Infames Romani

M. Duronius [3]

Numéro
18
Identité
Catégorie
Procédures censoriales
Sous catégorie
Eviction du Sénat
Date de l'épisode
-97
Références prosopographiques

F. Münzer, RE, 5/2, 1905, col. 1862-1863, n° 3 s. v. Duronius ; M. Strothmann, Neue Pauly, 3, 1997, col. 850, [3] ; Niccolini 1934, p. 210-211 ; David 1992, p. 725-726 ; Malcovati, ORF4, p. 262‑263, n° 68 ; Badian 1969, p. 198‑200 ; DPRR n° DUOR1817.

Source
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Cic., de Orat., 2, 274 : ut tibi, Antoni, Mancia, cum audisset te censorem a M. Duronio de ambitu postulatum, « aliquando » inquit « tibi tuum negotium agere licebit ».


Tel est, Antoine, ce mot que te dit Mancia, en apprenant que M. Duronius t’accusait de brigue pendant ta censure : « Enfin, tu vas pouvoir t’occuper de tes propres affaires » (trad. E. Courbaud, CUF).


 


Val. Max., 2, 9, 5 : M. autem Antonius et L. Flaccus censores Duronium senatu mouerunt, quod legem de coercendis conuiuiorum sumptibus latam tribunus plebi abrogauerat. Mirifica notae causa quam enim inpudenter Duronius rostra conscendit illa dicturus : « freni sunt iniecti uobis, Quirites, nullo modo perpetiendi. Alligati et constricti estis amaro uinculo seruitutis : lex enim lata est, quae uos esse frugi iubet. Abrogemus igitur istud horridae uetustatis rubigine obsitum imperium : etenim quid opus libertate, si uolentibus luxu perire non licet ? »


M. Antonius et L. Flaccus, eux, quand ils étaient censeurs, ont exclu Duronius du Sénat parce qu’il avait fait abroger la loi limitant les dépenses engagées pour un banquet, lorsqu’il était tribun de la plèbe. Magnifique motif de sanction de la part des censeurs. Quelle impudence en effet chez Duronius quand il est monté à la tribune pour dire : « On vous a passé un mors, citoyens, que vous ne devez accepter d’aucune façon. On vous a attachés et ligotés dans les rudes liens de l’esclavage. Car on a fait voter une loi qui vous a ordonné d’être sobres. Abrogeons donc cette contrainte que sa vétusté repoussante recouvre de rouille. À quoi bon en effet la liberté si, quand on le veut, on n’a pas le droit de mourir pour satisfaire son goût du luxe » (trad. R. Combès, CUF).

Notice
Notice

M. Duronius, que certains manuscrits appellent à tort Durionius, est peut-être un descendant de L. Duronius[1], préteur en 181 qui mena une campagne contre les pirates après avoir reçu l’Apulie comme province. Nous sommes très peu renseignés sur ce personnage et il apparaît dans nos sources exclusivement comme un tribun de la plèbe qui abrogea une loi somptuaire et fut exclu du Sénat pour cette raison par les censeurs de 97[2], M. Antonius et L. Valerius Flaccus[3]. L’expression utilisée par Valère Maxime, « senatu mouerunt », invite à penser que Duronius était membre du Sénat, c’est-à-dire qu’il avait été recruté au plus tard par les censeurs de 102 (sans doute à la suite d’une magistrature comme la questure, gérée en 103 au plus tard)[4].


Les commentateurs s’accordent à identifier la loi abrogée par M. Duronius à la lex Licinia que l’on date habituellement de 103 et qui limitait les dépenses pour les banquets[5]. Ainsi, M. Duronius fut tribun entre l’adoption de cette loi et la censure de 97, plus précisément, puisqu’il ne fut apparemment pas inquiété lors de la censure de Metellus Numidicus et Metellus Caprarius, entre 102 et 97[6]. La plupart des historiens qui datent son tribunat le placent en 97, l’année de la censure, et suggèrent que sa loi suivît de près son entrée en charge, le 10 décembre 98[7]. La datation d’E. S. Gruen, qui propose 99 pour en faire un collègue de C. Decianus et Sex. Titius, ce dernier étant également un adversaire de M. Antonius, et donc un tribun popularis, nous semble cependant plus convaincante[8].


L’abrogation de cette loi ne fut sans doute pas commandée uniquement par des considérations morales puisque Macrobe nous apprend qu’elle avait été soutenue avec un grand enthousiasme par les optimates[9]. Il s’agirait plutôt d’une étape dans les luttes politiques du début du Ier siècle dans lesquelles Duronius s’ancrait résolument dans le groupe popularis, à moins qu’il ne fût simplement utilisé par celui-ci. M. Antonius[10] saisit l’occasion d’éliminer un adversaire politique qui fut alors abandonné par les populares puisque L. Valerius Flaccus, partisan de Marius, ne s’opposa pas à la décision de son collègue[11]. Nous pouvons ainsi penser que M. Duronius, qui commençait alors sa carrière, fut utilisé par les populares et que M. Antonius n’eut aucune peine à briser le jeune homme. Il fut sacrifié l’année qui suivit son tribunat pour permettre le rapprochement de Marius et du groupe des Metelli. Le censeur dut mettre en avant une vision déformée des arguments de Duronius pour abroger la loi et le présenter comme un intempérant. Le discours transmis par Valère Maxime pourrait en être l’illustration. E. Badian a bien montré qu’il s’agissait d’une invention, une ironie pour rabaisser une nouvelle fois un homme que Valère Maxime jugeait avoir été puni à juste titre (mirifica notae causa)[12].


