M. Hofmann, RE, 21/1, 1951, col. 30, n° 42 s. v. Plautius ; L. Petersen et K. Wachtel, PIR², 6, 1997, p. 188-189, P 468 ; W. Eck, Neue Pauly, 9, 2000, col. 1117, [II 8].
Tac., Ann., 11, 36, 4 : Suillio Caesonino et Plautio Laterano mors remittitur, huic ob patrui egregium meritum.
Suillius Caesoninus et Plautius Lateranus échappent à la mort, celui-ci grâce au mérite éclatant de son oncle (trad. P. Wuilleumier et J. Hellegouarc’h, CUF).
Tac., Ann., 13, 11, 2 : Secutaque lenitas in Plautium Lateranum quem ob adulterium Messalinae ordine demotum reddidit senatui, clementiam suam obstringens crebris orationibus.
Et il [Néron] poursuivit par un geste d’indulgence envers Plautius Lateranus, qui avait été chassé de l’ordre sénatorial pour adultère avec Messaline : il le rendit au Sénat, en s’engageant à pratiquer la clémence dans de fréquents discours (trad. P. Wuilleumier, CUF).
Plautius Lateranus était le neveu d’A. Plautius[1], qui avait été honoré de l’ouatio pour sa campagne de Bretagne en 43-47[2], et donc probablement le fils de Q. Plautius[3], consul ordinaire en 36[4]. Jeune homme impliqué en 48 dans le scandale de Messaline[5] dont il était l’un des amants, Claude l’épargna lors de la répression par égard pour son oncle[6]. Nous apprenons plus tard qu’il avait été exclu de l’ordre sénatorial[7]. Les termes employés par Tacite ne laissent aucun doute tant sur la sanction que sur son motif : ob adulterium Messalinae ordine demotus. L’exclusion, bien que non précisée par Tacite lors de son récit de la féroce répression contre Messaline et ses complices, avait été prononcée à titre de peine à cette occasion.
En revanche, la manière de procéder de Claude et, surtout, de l’affranchi Narcisse pour mener à bien la répression est peu claire. R. A. Bauman a montré qu’il n’y avait pas eu de véritables procès ni pour Messaline ni, probablement, pour ses complices[8]. Le délit était notoire (manifestus) si bien que les prétoriens réclamaient des punitions (poenae), non des procès (iudiciae). En outre, la plupart des inculpés avouèrent et furent exécutés rapidement. Il en conclut qu’aucun procès ne fut intenté contre Lateranus, ni d’après la lex Iulia de adulteriis ni celle de maiestate. Son cas fut examiné par Narcisse et Claude parce qu’il avait été un des amants adultères de Messaline[9] et par là suspect de complicité dans ses projets séditieux. Les accusés comparurent vraisemblablement devant l’empereur, secondé efficacement de Narcisse, devant un tribunal installé dans le camp prétorien[10], donc sans consultation du Sénat. La procédure expéditive aboutit à l’exécution de la plupart des complices à l’exception de Suillius Caesoninus[11] et de Lateranus. R. A. Bauman supposait que Lateranus avait été acquitté puisque la mort était la seule peine possible[12]. Or l’exclusion de l’ordre sénatorial dont fut victime Lateranus contredit apparemment cette hypothèse. Soit la peine de mort de Lateranus fut commuée en exclusion du Sénat, soit il y avait une échelle de peines selon le degré de culpabilité. Cette dernière option s’accorde mal avec la brièveté et la dureté de la répression. Il est bien plus probable que Lateranus fût gracié par Claude qui le punit toutefois de l’exclusion de l’ordre sénatorial[13]. Le jeune homme méritait d’être châtié pour sa conduite et l’amitié de l’empereur pour son oncle, grandement honoré l’année précédente, ne pouvait le conduire à fermer totalement les yeux sur des fautes aussi graves. Toutefois, nous ne pensons pas que Lateranus fut banni[14] sinon Tacite aurait indiqué que Néron le rappelait d’exil et non qu’il lui redonnait son rang[15].
La peine infligée à Lateranus rappelle celle de Pontius Fregellanus[16], également exclu de l’ordo senatorius et non du Sénat. Or, comme ce dernier, Lateranus était probablement encore un tout jeune homme en 48. Après son rappel par Néron, en 55, il fut consul désigné pour 65[17] ce qui nous permet d’estimer sa naissance autour de 25, date qui concorde avec le consulat de son père en 36. Les vers de Juvénal laissent entendre qu’en 65 Lateranus est alors maturus, terme convenant à un quadragénaire, et l’expression indulge ueniam pueris pourrait être une allusion à la clémence de Claude en 48[18]. À cette date, Lateranus n’avait sans doute pas encore atteint l’aetas senatoria et n’était pas sénateur. Ne pouvant être exclu du Sénat, il fut radié de l’ordre sénatorial. Si Claude lui avait évité la mort, il l’humiliait cependant en l’excluant d’un rang honorifique ainsi que de toute possibilité de carrière publique, aussi bien sénatoriale que, très probablement, équestre.
