. De même que pour la contio, et malgré l’organisation du récit de Valère Maxime, les événements nous paraissent devoir être reconstitués plutôt comme suit : rumeurs ou proclamation sur l’existence d’un fils caché de Ti. Gracchus ; refus de Metellus de l’inscrire sous ce nom lors du recensement ; brigue de L. Equitius du tribunat, toujours sous le nom de Gracchus ; emprisonnement et libération par le peuple et, dans la foulée, contio pour prouver la descendance mais qui tourne court ; enfin élection d’Equitius comme tribun de la plèbe. Si notre reconstitution est exacte, Marius aurait usé de son pouvoir de coercition afin d’empêcher L. Equitius de se présenter en s’appuyant peut-être sur le fait qu’il n’était pas éligible. Surtout, son action prouve que L. Equitius, qui n’avait pas été enregistré comme fils de Ti. Gracchus, était de faible statut et pouvait être emprisonné sans que cela provoquât un émoi particulier au sein de l’aristocratie. Equitius ne répondait peut-être pas aux conditions requises de statut, soit parce qu’il n’avait pas accompli les decem stipendia comme chevalier, soit parce qu’il était affranchi et que l’on jugeait alors que les membres de cette catégorie n’avaient pas le droit d’être magistrat[22]. L’illégalité de la candidature de L. Equitius était peut-être aussi fictive que sa filiation et était mise en avant par les optimates pour éviter une élection qui s’annonçait gagnée d’avance. Cependant, étroitement associé à Saturninus et Glaucia, il connut la même fin qu’eux lors des violentes émeutes de la fin de l’année 100.


En conclusion, L. Equitius était vraisemblablement un affranchi de Saturninus ou un notable de Firmo dans le Picenum qui lui était lié. Dans sa lutte contre les optimates, le chef popularis le présenta aux masses populaires comme le fils de Ti. Gracchus, ce qui impliquait un vaste programme favorable à la plèbe. Cependant, les censeurs de 102, et tout particulièrement Metellus Numidicus, refusèrent de l’enregistrer sous le nom de C. Gracchus et de l’inscrire parmi les chevaliers. L’épisode était humiliant puisque les censeurs présentaient L. Equitius comme un menteur. Toutefois, il ne semble pas avoir débouché sur une dégradation, tout simplement parce que l’usurpateur était peut-être déjà de faible statut (inscrit notamment dans une tribu urbaine s’il était affranchi) et que l’humilier davantage aurait été une provocation supplémentaire envers la plèbe. La contio qui suivit fut également humiliante mais, comme l’emprisonnement, sans conséquences statutaires. L. Equitius ne fut donc pas frappé d’infamie, même s’il jouissait certainement d’une affreuse réputation dans les milieux optimates. Nous n’avons aucune indication sur ses éventuels descendants, mais, en raison de ses origines et des circonstances de sa mort, il est peu probable qu’ils fussent venus à Rome tenter une carrière.




[1] Cic., Rab. perd., 20 et Sest., 101 ; Flor., 2, 4, 1.


[2] Val. Max., 3, 8, 6 ; 9, 7, 1-2 et 9, 15, 1.


[3] Vir. Ill., 62, 1.


[4] Niccolini 1934, p. 194.


[5] Val. Max., 9, 15, 1.


[6] Cic., Rab. perd., 20.


[7] Sur la fondation de Firmum : Vell., 1, 14, 7.


[8] Treggiari 1969, Index 2, p. 288-293 contra P. Jal qui dans son commentaire de Florus (Jal 1967, p. 10 n. 14) en fait un affranchi et le Vir. Ill., 73, 3.


[9] Kunkel et Wittmann 1995, p. 426 considèrent qu’il ne faut pas exclure la possibilité qu’Equitius ait été un fils naturel de Ti. Gracchus, soit avec une esclave, soit avec une pérégrine, et dans les deux cas sa sœur n’aurait pas pu le reconnaître comme tel (cf. ci-dessous).


[10] MRR, 1, p. 567 et Suolahti 1963, p. 430-434.


