Liv., 24, 18, 2-9 (a. 214) : Censores, uacui ab operum locandorum cura propter inopiam aerarii, ad mores hominum regendos animum aduerterunt castigandaque uitia quae, uelut diutinis morbis aegra corpora ex sese gignunt, eo enata bello erant. Primum eos citauerunt qui post Cannensem <cladem a re publica defecisse> dicebantur. Princeps eorum M. Caecilius Metellus quaestor tum forte erat. Iusso deinde eo ceterisque eiusdem noxae reis causam dicere cum purgari nequissent, pronuntiarunt uerba orationemque eos aduersus rem publicam habuisse, quo coniuratio deserendae Italiae causa fieret. Secundum eos citati nimis callidi exsoluendi iuris iurandi interpretes, qui captiuorum ex itinere regressi clam in castra Hannibalis solutum quod iurauerant redituros rebantur. His superioribusque illis equi adempti qui publicum equum habebant, tribuque moti aerarii omnes facti. Neque senatu modo aut equestri ordine regendo cura se censorum tenuit. Nomina omnium ex iuniorum tabulis excerpserunt qui quadriennio non militassent, quibus neque uacatio iusta militiae neque morbus causa fuisset. Et ea supra duo milia nominum in aerarios relata tribuque omnes moti ; additumque tam truci censoriae notae triste senatus consultum, ut ei omnes quos censores notassent pedibus mererent mitterenturque in Siciliam ad Cannensis exercitus reliquias, cui militum generi non prius quam pulsus Italia hostis esset finitum stipendiorum tempus erat.
Les censeurs, libérés du souci des mises en adjudication des travaux publics en raison du vide du trésor, s’appliquèrent à régler les mœurs et à corriger les vices qui, telles les tares que les corps malsains engendrent d’eux-mêmes au cours de longues maladies, étaient nés de cette guerre. Ils commencèrent par citer devant eux ceux qui < après le désastre de Cannes, avaient songé, dit-on, à abandonner l’Italie >. Le principal d’entre eux, M. Caecilius Metellus, était justement alors questeur. Ils furent ensuite, lui et tous les autres accusés de la même faute, invités à plaider leur cause, et, comme ils n’avaient pas pu se disculper, les censeurs prononcèrent leur verdict : ils avaient eu des paroles et tenu des discours contraires aux intérêts de l’État, de façon à former une conjuration tendant à faire abandonner l’Italie. Après eux furent cités à comparaître des prisonniers qui, interprètes trop habiles des serments et de la façon dont on peut s’en libérer, étaient, en cours de route, revenus en cachette dans le camp d’Hannibal et pensaient être libérés de leur serment d’y retourner. À eux et aux précédents fut enlevé le cheval public pour ceux qui le possédaient ; ils furent tous aussi changés de tribu et faits aerarii. La surveillance des censeurs ne se borna pas d’ailleurs à corriger la conduite du sénat et de l’ordre équestre ; ils relevèrent dans les listes des jeunes mobilisables les noms de tous ceux qui n’avaient pas fait leur service militaire pendant quatre ans sans avoir eu d’exemption légitime de service ou de maladie pour excuse. Et leurs noms – plus de 2 000 – furent inscrits sur la liste des aerarii et tous furent changés de tribu. À cette flétrissure si impitoyable des censeurs s’ajouta un terrible sénatus-consulte : tous ceux que les censeurs avaient flétris devaient servir dans l’infanterie et seraient envoyés en Sicile rejoindre les restes de l’armée de Cannes, catégorie de soldats dont le temps de service ne prendrait fin qu’après l’expulsion d’Italie de l’ennemi (trad. P. Jal, CUF, modifiée).
Liv., 24, 43, 2-4 (a. 214-213) : Romae cum tribuni plebis noui magistratum inissent, extemplo censoribus P. Furio et M. Atilio a <M.> Metello tribuno plebis dies dicta ad populum est – quaestorem eum proximo anno adempto equo tribu mouerant atque aerarium fecerant propter coniurationem deserendae Italiae ad Cannas factam – sed nouem tribunorum auxilio uetiti causam in magistratu dicere dimissique [fuerant]. Ne lustrum perficerent, mors prohibuit P. Furii ; M. Atilius magistratu se abdicauit.
