E. Klebs, RE, 2/2, 1896, col. 1903-1904, n° 7 s. v. Ateius ; W. Will, Neue Pauly, 2, 1996, col. 222, [3] ; Nicolet 1966-1974, 2, p. 788 ; Wiseman 1971, p. 215, n° 52 ; Deniaux 1993, p. 393, D. n° 6 et p. 455-457, C n° 14 ; DPRR n° ATEI2422.
Sources :
Cic., Div., 1, 29 : In quo Appius, collega tuus, bonus augur, ut ex te audire soleo, non satis scienter uirum bonum et ciuem egregium censor C. Ateium notauit, quod ementitum auspicia subscriberet. Esto ; fuerit hoc censoris, si iudicabat emetitum ; at illud minime auguris, quod adscripsit ob eam causam populum Romanum calamitatem maximam cepisse. Si enim ea causa calamtitatis fuit, non est in eo culpa, qui obnuntiauit, sed in eo, qui non paruit. Veram enim fuisse obnuntiationem, ut ait idem augur et censor, exitus approbauit.
À ce propos, ton collègue Appius, un bon augure d’après ce que je t’entends habituellement dire, n’a pas été bien avisé de flétrir en tant que censeur C. Ateius, un homme de bien et un citoyen distingué, pour le motif qu’il aurait annoncé de faux auspices. Soit ! Comme censeur, il pouvait le condamner s’il jugeait qu’il en était ainsi ; mais ce n’était pas du tout agir en augure que d’ajouter que le peuple romain avait subi de ce fait un immense désastre. Si, en effet, c’était là la cause du désastre, la faute n’en revient pas à celui qui a fait l’annonce, mais à celui qui n’en a pas tenu compte. Que l’annonce ait été véridique, l’expérience – comme le dit le même augure et censeur – l’a prouvé ; si elle avait été fausse, elle n’aurait jamais pu causer de désastre (trad. G. Freyburger et J. Scheid).
C. Ateius Capito était un homo nouus issu vraisemblablement d’une famille équestre et originaire de Castrum Novum[1]. Il était probablement le frère de L. Ateius L. f. Ani. Capito[2], père du grand juriste d’époque augustéenne[3]. Or ce dernier aurait eu un grand-père centurion et un père préteur[4]. E. Deniaux suppose que le père de C. Ateius Capito pourrait être un soldat sorti du rang que Sylla recruta au Sénat bien que H. Hill refusât cela[5]. Néanmoins son élévation sociale semble indéniable et il réussit à la consolider puisqu’un de ses fils, le frère de notre personnage, devint préteur[6]. Cette promotion sociale du père expliquerait également que C. Ateius Capito suivit l’enseignement du juriste Ser. Sulpicius Rufus, signe d’une éducation soignée[7].
Tribun de la plèbe en 55, année du second consulat de Pompée et Crassus, C. Ateius Capito s’opposa à la politique des triumvirs[8]. Il tenta vainement d’empêcher le vote de la lex Trebonia accordant comme province pour cinq ans à Pompée l’Espagne et à Crassus la Syrie[9]. Après ce premier échec politique, Ateius eut recours à la religion pour s’opposer aux projets de Crassus. L’épisode est débattu en raison de certaines divergences dans les sources. Cicéron, seul contemporain des faits, ne fait allusion qu’à de mauvais présages observés par Ateius tandis que Plutarque et Dion Cassius font un récit plus complet où apparaissent des malédictions rituelles contre Crassus[10]. J. Bayet, refusant de ne prendre en compte que la seule source cicéronienne comme A. D. Simpson, proposa une reconstruction des faits plus pertinente[11]. Selon lui, après l’échec de son intercession, Ateius utilisa un procédé religieux devenu depuis plusieurs décennies une arme politique : l’obnuntiatio, c’est-à-dire l’« énoncé d’auspices supplémentaires contradictoires à une prise d’auspices officielle, en principe régulière [qui] doit suspendre une action qui semblait avant elle autorisée par les dieux »[12]. L’obnuntiatio fut certainement renforcée par des imprécations, des exsecrationes, à la porte même de la ville dont le rituel spectaculaire retint l’attention de Plutarque qui souhaitait donner une coloration mystérieuse à son récit[13]. Malgré cela, Crassus partit de Rome avec son armée pour mener une campagne qui allait aboutir au retentissant désastre de Carrhes en 53.
Or, en 50, Cicéron nous apprend que le censeur Ap. Claudius Pulcher[14] nota C. Ateius Capito (notauit)[15]. Le terme désigne le fait de rendre public le motif d’une exclusion, soit de l’ordre équestre soit du Sénat[16]. Le plus probable reste une exclusion du Sénat puisqu’Ateius avait exercé le tribunat de la plèbe en 55. Depuis cette date, il siégeait peut-être dans la curie grâce au ius s. d., soit grâce à son tribunat soit, plus probablement, à une questure dont nous n’avons gardé aucune trace[17]. Dans ce cas, Ateius aurait été praeteritus. En revanche, s’il avait été recruté par les censeurs de 55 – en particulier si sa questure était antérieure à son tribunat – il pourrait avoir été motus.
