F. Münzer, RE, 5/2, 1905, col. 1994, n° 8 s. v. Egnatius ; Syme 1955, p. 61 ; DPRR n° EGNA3179.
Cic., Cluent., 135 : Vnum etiam est quod me maxime perturbat, cui loco respondere uix uideor posse, quod elogium recitasti de testamento Cn. Egnati patris, hominis honestissimi uidelicet et sapientissimi, idcirco se exheredasse filium quod is ob Oppianici condemnationem pecuniam accepisset. De cuius hominis leuitate et inconstantia plura non dicam ; hoc testamentum ipsum quod recitas eius modi est ut ille, cum eum filium exheredaret quem oderat, ei filio coheredes homines alienissimos adiungeret quem diligebat. Sed tu, Atti, consideres censeo diligenter utrum censorium iudicium graue uelis esse an Egnati. Si Egnati, leue est quod censores de ceteris subscripserunt ; ipsum enim Cn. Egnatium quem tu grauem esse uis ex senatu eiecerunt ; sin autem censorium, hunc Egnatium quem pater censoria subscriptione exheredauit censores in senatu, cum patrem eicerent, retinuerunt.
Il est encore un point qui me trouble beaucoup, une question à laquelle je crois bien avoir de la peine à répondre, l’extrait que tu as lu du testament de Cn. Egnatius le père, un homme, évidemment, des plus honorables et des plus éclairés ! Il a déshérité, dit-il, son fils parce qu’il avait reçu de l’argent pour condamner Oppianicus. Je ne m’étendrai pas sur l’inconséquence et la légèreté du personnage. Ce testament même dont tu donnes lecture a ceci de particulier que, déshéritant le fils qu’il haïssait, il joignait comme cohéritiers, des personnes très étrangères au fils qu’il chérissait. Mais toi, Attius, veuille, je t’en prie, considérer soigneusement à quel jugement tu désires donner le plus de poids, à celui des censeurs ou à celui d’Egnatius. Si c’est à celui d’Egnatius, les notes des censeurs sur les autres juges n’ont aucun poids ; car ils ont chassé du Sénat Cn. Egnatius lui-même, que toi tu prétends plein d’autorité ; si c’est au contraire à celui des censeurs, les censeurs ont maintenu au Sénat, alors qu’ils en avaient chassé le père, cet Egnatius que son père déshérite par une note digne des censeurs (trad. P. Boyancé, CUF).
Cn. Egnatius est connu uniquement par ce passage de Cicéron. En raison de son nom, C. Nicolet le rapproche de L. Egnatius Rufus, chevalier romain et proche de Cicéron[1]. D’après lui, ce nomen, Egnatius, indiquerait une origine samnite et campanienne et il signale également que des sénateurs portant ce nom sont attestés dès le IIe siècle[2]. Nous savons simplement que Cn. Egnatius fut exclu du Sénat par les censeurs de 70[3] pour un motif inconnu. Il n’est attesté par cet extrait du Pro Cluentio de Cicéron que parce que son fils fut un des juges lors du procès d’Oppianicus en 74[4]. Il était donc nécessairement lui-aussi sénateur en raison de la composition des jurys à cette date. Son père, qui le soupçonnait d’avoir reçu des pots-de-vin, le déshérita. Cicéron met en avant l’étonnement de voir le père exclu du Sénat tandis que le fils, pourtant fortement soupçonné de corruption, put rester dans la curie. La surprise de Cicéron pourrait nous servir à expliquer la dégradation du père. En effet la conduite du père devrait être plus grave que celle du fils pour justifier son expulsion alors que l’autre, bien que déshérité par son père pour sa vénalité présumée, était maintenu. Peut-être que Cn. Egnatius le père avait agi à ce propos sans consulter son consilium, ou sans preuve et que les censeurs le punirent d’avoir ainsi renié un fils soit innocent soit sans respecter la procédure habituelle. Cicéron indique par une habile prétérition certains défauts de Cn. Egnatius contraires à l’ethos aristocratique : la légèreté (leuitas) et l’inconséquence (inconstantia). Le choix des nouveaux héritiers de Cn. Egnatius, qualifiés de « personnes très étrangères » (homines alienissimos), pourrait éventuellement renvoyer à une pratique qui connut ses heures de gloire sous l’Empire : la captation d’héritages. Le verbe employé par Cicéron pour désigner l’expulsion (eicere) renvoie bien à une exclusion de l’album sur lequel il devait figurer au moins depuis la dernière lectio (soit en 86 lors de la censure sous la domination de Cinna soit lors de la lectio exceptionnelle de Sylla, cette dernière pouvant expliquer éventuellement son appartenance au Sénat)[5]. Cn. Egnatius était certainement un sénateur déjà assez âgé puisque son fils faisait partie lui-aussi du Sénat. F. Münzer suggère en outre que la mort de Cn. Egnatius le père devait être survenue avant le procès de Cluentius en 66 en raison de la connaissance que Cicéron a de son testament. Il n’est cependant pas besoin de supposer le décès de Cn. Egnatius pour que son testament fût rendu public puisque ce dernier devait avoir été scellé en présence de témoins. Cela peut justement être la connaissance de ce testament qui alerta les censeurs en présentant Cn. Egnatius comme un vieil homme abusé, peut-être trop facilement, par des personnages désireux de recueillir son héritage. Dans notre hypothèse, Cn. Egnatius aurait alors montré son incapacité à agir en tant que pater familias respectable ce qui aurait provoqué son exclusion. Dans tous les cas, il semble bien que le testament soit une illustration de cette leuitas et de cette inconstantia dénoncées par Cicéron qui constituèrent peut-être le motif présenté par les censeurs en 70.
Nous ne sommes pas mieux renseignés sur son fils, si ce n’est que R. Syme a permis de le distinguer du monétaire de 73 environ[6]. Cn. Egnatius le fils serait donc resté au Sénat après 70 mais nous n’avons aucune indication sur sa carrière. L’autre fils qui aurait été maintenu sur le testament en compagnie de personnes éloignées nous est en revanche complètement inconnu.
[1] Nicolet 1966-1974, 2, p. 866-868, n° 134.
[2] Ainsi Cn. Egnatius C. f. Stel. qui apparaît sur un sénatus-consulte de 165 (cf. Holleaux 1924, p. 383 et 392 n. 3).
[3] MRR, 2, p. 126-127 et Suolahti 1963, p. 457-464.
[4] Cic., Cluent., 135.
[5] Cf. Bur 2018, chapitre 4.1.
[6] Syme 1955, loc. cit. qui est suivi par MRR, 3, p. 85 corrigeant MRR, 2, p. 490 qui proposait d’identifier les deux personnages.
Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.
Nicolet 1966-1974 : Nicolet C., L’Ordre équestre à l’époque républicaine (312-43 av. J.‑C.), Paris, 1966-1974 (2 vol.).
Suolahti 1963 : Suolahti J., The Roman censors : a study on social structure, Helsinki, 1963.
Syme 1955 : Syme R., « Missing Senators », Historia, 1955, 4, p. 52-71.