Quelques années plus tard, incité par Sénèque à faire preuve de clémence, Néron restitua Lateranus[19]. Toutefois le texte de Tacite offre un contraste entre la peine, l’exclusion de l’ordre, et la grâce, le retour au Sénat. Non seulement Néron permit à Lateranus d’appartenir de nouveau à l’ordre mais il le fit également sénateur. Il le « rendit au Sénat » (reddidit senatui), non pas qu’il eût été exclu, puisqu’il n’était pas sénateur, mais parce qu’en le radiant de l’ordre, Claude avait privé le Sénat de son entrée éventuelle. Cet acte de clémence ne manque pas de nous surprendre. Tout d’abord la culpabilité de Lateranus n’est à aucun moment mise en doute par Tacite. En outre, Juvénal nous présente le personnage, lors de son consulat dix ans plus tard, comme un débauché[20]. Cela signifierait-il que l’exclusion de 48 ne corrigeât pas ses mœurs et qu’il continuât à mener une vie déréglée ? C’est possible même si le tableau est certainement exagéré. En restituant Lateranus, un des seuls survivants de la répression de 48, Néron envoyait d’abord un message clair aux sénateurs, leur promettant de ne pas recourir aux mêmes procédés que Claude. C’est sans doute ce contexte qui explique pourquoi un tel personnage fut restauré à la demande du Prince et avec l’aval du Sénat[21].
Selon toute vraisemblance, Lateranus put se lancer dans une carrière sénatoriale sans souffrir de son humiliation sous Claude puisqu’il parvint au consulat pour 65[22]. Pourtant, il fut un des principaux membres de la conjuration de Pison, d’après Tacite par amor rei publicae[23]. Le complot dévoilé, il fut aussitôt arrêté et exécuté[24].
Comme l’indique le récit de la mort de Lateranus chez Tacite, ce dernier avait des enfants[25] mais nous ne savons rien d’eux. Cependant, on se souvint vraisemblablement de leur père plus pour sa participation à la conjuration et sa mort héroïque que comme l’amant de Messaline.
[1] M. Hofmann, RE, 21/1, 1951, col. 27-29, n° 39 s. v. Plautius ; L. Petersen et K. Wachtel, PIR², 6, Berlin, 1997, p. 184‑185, P 457 ; W. Eck, Neue Pauly, 9, 2000, col. 1116, [II 3].
[2] Tac., Ann., 13, 32, 2 ; Agr., 14, 1 ; Suet., Claud., 24, 6.
[3] M. Hofmann, RE, 21/1, 1951, col. 29-30, n° 41 s. v. Plautius ; L. Petersen et K. Wachtel, PIR², 6, Berlin, 1997, p. 185‑186, P 459 ; W. Eck, Neue Pauly, 9, 2000, col. 1116, [II 5].
[4] Degrassi 1952, p. 10.
[5] Sur cette affaire voir en particulier le récit détaillé de Tacite (Ann., 11, 12, 26-38). Nous renvoyons à Bauman 1994, p. 176-179 et notamment à la n. 50 p. 263 avec les sources et la bibliographie.
[6] Tac., Ann., 11, 36, 4.
[7] Tac., Ann., 13, 11, 2.
[8] Bauman 1974, p. 179-187.
[9] C’est ce qu’affirme Tac., Ann., 13, 11, 2. Sur l’adultère de Messaline avec Lateranus, voir aussi Tac., Ann., 11, 30, 2.
[10] Tac., Ann., 11, 35.
[11] Cf. notice suivante, n° 176.
[12] Bauman 1974, p. 187.
[13] L’expression de Tacite, mors remittitur, va également dans le sens de R. A. Bauman. La mort était l’unique peine infligée aux coupables, mais Claude fit une exception pour ces deux individus.
[14] C’est l’opinion de Clack 1975, p. 47.
[15] Tac., Ann., 13, 11, 2. Cela est d’autant plus probable que Tacite livre plusieurs informations en précisant l’exclusion de l’ordre, son motif et la grâce accordée par Néron qui le reddidit senatui.
[16] Cf. notice précédente, n° 173.
[17] Degrassi 1952, p. 17.
[18] Juv., 8, 165-170 :
Breue sit quod turpiter audes,
Quaedam cum prima resecentur crimina barba.
Indulge ueniam pueris : Lateranus ad illos
Thermarum calices inscriptaque lintea uadit
Maturus bello Armeniae Syriaeque tuendis
Amnibus et Rheno atque Histro
(« Les dérèglements honteux doivent être courts, il y a des fautes qu’on doit retrancher avec la première barbe. Garde ton indulgence pour les petits jeunes gens : mais Lateranus, dans les thermes, va droit aux coupes et aux enseignes peintes sur toile alors qu’il est mûr pour défendre militairement les fleuves d’Arménie et de Syrie, le Rhin et l’Hister », trad. P. de Labriolle et F. Villeneuve, CUF).
[19] Tac., Ann., 13, 11, 2.
[20] Juv., 8, 146-182.
[21] Koestermann 1967, p. 254 suppose que la grâce fut proposée par Néron au Sénat qui l’accorda.
[22] Degrassi 1952, loc. cit.
[23] Tac., Ann., 15, 49 et 53, 2.
[24] Tac., Ann., 15, 60, 1 ; Arrien, Epict., 1, 1, 19.
[25] Tacite précise qu’il fut exécuté sans avoir pu les embrasser.
Bauman 1974 : Bauman R. A., Impietas in principem, Munich, 1974.
Bauman 1994 : Bauman R. A., Women and Politics in Ancient Rome, Londres – New-York, 1994².
Clack 1975 : Clack J., « To Those Who Fell On Agrippina’s Pen », CW, 1975, 69/1, p. 45-53.
Degrassi 1952 : Degrassi A., I Fasti consolari dell’impero romano dal 30 avanti Cristo al 613 dopo Cristo, Rome, 1952.
Koestermann 1967 : Koestermann E., Cornelius Tacitus. Annalen, III, Heidelberg, 1967.