Le texte de Cicéron précise également le motif de la sanction de Claudius : « car il signala qu’il avait falsifié les auspices » (quod ementitum auspicia subscriberet). Claudius, collègue dans l’augurat de Cicéron, mettait ainsi en avant une raison religieuse et l’on retrouve cette expression à quatre reprises dans les sources[18]. D. Wardle suggère que ces termes seraient issus de la nota même d’Ap. Claudius[19]. Il fait également remarquer que le subjonctif subscriberet indique que Cicéron désigne l’opinion de Claudius. Nous aurions alors bien ici le motif officiel de l’exclusion du Sénat de C. Ateius Capito tel qu’il fut inscrit à côté de son nom[20]. Cette raison est immédiatement acceptée par Quintus dans le discours parce que les censeurs doivent punir le mensonge. Aussi D. Wardle suppose-t-il qu’il devait y avoir des témoins pouvant infirmer les auspices pris par Ateius car même Cicéron ne semble pas avoir de doutes à ce sujet[21]. L’épisode de 55 dut faire moins de bruit que ne le laisse entendre Plutarque, comme en témoigne la correspondance de Cicéron qui l’évoque à peine[22].
À la suite du désastre de Carrhes, l’action d’Ateius apparut sous un jour nouveau. Ses malédictions furent mises en avant pour expliquer l’issue fatale de la campagne contre les Parthes. Or c’est cette opinion que combat Quintus dans notre passage. Selon lui, le censeur Claudius peut reprocher à Capito d’avoir inventé de faux mauvais présages pour des raisons politiques, mais il ne peut pas l’accuser d’être responsable du malheur de l’expédition. Ainsi, le censeur punit un sénateur indigne parce qu’il avait falsifié quelque chose d’aussi important que des auspices et accentua peut-être le blâme en le présentant comme responsable du drame syrien, jouant sur les craintes populaires.
Cependant cette expulsion s’explique peut-être également par des motifs partisans[23]. Ap. Claudius Pulcher était un membre influent des optimates tandis que C. Ateius Capito était en 44 un césarien[24]. Bien qu’il fût un ami loyal de Cicéron, nous ne pouvons affirmer qu’il était encore proche des optimates en 50 et qu’il ne rejoignit César qu’après avoir été exclu du Sénat. En effet, il conseilla à Cicéron de rejoindre le parti césarien et Cicéron écrit de lui qu’il semper Caesarem coluit et dilexit[25]. Cette lettre du début 46 ne permet pas de dater son rapprochement avec César[26]. C’était peut-être pour cette raison justement que sévit Appius Claudius qui avait déjà exclu Salluste, un césarien notoire[27]. Bien sûr, Ateius était un ami de Cicéron[28] et nous aurions de bonnes raisons de penser qu’il était plutôt favorable aux optimates qu’il servait en 55 en s’opposant à Pompée et Crassus. Mais dans ce cas, pourquoi le sanctionner en 50 ? Soit un retournement s’était produit, soit Ateius, parce qu’il n’était pas un membre éminent de l’aristocratie, donc sacrifiable, fut offert par les optimates comme bouc émissaire à la plèbe pour expliquer le désastre de Carrhes. Peut-être même que cette dernière le réclamait nommément si le souvenir de 55 était encore présent dans les esprits. En définitive, il nous paraît impossible de déterminer si l’appartenance au parti césarien était une cause ou une conséquence de l’exclusion du Sénat de C. Ateius Capito.
Toutefois, se rapprocher de César ne permit à Ateius, d’après nos sources, que d’obtenir, en 44, un poste de préfet en Épire affecté à la distribution de terres aux vétérans[29]. Peu auparavant, en 46, Ateius avait obtenu grâce au soutien de L. Munatius Plancus sollicité par son ami Cicéron[30], l’héritage de T. Antistius qui avait été proche de Pompée. Cette intervention aurait permis à Capito de figurer ensuite dans la commission de 44 en Épire où se trouvait le frère de L. Munatius. Il semblerait donc qu’à la suite de son tribunat l’hostilité des triumvirs ait pu paralyser la carrière d’Ateius ensuite anéantie par l’exclusion du Sénat de 50. L’entrée dans le camp césarien, qui eut lieu peu avant ou peu après la lectio senatus, ne lui offrit apparemment pas le nouveau départ espéré puisqu’il n’obtint qu’une préfecture en 44, à la toute fin de la dictature de César. Un Ateius fut d’ailleurs proscrit en 43, peut-être notre personnage en raison de son amitié pour Cicéron[31]. Nous ne disposons d’aucune information sur d’éventuels descendants de C. Ateius Capito, mais nous avons déjà signalé ci-dessus son neveu, C. Ateius Capito, qui connut une belle carrière de juriste à l’époque augustéenne.
[1] Wiseman 1971, p. 215, n° 52.
[2] E. Klebs, RE, 2/2, 1896, col. 1910, n° 9 s. v. Ateius ; David 1992, p. 855.