À Rome, à peine les nouveaux tribuns de la plèbe étaient-ils entrés en fonctions que les censeurs P. Furius et M. Atilius furent cités à comparaître devant le peuple par < M. > Metellus, tribun de la plèbe. Alors qu’il était questeur l’année précédente, ils l’avaient privé de son cheval, exclu de sa tribu et fait aerarius, en raison du complot fomenté à Cannes en vue d’abandonner l’Italie. Mais grâce à l’aide des neuf autres tribuns, il leur fut interdit de plaider leur cause pendant leur magistrature et ils obtinrent un non-lieu. La mort de P. Furius les empêcha de clôturer le lustre et M. Atilius se démit de sa magistrature (trad. P. Jal, CUF).
Liv., 27, 11, 12 (a. 209) : Inde alius lectus senatus octo praeteritis, inter quos M. Caecilius Metellus erat, infamis auctor deserendae Italiae post Cannensem cladem.
Puis on dressa la liste du nouveau sénat, huit individus en ayant été refusés, dont M. Caecilius Metellus, qui s’était déshonoré en proposant d’abandonner l’Italie après le désastre de Cannes (trad. P. Jal, CUF, modifiée).
Val. Max., 2, 9, 8 : Turpis etiam metus censores summa cum seueritate poenam exegerunt : M. enim Atilius Regulus et L. Furius Philus M. Metellum quaestorem conpluresque equites Romanos, qui post infeliciter commissam Cannensem pugnam cum eo abituros se Italia iurauerant, dereptis equis publicis inter aerarios referendos curauerunt.
Ce fut encore à une peur déshonorante que les censeurs ont infligé une peine avec la plus extrême sévérité, quand M. Atilius Regulus et L. Furius Philus, voyant que le questeur M. Metellus et un nombre important de chevaliers romains, après le désastre de Cannes, avaient juré de partir avec lui d’Italie, leur enlevèrent le cheval que l’État leur fournissait et les firent rétrograder dans la catégorie des citoyens privés du droit de vote (trad. R. Combès, CUF).
Val. Max., 5, 6, 7 : Non est extinctus pro re publica superior Scipio Africanus, sed admirabili uirtute ne res publica extingueretur prouidit : siquidem cum adflicta Cannensi clade urbs nostra nihil aliud quam praeda uictoris esse [Hannibalis] uideretur, ideoque reliquiae prostrati exercitus deserendae Italiae auctore Q. Metello consilium agitarent, tribunus militum admodum iuuenis stricto gladio mortem unicuique mi<ni>tando iurare omnes numquam se relicturos patriam coegit pietatemque non solum ipse plenissimam exhibuit, sed etiam ex pectoribus aliorum abeuntem reuocauit.
Il n’a pas péri de ce qu’il faisait pour l’État, le premier Africain, mais sa valeur admirable lui a permis d’éviter que l’État ne pérît, puisque, au moment où la défaite de Cannes avait abattu notre ville et fait qu’elle semblait ne plus être que la proie de son vainqueur, qui était Hannibal, au moment où cette situation poussait ceux qui survivaient, après l’écrasement de notre armée, à projeter de s’enfuir hors de l’Italie, à l’appel de Q. Metellus, lui, qui n’était que tribun militaire, et tout jeune encore, il sortit son épée et, en les menaçant de mort l’un après l’autre, il les obligea tous à jurer qu’ils n’abandonneraient jamais leur patrie : le respect qu’il ressentait pour ses obligations, non seulement il l’a manifesté lui-même dans toute sa profondeur, mais, quand <ce respect> abandonnait le cœur des autres, il l’y a fait revenir (trad. R. Combès, CUF).
Nepotian., 2, 9, 8 (Epitome de Valère Maxime) : Post Cannensem cladem M. Metellus quaestor multique equites Romani dignitate deiecti et in aerario<s> relati sunt a M. Atilio Regulo et L. Furio P<h>ilo censoribus, ob id quod iurauerant se Italia abituros.
Après la défaite de Cannes, le questeur M. Metellus et beaucoup de chevaliers Romains furent déchus de leur dignité et relégués parmi les aerarii par les censeurs M. Atilius Regulus et L. Furius Philus, parce qu’ils avaient juré qu’ils abandonneraient l’Italie.
