F. Münzer, RE, 14/2, 1930, col. 2286, n° 2 s. v. Matrinius ; DPRR n° MATR5279.
Cic., Cluent., 126 : Nuper hominem tenuem, scribam aedilicium, D. Matrinium, cum defendissem apud M. Iunium Q. Publicium praetores et M. Plaetorium C. Flaminium aedilis curulis, persuasi ut scribam iurati legerent eum quem idem isti censores aerarium reliquissent. Cum enim in homine nulla culpa inueniretur, quid ille meruisset, non quid de eo statutum esset, quaerendum esse duxerunt.
Récemment, ayant défendu un homme de peu, un scribe d’édile, D. Matrinius, devant les préteurs M. Junius, Q. Publicius, les édiles curules M. Plaetorius, C. Flaminius, je les ai persuadés de choisir pour scribe, après avoir prêté serment, celui que ces mêmes censeurs avaient laissé au rang des aerarii ; en effet, comme on ne découvrait aucune faute chez lui, ils ont estimé qu’il fallait chercher ce qu’il avait mérité, non ce qu’on avait décidé à son sujet (trad. P. Boyancé, CUF).
Cic., Fam., 2, 15, 5 (3 ou 4 août 50) = Shackleton Bailey, CLF, n° 96 : Tuae res gestae ita notae sunt ut trans montem Taurium etiam de Matrinio sit auditum.
Tes exploits sont si célèbres qu’on a entendu parler de Matrinius jusqu’au-delà du mont Taurus (trad. L.‑A. Constans et J. Bayet, CUF).
D. Matrinius n’apparaît dans nos sources que dans le Pro Cluentio et peut-être dans une lettre de Cicéron[1]. Du discours, nous apprenons que Matrinius fut blâmé par les censeurs de 70 et que Cicéron le défendit dans un procès devant les préteurs M. Junius et Q. Publicius et les édiles curules M. Plaetorius et C. Flaminius, ce qui permet de le dater de 67[2]. À cette occasion, Cicéron le désignait comme un scribe édilicien, sans que l’on sache s’il l’était déjà en 70. Néanmoins cette charge permet de supposer que Matrinius appartenait à une couche probablement assez aisée, bien qu’il soit dépeint comme un homo tenuis par Cicéron. En 70, il fut relégué parmi les aerarii par les censeurs pour un motif inconnu. Quelques années plus tard, il comparut devant deux préteurs et les deux édiles curules au cours d’un procès qui suscite des débats[3]. F. Münzer, suivi par E. Ciaceri, M. Gelzer et J.‑M. David, supposait que ce procès était disciplinaire, lié à l’exercice de sa charge de scribe[4] tandis que J. W. Crawford pensait que Cicéron plaidait pour que Matrinius obtienne cette même charge malgré sa dégradation par les censeurs[5]. Cette dernière hypothèse ne concorde pas avec ce que nous savons du recrutement des scribes et autres appariteurs de magistrats[6]. Aussi serions-nous plutôt tentés de suivre F. Münzer et de considérer que la charge de Matrinius était vraisemblablement remise en cause en raison du blâme des censeurs et de soupçons à son égard. Cela expliquerait pourquoi Cicéron présente son succès rappelant que Matrinius fut finalement choisi comme scribe par les édiles et les préteurs : il fut maintenu dans sa décurie de scribes. Cependant il est curieux que ce procès disciplinaire ait lieu trois ans après la relégation parmi les aerarii. Là encore, nous devons rappeler que les censeurs prononçaient un jugement de valeur sur un individu et sur le rang qu’il devait occuper dans la communauté. Les magistrats n’étaient pas tenus de s’y tenir et peut-être que les magistrats des années précédentes ne virent pas d’inconvénients à conserver Matrinius en poste. L’arbitraire des censeurs leur permettait de condamner d’après leur intime conviction, et leur opinion pouvait tout à fait ne pas être partagée par la majorité, même si cela était souvent le cas[7]. Matrinius était vraisemblablement déjà scribe en 70 et il fut sanctionné par les censeurs peut-être pour un motif lié à cette activité[8]. Cicéron aurait alors pu le rencontrer au cours de ses premières années de carrière, ou par l’intermédiaire d’un de ses amis, et cela expliquerait pourquoi il accepta de le défendre dans ce procès en 67.
Une quinzaine d’années plus tard, un Matrinius apparaît au détour d’une lettre de Cicéron adressée à M. Caelius Rufus. Or ce dernier était édile curule à cette date[9], indice incitant à identifier les deux personnages[10]. Ainsi D. Matrinius était vraisemblablement déjà scribe édilicien en 70 et fut relégué par les censeurs parmi les aerarii peut-être pour un soupçon lié sa charge. Peu après, en 67, un procès disciplinaire devant deux préteurs et les deux édiles curules lui permit de laver son honneur et de conserver son poste, qu’il occupait encore en 50.
[1] Cic., Cluent., 126 et Fam., 2, 15, 5.
[2] MRR, 2, p. 143 et p. 150 n. 3.
[3] Par prudence, Drumann et Groebe 1919, p. 357 n. 7 ne se prononcent pas.
[4] F. Münzer, RE, 14/2, 1930, col. 2286, n° 2 s. v. Matrinius ; Ciaceri 1964 [1939], p. 104 ; Gelzer 1969, p. 53 ; David 2012, p. 273.
[5] Crawford 1984, p. 58.
[6] Ces résultats ont été exposés par J.-M. David au cours des nombreuses séances de son séminaire doctoral qu’il consacra aux appariteurs des magistrats de la République romaine et devraient bientôt paraître.
[7] Cf. Bur 2018, chapitre 3.
[8] Mommsen 1889-1896, 4, p. 56 ; Schmähling 1938, p. 157. Cela expliquerait les réticences de certains à l’employer une fois sa conduite connue et blâmée.
[9] MRR, 2, p. 248.
[10] Néanmoins, Shackleton Bailey, CLF, p. 418 ne se prononce pas.
Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.
Ciaceri 1964 [1939] : Ciaceri E., Cicerone e i suoi tempi, 1², Rome, 1964 (1939).
Crawford 1984 : Crawford J. W., M. Tullius Cicero : The Lost and Unpublished Orations, Göttingen, 1984.
David 1992 : David J.-M., Le Patronat judiciaire au dernier siècle de la République romaine, Rome, 1992.
Drumann et Groebe 1919 : Drumann W. et Groebe P., Geschichte Roms, 5, Leipzig, 1919².
Gelzer 1969 : Gelzer M., Cicero, ein biographischer Versuch, Weisbaden, 1969².
Mommsen 1889-1896 : Mommsen T., Le Droit public romain, Paris, 1889-1896 (8 vol.).
Shackleton Bailey, CLF : Shackleton Bailey D. R., Epistulae ad familiares, Cambridge, 1977 (2 vol.).
Schmähling 1938 : Schmähling E., Die Sittenaufsicht der Censoren, Stuttgart, 1938.