[3] P. Jörs, RE, 2/2, 1896, col. 1904-1910, n° 8 s. v. Ateius ; A. Stein, PIR², 1, 1933, p. 260-261, A 1279 ; T. Giaro, Neue Pauly, 2, 1997, col. 150, [6] ; Bauman 1989, p. 27-62.
[4] Tac., Ann., 3, 75.
[5] Deniaux 1993, p. 456 contra Hill 1932.
[6] MRR, 2, p. 462.
[7] Deniaux 1993, p. 393 d’après D. 1.2.2.44.
[8] Niccolini 1934, p. 309-310 ; MRR, 2, p. 216.
[9] Plut., Cat. Mi., 43 ; D.C., 39, 32, 3 et 35-38.
[10] Cic., Div., 1, 29 ; Plut., Crass., 16 et D.C., 39, 39. D’autres sources font le récit de ces événements : Vell., 2, 46 ; Luc., Phars., 3, 126-127 ; Flor., 3, 11, 3 ; App., BC, 2, 18.
[11] Bayet 1960 contra Simpson 1938.
[12] Bayet 1960, p. 38.
[13] Bayet 1960, p. 42-43 et 45.
[14] Sur la censure d’Ap. Claudius Pulcher et L. Calpurnius Piso Caesoninus en 50 : MRR, 2, p. 247-248 et Suolahti 1963, p. 483-490.
[15] Cic., Div., 1, 29.
[16] Cf. Bur 2018, chapitre 4.5.
[17] Cf. Bur 2018, chapitre 4.2.3.
[18] Liv., 21, 63, 5 et Cic., Phil., 2, 83 et 88 et 3, 9.
[19] Wardle 2006, p. 185.
[20] Ateius était certainement inscrit sur l’album senatus comme détenteur du ius s. d. s’il n’était pas sénateur effectif depuis la lectio de 55.
[21] Wardle 2006, loc. cit.
[22] Cic., Att., 4, 13, 2 parle du départ honteux de Crassus et Fam., 1, 9, 20 ne dit rien des incidents dus aux tribuns.
[23] A. O’Brien Moore, RE, Suppl. 6, 1935, s. v. Senatus, p. 689 explique l’exclusion uniquement à cause de l’emploi abusif de ses pouvoirs par l’annonce fausse de mauvais présages.
[24] Cic., Fam., 13, 29, 6 ; Att., 13, 33, 4.
[25] Cic., Fam., 13, 29, 6 (début 46).
[26] E. Klebs, RE, 2/2, 1896, col. 1910, n° 9 s. v. Ateius déduisait du recours à L. Munatius Plancus dans l’affaire exposée ci-dessous que Capito n’était pas un partisan véritable de César. Cela pouvait aussi s’expliquer par le faible statut d’Ateius qui ne jouissait pas d’une grande considération.
[27] Cf. notice n° 32.
[28] Ce dernier, encore en 44 dans son De Diuinatione (1, 29) le qualifiait de scienter uirum bonum et ciuem egregium.
[29] MRR, 2, p. 332 et 3, p. 26 d’après Cic., Att., 16, 16A, B et E à Plancus, C et F à Capito, D à Cupiennius ; Att., 14, 12, 1 et 17, 2 et 20, 3 et 15, 2, 2 et 15, 1 et 29, 3 et 16, 2, 1 et 4, 3.
[30] Cic., Fam., 13, 29 étudiée par Deniaux 1993, p. 455-457, C. n° 14.
[31] Hinard 1985a, p. 446-447, n° 34.
Bauman 1989 : Bauman R. A., Lawyers and Politics in the Early Roman Empire. A study of relations between the Roman jurists and the emperors from Augustus to Hadrian, Munich, 1989.
Bayet 1960 : Bayet J., « Les malédictions du tribun C. Ateius Capito », dans Hommages à G. Dumézil, Bruxelles, 1960, p. 31‑45.
Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.
Deniaux 1993 : Deniaux E., Clientèles et pouvoir à l’époque de Cicéron, Rome, 1993.
Hill 1932 : Hill H., « Sulla’s new senators in 81 B.C. », CQ, 1932, 26, p. 170-177.
Hinard 1985a : Hinard F., Les Proscriptions de la Rome républicaine, Rome, 1985.
Niccolini 1934 : Niccolini G., I Fasti dei tribuni della plebe, Milan, 1934.
Nicolet 1966-1974 : Nicolet C., L’Ordre équestre à l’époque républicaine (312-43 av. J.-C.), Paris, 1966-1974 (2 vol.).
Simpson 1938 : Simpson A. D., « The departure of Crassus for Parthia », TAPhA, 1938, 69, p. 532-541.
Suolahti 1963 : Suolahti J., The Roman censors : a study on social structure, Helsinki, 1963.
Wardle 2006 : Wardle D., Cicero. On Divination, 1, Oxford, 2006.
Wiseman 1971 : Wiseman T. P., New Men in the Roman Senate, Londres, 1971.