Liv., 29, 37, 8-17 (a. 203) : Equitum deinde census agi coeptus est ; et ambo forte censores equum publicum habebant. Cum ad tribum Polliam uentum esset in qua M. Liui nomen erat, et praeco cunctaretur citare ipsum censorem, » cita » inquit Nero « M. Liuium » ; et siue ex residua uetere simultate siue intempestiua iactatione seueritatis inflatus M. Liuium quia populi iudicio esset damnatus equum uendere iussit. Item M. Liuius cum ad tribum Arniensem et nomen collegae uentum est, uendere equum C. Claudium iussit duarum rerum causa, unius quod falsum aduersus se testimonium dixisset, alterius quod non sincera fide secum in gratiam redisset.
Aeque foedum certamen inquinandi famam alterius cum suae famae damno factum est exitu censurae. Cum in leges iurasset C. Claudius et in aerarium escendisset, inter nomina eorum quos aerarios relinquebat dedit collegae nomen. Deinde M. Liuius in aerarium uenit ; praeter Maeciam tribum, quae se neque condemnasset neque condemnatum aut consulem aut censorem fecisset, populum Romanum omnem, quattuor et triginta tribus, aerarios reliquit, quod et innocentem se condemnassent et condemnatum consulem et censorem fecissent neque infitiari possent aut iudicio semel aut comitiis bis ab se peccatum esse : inter quattuor et triginta tribus et C. Claudium aerarium fore ; quod si exemplum haberet bis eundem aerarium relinquendi, C. Claudium nominatim se inter aerarios fuisse relicturum. Prauum certamen notarum inter censores ; castigatio inconstantiae populi censoria et grauitate temporum illorum digna. In inuidia censores cum essent, crescendi ex iis ratus esse occasionem Cn. Baebius tribunus plebis diem ad populum utrique dixit. Ea res consensu patrum discussa est ne postea obnoxia populari aurae censura esset.
On commença ensuite le recensement des chevaliers ; or il se trouvait que les deux censeurs avaient un cheval public. Comme on en était arrivé à la tribu Pollia, dans laquelle était inscrit M. Livius, et que le héraut hésitait à citer le censeur lui-même : « Cite, lui dit Nero, M. Livius ». Et, animé par un reste de leur vieille inimitié, ou plein d’une volonté déplacée d’afficher sa sévérité, il ordonna à M. Livius de vendre son cheval, pour avoir été condamné par un jugement du peuple. De même, M. Livius, quand on en vint à la tribu Arniensis et au nom de son collègue, ordonna à C. Claudius de vendre son cheval, pour deux raisons, la première étant qu’il avait porté contre lui un faux témoignage, la seconde, que sa réconciliation avec lui n’avait pas été sincère.
Ils rivalisèrent d’une manière aussi honteuse pour salir chacun la réputation de l’autre, aux dépens de sa propre réputation, à la fin de leur censure. Après avoir juré qu’il avait été fidèle aux lois et être monté au Trésor, C. Claudius, parmi les noms de ceux qu’il reléguait au nombre des aerarii, donna celui de son collègue. Ensuite, M. Livius se rendit au Trésor et, excepté la tribu Maecia, puisqu’elle ne l’avait ni condamné ni, après sa condamnation, élu consul ou censeur, c’est le peuple romain dans son ensemble (trente-quatre tribus) qu’il relégua au nombre des aerarii, pour l’avoir et condamné malgré son innocence et, malgré cette condamnation, élu consul et censeur : elles ne pouvaient contester avoir commis une faute, soit une seule fois lors du procès, soit à deux reprises lors des élections. Parmi les membres des trente-quatre tribus, C. Claudius se retrouverait lui aussi aerarius et si la double relégation d’un même homme parmi les aerarii avait eu un précédent, lui, M. Livius, aurait nommément relégué C. Claudius parmi eux. Choquant assaut de blâmes, entre censeurs ! Mais dénonciation de l’inconstance du peuple digne d’un censeur et conforme à la gravité de l’époque. Devant l’impopularité des censeurs, le tribun de la plèbe Cn. Baebius, voyant là une occasion de s’élever à leurs dépens, les assigna tous deux à comparaître devant le peuple. Les sénateurs furent d’accord pour annuler cette mesure, afin d’éviter que, par la suite, la censure ne se trouvât soumise à l’humeur du peuple (trad. P. François, CUF).