[11] Il tenta de dégrader Glaucia et Saturninus : cf. notices n° 16 et 17.


[12] F. Münzer, RE, 6/1, 1907, col. 322-323, n° 3 s. v. Equitius ; Gabba 1958, p. 110 ; Ooteghem 1967, p. 166-168 ; Wiseman 1971, p. 229, n° 63 ; Kunkel et Wittmann 1995, loc. cit.


[13] Niccolini 1934, p. 194 suivi par A. W. Lintott, CAH, 9², 1994, p. 96.


[14] Val. Max., 9, 7, 2 : lapidibus prosternere conatus est.


[15] L’argumentation de Numidicus prononcée certainement lors de la contio (cf. infra) transmise par Val. Max., 9, 7, 2 n’eut pas les résultats qu’il escomptait, sans doute car au fond, le peuple se moquait que L. Equitius fût ou non le fils de Ti. Gracchus, seul son programme annoncé lors de la revendication de la filiation comptait. Cf. Ooteghem 1967, loc. cit.


[16] Suolahti 1963, p. 434.


[17] Contra Niccolini 1934, loc. cit. et Gabba 1958, p. 110 qui, suivant l’ordre du récit de Valère Maxime, placent la contio avant le cens, ce qui nous semble contraire aux événements ; Ooteghem 1967, loc. cit. en fait une réunion des comices tributes ce qui est peu crédible.


[18] Il est très probable que cette contio était comparable à celle organisée par T. Quinctius Flamininus lorsqu’il demanda à Caton d’expliquer pourquoi son frère avait été exclu du Sénat. Cf. notice n° 7.


[19] Val. Max., 3, 8, 6 et Vir. Ill., 73, 3-4.


[20] Il n’est pas dans notre propos de débattre des dates du tribunat de L. Equitius et des émeutes qui lui coûtèrent la vie. Pour cela voir Badian 1984a ; Twyman 1989 ; Beness et Hillard 1990 ; Cavaggioni 1998, p. 69-85.


[21] Val. Max., 9, 7, 1.


[22] Treggiari 1969, p. 59 interprète plutôt le libertini ordinis du Vir. Ill., 73, 3 comme l’indication qu’Equitius était fils d’affranchi. Elle élimine ainsi le seul exemple dans nos sources où la candidature d’un affranchi à une magistrature est prohibée.

Bibliographie
Bibliographie

Badian 1984a : Badian E., « The Death of Saturninus », Chiron, 1984, 14, p. 101-147.


Beness et Hillard 1990 : Beness J. L. et Hillard T. W., « The death of Lucius Equitius on 10 December 100 B.C. », CQ, 1990, 40, p. 269-272.


Cavaggioni 1998 : Cavaggioni 1998 : Cavaggioni F., L. Apuleio Saturnino. Tribunus plebis seditiosus, Venise, 1998.


Gabba 1958 : Gabba E., Appiani Bellorum civilium liber primus, Florence, 1958


Jal 1967 : Jal P., Florus, Œuvres, 2, Paris, 1967


Kunkel et Wittmann 1995 : Kunkel W. et Wittmann R., Staatsordnung und Staatspraxis der römischen Republik, 2, Die Magistratur, Munich, 1995.


Niccolini 1934 : Niccolini G., I Fasti dei tribuni della plebe, Milan, 1934.


Ooteghem 1967 : Ooteghem J. van, Les Caecilii Metelli de la République, Bruxelles, 1967.


Suolahti 1963 : Suolahti J., The Roman censors : a study on social structure, Helsinki, 1963.


Treggiari 1969 : Treggiari S., Roman Freedmen during the Late Republic, Oxford, 1969.


Twyman 1989 : Twyman B. L., « The Day Equitius died », Athenaeum, 1989, 67/3-4, p. 493-509.


Wiseman 1971 : Wiseman T. P., New Men in the Roman Senate, Londres, 1971.


Clément Bur, Infames Romani n°184, Albi, INU Champollion, Pool Corpus, 2018, mis à jour le