Paris, 2, 9, 8 (Epitome de Valère Maxime) : M. Atilius Regulus et L. Furius P<h>ilus M. Metellus quaestorem conpluresque equites Romanos, qui post Cannensem pugnam abituros se Italia iurauerant, aerarios fecerunt.
M. Attilius Regulus et L. Furius Philus firent aerarii le questeur M. Metellus et plusieurs chevaliers Romains qui après la bataille de Cannes avaient juré de quitter l’Italie.
Paris, 5, 6, 7 (Epitome de Valère Maxime) : Scipio Africanus post Cannensem cladem, Metello consilium agitante de relinquenda Italia, ipse, tribunus militum iuuenis admodum, stricto gladio mortem unicuique minitando iurare omnes coegit numquam se patriam relicturos.
Scipion l’Africain, après la défaite de Cannes, alors que Metellus encourageait le conseil à quitter l’Italie, bien qu’il ne fût qu’un jeune tribun militaire, tira son épée et les menaçant chacun leur tour, il les força tous lui-même à jurer de ne jamais abandonner leur patrie.
Au lendemain de la défaite de Cannes du 2 août 216, l’abattement gagna les Romains à tel point qu’un petit groupe de jeunes gens aurait envisagé d’abandonner l’Italie. L’épisode est rapporté par de nombreux auteurs[1], parmi lesquels Tite-Live, Valère Maxime, Silius Italicus et Orose qui présentent un Caecilius Metellus comme le chef de la coterie. L’affaire lui coûta cher puisqu’il fut pour cela exclu de l’ordre équestre, fait aerarius et changé de tribu par les censeurs de 214 avant d’être finalement écarté du Sénat par ceux de 209[2]. Nous sommes immédiatement confrontés à un premier problème car les textes offrent trois prénoms différents pour notre personnage. Ainsi Tite-Live l’appelle Lucius à deux reprises dans son récit du complot[3] mais Marcus lorsqu’il rapporte les blâmes censoriaux[4] et Valère Maxime donne Quintus pour le chef de la conjuration[5] et Marcus pour le jeune chevalier dégradé en 214[6]. Quintus n’apparaît que dans le récit du complot de Valère Maxime et peut être considéré comme une confusion de l’auteur ou une erreur d’un copiste[7]. Il nous reste alors le choix entre Marcus et Lucius. Dans les deux cas, il s’agissait très probablement d’un fils de L. Caecilius Metellus, le consul de 251[8] et donc d’un frère de Q. Metellus, consul en 206[9].
M. ou L. Caecilius Metellus, qui était présent à la bataille de Cannes, est décrit dans nos sources comme l’instigateur du complot visant à abandonner l’Italie qui fut déjoué d’après la tradition par Scipion, le futur Africain. Deux ans plus tard, en 214, nous retrouvons notre personnage dans le récit livien sur la censure de M. Atilius Regulus et P. Furius Philus[10]. Ces derniers convoquèrent les jeunes aristocrates qui avaient songé à quitter l’Italie, parmi lesquels figurait Metellus[11]. Le regimen morum se déroulait normalement au cas par cas, avec convocation individuelle, la comparution obligatoire des chevaliers se déroulant en préambule de chaque tribu[12]. Pourtant Tite-Live indique un ordre de convocation (primum puis secundum) et surtout donne l’impression d’une comparution collective qui s’oppose à la procédure habituelle. Les termes causam dicere appartiennent au vocabulaire judiciaire et renvoient clairement à l’entretien qu’avaient les censeurs avec le chevalier lors de la recognitio equitum. Bien que Tite-Live présente l’épisode comme un procès collectif intenté par les censeurs, il nous paraît plus probable que la procédure traditionnelle fût respectée. Pour chaque tribu, ils interrogèrent d’abord, l’un après l’autre, les chevaliers soupçonnés d’avoir participé au complot puis les prisonniers qui avaient trompé Hannibal[13]. Metellus, alors qu’il se présentait devant les censeurs comme tous les autres chevaliers, fut considéré par eux comme indigne de son rang parce qu’il avait fomenté un complot[14]. La même dégradation fut infligée à tous : retrait du cheval public, relégation parmi les aerarii et changement de tribu[15]. La forme aggravée du blâme, puisque l’exclusion de l’ordre équestre n’impliquait pas toujours d’être fait aerarius et changé de tribu[16], révèle la sévérité des censeurs qui souhaitaient faire un exemple. En cela, ils poursuivaient l’effort engagé par le Sénat avec la punition des legiones Cannenses pour encourager le peuple Romain à continuer la guerre contre Hannibal[17].