Liv., Perioch., 29, 18-20 : Inter censores, M. Liuium et Claudium Neronem, notabilis discordia fuit. Nam et Claudius collegae ecum ademit, quod a populo damnatus actusque in exilium fuerat, et Liuius Claudio, quod falsum in se testimonium dixisset et quod non bona fide secum in gratia<m> redisset. Idem omnes tribus extra unam aerarias reliquit, quod et innocentem se damnassent et post<h>ac consulem censoremque fecissent.
Il y eut entre les censeurs M. Livius et Claudius Nero une querelle fameuse. Claudius priva en effet son collègue de son cheval parce qu’il avait été condamné par le peuple et envoyé en exil et Livius fit de même avec Claudius pour avoir porté contre lui un faux témoignage et parce qu’il ne s’était pas de bonne foi réconcilié avec lui. Le même censeur laissa toutes les tribus, sauf une, soumises à la capitation pour l’avoir condamné alors qu’il était innocent et l’avoir élu ensuite consul et censeur (trad. P. Jal, CUF).
La fameuse censure de 204[1], marquée par la dispute entre les deux censeurs M. Livius Salinator et C. Claudius Nero[2], s’acheva d’une façon presque burlesque lorsque Salinator relégua parmi les aerarii trente-quatre des trente-cinq tribus[3] ! La nota collective expliquait que ces tribus avaient manifesté une trop grande légèreté soit en le condamnant malgré son innocence soit en l’élisant censeur malgré sa condamnation[4]. L’absurdité de la situation n’échappait pas à Tite-Live qui relevait que par conséquent Nero aurait pu être doublement relégué si cela était possible[5]. L’épisode était véridique ainsi que l’atteste sa fin. Il ne s’agissait pas de menaces lors d’une joute oratoire, d’une surenchère dans une dispute mais bel et bien d’un blâme infligé par Salinator puisque son acte eut des conséquences dans la vie politique. En effet un tribun, Cn. Baebius, voulut mettre en accusation les censeurs, mais les sénateurs, afin d’éviter un précédent qui aurait permis de contester le regimen morum, incitèrent les censeurs à annuler leurs décisions[6]. Il est surprenant que ce fût le Sénat qui intervint et non le collègue de Salinator qui disposait d’un droit de veto. Notons qu’à aucun moment dans la dispute l’un des deux censeurs n’utilisa son veto pour annuler le blâme que l’autre voulait lui infliger. En effet, la coutume semblait empêcher un censeur de se prononcer sur une décision de son collègue qui le concernait[7]. Or Nero appartenant à l’une des tribus sanctionnées, il était peut-être bloqué d’où le recours à un tiers et le Sénat ne voulut pas laisser ce rôle à un tribun[8]. La querelle ayant atteint son paroxysme, elle s’apaisa et la censure put se poursuivre de façon plus habituelle. Évidemment, la tentative de blâme n’eut pas de conséquences pour les citoyens des trente-quatre tribus, mais l’épisode marqua les esprits et comportait somme toute une leçon ainsi que le constatait Tite-Live[9].
[1] MRR, 1, p. 309 ; Suolahti 1963, p. 329-331.
[2] Cf. notices n° 50 et 51.
[3] Liv., 29, 37, 13 et Val. Max., 2, 9, 6.
[4] Liv., 29, 37, 14 et Val. Max., 2, 9, 6.
[5] Liv., 29, 37, 15.
[6] Liv., 29, 37, 17.
[7] Cf. Bur 2018, chapitre 2.3.
[8] Willems 1885, 1, p. 293 considère que la sanction n’aboutit pas parce que les deux censeurs n’étaient pas d’accord, bien que le récit de Tite-Live en rende explicitement le Sénat responsable.
[9] Liv., 29, 37, 16.
Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.
Suolahti 1963 : Suolahti J., The Roman censors : a study on social structure, Helsinki, 1963.
Willems 1885 : Willems P., Le Sénat de la République romaine, Paris, 1885² (2 vol.).