Infames Romani

Scribes accusés par Caton d'Utique

Numéro
172
Identité
Catégorie
Procédures judiciaires
Sous catégorie
Condamnés dans un procès indéterminé
Date de l'épisode
-64
Source
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Plut., Cat. Mi., 16, 5-10 : Ὡς δ’ ἦσαν ἰταμοὶ καὶ τοὺς ἄλλους ἐθώπευον ὑποτρέχοντες, ἐκείνῳ δ’ ἐπολέμουν, τὸν μὲν πρῶτον αὐτὸς καταγνοὺς περὶ πίστιν ἐν κληρονομίᾳ γεγονέναι πονηρόν, ἀπήλασε τοῦ ταμιείου, δευτέρῳ δέ τινι ῥᾳδιουργίας προὔθηκε κρίσιν. ᾯ Κάτλος Λουτάτιος ὁ τιμητὴς ἀνέβη βοηθήσων, ἀνὴρ μέγα τὸ τῆς ἀρχῆς ἔχων ἀξίωμα, τὸ δὲ τῆς ἀρετῆς [ἔχων] μέγιστον, ὡς πάντων δικαιοσύνῃ καὶ σωφροσύνῃ Ῥωμαίων διαφέρων· ἦν δὲ καὶ τοῦ Κάτωνος ἐπαινέτης καὶ συνήθης διὰ τὸν βίον. Ὡς οὖν ἡττώμενος τοῖς δικαίοις ἐξῃτεῖτο φανερῶς τὸν ἄνθρωπον, οὐκ εἴα ταῦτα ποιεῖν αὐτὸν ὁ Κάτων· ἔτι δὲ μᾶλλον προσλιπαροῦντος, « αἰσχρόν » εἶπεν « ὦ Κάτλε, σὲ τὸν τιμητὴν καὶ τοὺς ἡμετέρους βίους ὀφείλοντα δοκιμάζειν, ὑπὸ τῶν ἡμετέρων ὑπηρετῶν ἐκβάλλεσθαι ». Ταύτην τὴν φωνὴν ἀφέντος τοῦ Κάτωνος, ὁ Κάτλος προσέβλεψε μὲν αὐτὸν ὡς ἀμειψόμενος, εἶπε δ’ οὐδέν, ἀλλ’ εἴθ’ ὑπ’ ὀργῆς εἴθ’ ὑπ’ αἰσχύνης ἀπῆλθε σιωπῇ διηπορημένος. Οὐ μὴν ἥλω γ’ ὁ ἄνθρωπος, ἀλλ’ ἐπεὶ μιᾷ ψήφῳ τὰς ἀφιείσας ὑπερέβαλλον αἱ καθαιροῦσαι, καὶ Λόλλιος Μᾶρκος εἷς συνάρχων τοῦ Κάτωνος ὑπ’ ἀσθενείας ἀπελέλειπτο τῆς δίκης, πέμπει πρὸς τοῦτον ὁ Κάτλος, δεόμενος βοηθῆσαι τῷ ἀνθρώπῳ, κἀκεῖνος ἐν φορείῳ <μετα>κομισθεὶς <εἰς> [μετὰ] τὴν δίκην, ἔθετο τὴν ἀπολύουσαν. Οὐ μὴν ἐχρήσατό γε τῷ γραμματεῖ [ὁ] Κάτων, οὐδὲ τὸν μισθὸν ἀπέδωκεν, οὐδ’ ὅλως ἐνάριθμον τοῦ Λολλίου τὴν ψῆφον ἔσχεν.


Comme ils [les scribes] étaient effrontés et se mirent à lui faire la guerre, tout en flattant et flagornant ses collègues, il convainquit lui-même le premier de fraude dans une affaire de succession et le chassa du Trésor, puis il intenta un procès à un second pour négligence coupable. Le censeur Lutatius Catulus se présenta pour défendre ce dernier. Catulus tirait de sa charge un grand prestige, et un plus grand encore de sa vertu, car il l’emportait sur tous les Romains en équité et en sagesse ; d’ailleurs, il était lié avec Caton et l’admirait à cause de sa conduite. Se voyant battu sur le terrain du droit, il demanda ouvertement la grâce de l’accusé. Caton eut beau le prier de n’en rien faire, il insista davantage encore. Alors Caton lui dit : « Il serait honteux, Catulus, pour toi qui est censeur et qui dois surveiller nos vies, de te faire chasser par nos serviteurs ». Lorsque Caton eut proféré ces mots, Catulus le regarda comme s’il allait lui répondre, mais il ne dit rien, et, sous l’effet de la colère ou bien de la honte, il se retira en silence tout déconfit. Cependant l’homme n’était pas vraiment condamné : certes, les suffrages portés contre lui dépassaient d’une unité ceux qui l’absolvaient, mais, comme Marcus Lollius, collègue de Caton, étant malade, n’avait pas assisté au procès, Catulus envoya chez lui un message le priant de venir en aide à l’accusé ; Lollius se fit porter en litière, et, arrivé après le procès, il déposa le suffrage d’acquittement. Malgré cela, Caton n’employa plus ce greffier, ne lui fit pas payer son salaire et ne tint absolument aucun compte du vote de Lollius (trad. R. Flacelière et E. Chambry, CUF).