Pour se venger, M. Duronius accusa de ambitu M. Antonius durant sa censure selon Cicéron (cum audisset te censorem). Cette accusation pose problème car elle ne peut être intentée qu’à l’issue d’une élection et avant l’entrée en charge, or ici elle se placerait après la lectio senatus donc durant la magistrature. C’est pourquoi certains historiens ont voulu la placer avant la censure et en faire un motif supplémentaire de l’exclusion[13], tandis que d’autres ont considéré que censorem désignait le statut de M. Antonius[14]. Cependant, la première version présentée par F. Münzer dans la Realencyclopädie nous semble convenir. Duronius se serait vengé de M. Antonius en l’accusant de ambitu immédiatement après la lectio senatus, accusation rendue possible par le fait qu’il n’y avait aucun délai entre l’élection et l’entrée en charge des censeurs[15]. Nous ne savons rien sur l’issue du procès, mais la légèreté de ton dans le texte de Cicéron et l’écart de statut vont dans le sens d’un échec de Duronius[16].


En conclusion, nous pensons que M. Duronius fut tribun en 99 et qu’il fut utilisé par les populares pour abroger la lex Licinia, loi somptuaire défendue sans doute pour son caractère symbolique par les optimates. Cependant, il fut vraisemblablement sacrifié pour le rapprochement de Marius et du groupe des Metelli amorcé en 98 et consacré par l’élection des censeurs de 97. M. Antonius, avec l’aval de son collègue proche de Marius, L. Valerius Flaccus, exclut du Sénat M. Duronius qui était entré au Sénat sans doute en 102 après avoir géré une questure. M. Duronius, lâché par ses amis parce qu’il était de faible importance et pour ne pas soulever de problèmes avec les Metelli, tenta de se relever en accusant de ambitu M. Antonius, sans succès. Cette ultime tentative marqua sans doute la fin de sa courte carrière : nous n’avons aucune mention de lui par la suite dans nos sources, ni d’aucun descendant.






[1] F. Münzer, RE, 5/2, 1905, col. 1862-1863, n° 2 s. v. Duronius.


[2] MRR, 2, p. 6-7 et Suolahti 1963, p. 434-440.


[3] Cic., de Orat., 2, 274 et Val. Max., 2, 9, 5.


[4] MRR, 1, p. 567 et Suolahti 1963, p. 430-434.


[5] Sur cette loi : Macrob., 3, 17, 7 et 11 ; Gell., 2, 24, 7 et 10.


[6] Gruen 1966, p. 41 n. 56.


[7] Niccolini 1934, p. 210-211 ; Badian 1969, p. 198‑200 ; Leeman & alii 1989, p. 311.


[8] Gruen 1966, loc. cit.


[9] Macr., Sat., 3, 17, 7.


[10] Il est certainement le principal responsable de l’exclusion puisque c’est lui que Duronius accuse (Cic., de Orat., 2, 274).


[11] Gruen 1966, p. 40 contra Epstein 1987, p. 113 qui suppose que seule l’inimicitia joua un rôle dans cette affaire, selon nous à tort.


[12] Badian 1969, loc. cit.


[13] Gruen 1966, p. 41 n. 58 et 1968, p. 194-195 suivi par David 1992, p. 725-726.


[14] C’est l’opinion de Epstein 1987, loc. cit., mais on ne voit pas à quelle occasion Duronius put ensuite accuser M. Antonius après sa censure puisqu’il ne brigua aucune magistrature par la suite, du moins d’après les sources, et que la censure était le couronnement et bien souvent la fin du cursus.


[15] Ce que précise Gruen, loc. cit. Cette vengeance immédiate est aussi l’opinion de Suolahti 1963, p. 439 et M. Strothmann, Neue Pauly, 3, 1997, col. 850, [3].


[16] Leeman & alii 1989, loc. cit.

Bibliographie
Bibliographie

Badian 1969 : Badian E., « Two Roman non-entities », CQ, 1969, 19, p. 198‑204.


David 1992 : David J.-M., Le Patronat judiciaire au dernier siècle de la République romaine, Rome, 1992.


Epstein 1987 : Epstein D. F., Personal Enmity in Roman Politics, Londres, 1987.


Gruen 1966 : Gruen E. S., « Political prosecutions in the 90’s B. C. », Historia, 1966, 15, p. 32-64.


Leeman & alii 1989 : Leeman A. D., Pinkster H. et Rabbie E., De oratore libri III, Heidelberg, 1989.


Malcovati, ORF4 : Malcovati H., Oratorum Romanorum fragmenta Liberae rei publicae, I, Textus, Turin, 19534.


Niccolini 1934 : Niccolini G., I Fasti dei tribuni della plebe, Milan, 1934.


Suolahti 1963 : Suolahti J., The Roman censors : a study on social structure, Helsinki, 1963.


Clément Bur, Infames Romani n°18, Albi, INU Champollion, Pool Corpus, 2018, mis à jour le