Notice
Notice

Dans sa biographie de Caton d’Utique, Plutarque, qui transmet l’image de l’incorruptible aristocrate républicain, rapporte une affaire mettant aux prises Caton et deux scribes anonymes[1]. Ces derniers connaissent un destin différent, mais nous préférons par commodité étudier les deux ensemble. L’épisode se déroule en 64 lors de la questure de Caton[2]. Les scribes étaient des personnages à la lisière de l’ordre équestre, jouissant de relations privilégiées avec les aristocrates romains ainsi qu’en témoigne ce récit[3]. Le point de départ est une dispute entre Caton et l’ordre des scribes qui mena le descendant du Censeur à lancer une offensive en poursuivant quelques appariteurs[4].


Le premier scribe fut accusé de fraude dans une affaire de succession[5]. À cette date, le procès se déroulait devant la quaestio de falsis instaurée par Sylla et la peine prévue par la lex Cornelia testamentaria nummaria était l’interdiction de l’eau et du feu[6]. Plutarque, en rapportant l’exclusion du Trésor du scribe, indiquerait donc seulement une conséquence du bannissement. Cependant, son choix d’une telle périphrase est d’autant plus surprenant que préciser que Caton le fit exiler aurait été plus élogieux pour ce dernier et aurait été en accord avec l’âpreté de la lutte entre le questeur et les scribes qu’il décrit. Autrement dit, l’exclusion du Trésor pourrait être plutôt la seule peine qui le frappa, ou du moins la peine la plus significative (il se vit peut-être infligé également une amende par exemple). Dans ce cas, l’appariteur était peut-être accusé pour une faute non pas privée mais liée à l’exercice de sa fonction[7], de même que le second scribe. Il s’agirait alors d’un procès disciplinaire comparable à celui de D. Matrinius[8], devant des magistrats choisis et dont la conséquence serait l’exclusion des décuries de scribes.


Nous sommes mieux renseignés sur le procès du second scribe. Le motif indiqué par Plutarque, « négligence coupable », ne peut que désigner un procès disciplinaire à propos de l’exercice même de la charge de scribe. À bien des égards, le procès de ce scribe ressemble à celui de Matrinius[9]. Ce dernier avait bénéficié de la défense de Cicéron tandis que notre personnage reçut l’appui d’un censeur en charge, Q. Lutatius Catulus[10]. L’épisode offre à Plutarque l’occasion de faire l’éloge de Caton qui osa donner des leçons de morale, lui simple questeur, à un censeur[11]. Malgré sa virulence, Caton était sur le point d’arracher la condamnation à une seule voix de majorité, lorsque le censeur envoya chercher un juge absent pour qu’il vînt, par son suffrage, donner l’acquittement[12]. Ainsi, le scribe échappa à la condamnation et à l’exclusion de la décurie des scribes, mais ne parvint pas à éviter la honte du procès qui, en raison de l’altercation entre Caton et Catulus, dut provoquer un large scandale. La réplique cinglante de Caton fut certainement assez largement diffusée et, malgré l’acquittement, le jeune questeur refusa de manière ostentatoire d’employer un scribe qu’il jugeait indigne de sa charge[13]. Si le scribe gardait sa place, il éprouva sans doute des difficultés à être choisi par les magistrats qui, en s’associant à un personnage mal famé, auraient eu un comportement suspect. Aussi, peut-être que, comme le suppose M. Corbier, les deux scribes furent-ils contraints de démissionner[14].


En conclusion, il est possible que le premier scribe fût condamné dans un procès disciplinaire et exclu de la décurie des scribes. Cependant, le second fut acquitté et n’eut à souffrir que d’une mauvaise réputation qui pouvait entraver l’exercice de sa profession bien qu’il conservât sa charge.






[1] Plut., Cat. Mi., 16, 6-10.


[2] MRR, 2, p. 163 et 3, p. 170.


[3] C’est ce qu’a montré J.-M. David au cours des nombreuses séances de son séminaire doctoral de l’université Paris 1 consacrées aux appariteurs et dont les résultats vont paraître prochainement.


[4] Plut., Cat. Mi., 16, 1-5.


[5] Plut., Cat. Mi., 16, 6.


[6] D. 48.10.33. Cf. Bur 2018, chapitre 12.3.


[7] De par ses fonctions, le scribe pouvait avoir accès à des documents utiles pour régler des successions et il aurait ainsi participé à une forgerie au bénéfice d’un tiers, touchant une commission.


[8] Cf. notice n° 79.


[9] Cf. notice n° 79. David 2012, p. 273 indique toutefois qu’il ne semblait pas exister de procédure fixée pour les cas de ce genre.


[10] Plut., Cat. Mi., 16, 6. Le scribe pouvait avoir servi Catulus lors d’une de ses magistratures, la questure probablement puisque Caton semble s’en prendre à la décurie des scribes questoriens, voire même le servir durant sa censure puisque les scribes questoriens étaient aussi employés par les censeurs.


[11] Plut., Cat. Mi., 16, 7-8.


[12] Plut., Cat. Mi., 16, 9.


[13] Plut., Cat. Mi., 16, 10.


[14] Corbier 1974, p. 675.

Bibliographie
Bibliographie

Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.


Corbier 1974 : Corbier M., L’aerarium Saturni et l’aerarium militare, Rome, 1974.


David 2012 : David J.-M., « Compétences techniques et qualification civique », Athenaeum, 2012, 100, p. 263-280.


Clément Bur, Infames Romani n°172, Albi, INU Champollion, Pool Corpus, 2018, mis à jour le