Cependant, dans les trois passages rapportant le blâme de 214, Metellus est présenté comme questeur par Tite-Live et Valère Maxime qui s’appuie probablement sur le récit livien[18]. Ainsi, malgré l’affaire de 216, les citoyens romains l’avaient élu en 215 à la première magistrature du cursus honorum. Plus étonnant encore, ils le choisirent comme tribun de la plèbe pour 213, donc vraisemblablement peu après qu’il eut reçu le blâme des censeurs ! Si l’élection de 215 pouvait s’expliquer par le fait que le peuple Romain n’avait pas eu vent des événements de 216, en revanche celle de 214 suit l’humiliation publique et le déclassement des conjurés. Il est dès lors difficile de soutenir que Metellus ait pu être perçu comme le représentant des vaincus de Cannes qui étaient châtiés pour l’exemple et que l’on aurait élu par sympathie et compassion, peut-être pour manifester un désaccord avec la sévérité du Sénat. En effet d’autres personnages auraient mieux incarné ce rôle parmi ceux qui n’étaient pas blâmés par les censeurs de 214 pour complot. Aussi, plutôt que de mettre en doute l’historicité du complot de Metellus comme R. J. Evans[19], peut-être faut-il modifier la teneur de son projet. Notre épisode rappelle le projet d’abandonner Rome pour Véies après la prise de la Ville par les Gaulois. Dans les deux cas, un personnage hors du commun mena l’opposition, Camille en 390/386 et Scipion en 216. Nous pourrions supposer que la légende sur le déménagement à Véies ait contaminé le récit des événements de 216, permettant d’identifier Scipion à Camille. Metellus ne proposait peut-être que de demander la paix à Carthage et reconnaissait la supériorité punique après la succession de défaites romaines que Cannes venait couronner. Une partie de la noblesse le rejoignit mais se heurta aux jusqu’au-boutistes. Ce dernier courant triompha à Rome et fut incarné principalement par le Sénat lorsqu’il punit les legiones Cannenses et par les censeurs de 214 qui pourchassèrent les réfractaires[20]. Le débat avait peut-être même été porté au Sénat par certains, à l’instigation de Metellus, et Orose pourrait en avoir gardé le souvenir[21]. Pour y mettre un terme, en 214, M. Atilius Regulus et P. Furius Philus assimilèrent la volonté de demander la paix à une trahison (eos aduersus rem publicam écrit Tite-Live[22]). La tradition déforma les faits de manière à donner un récit conforme aux accusations portées par les partisans de la guerre à outrance qui dominaient Rome alors et à qui la suite des événements donna raison. Scipion, qui incarnait la résistance et la victoire finale romaines, fut sans doute ajouté ensuite pour accroître son prestige et donner un caractère prophétique à l’anecdote. Si notre hypothèse est correcte, nous comprendrions alors pourquoi Metellus put être élu malgré son projet avorté de 216 et le blâme des censeurs : une partie de la population était favorable à ses idées. Cela expliquerait également le traitement distinct des fils de sénateur et des autres survivants de Cannes dénoncé dans la lettre envoyée par les legiones Cannenses au Sénat en 212[23]. D’ailleurs, Metellus n’était pas parti en Sicile avec ces légions parce qu’il avait été élu questeur pour 214 et qu’il avait pu mettre en avant cette charge à venir au moment où s’organisait leur départ[24].
Le 10 décembre 214, Metellus devint tribun de la plèbe et lança presque immédiatement des poursuites devant le peuple contre les censeurs toujours en charge[25]. Tite-Live présente son action comme une vengeance personnelle[26] rappelant l’épisode de C. Atinius Labeo Macerio[27]. À l’instar de celui-ci survenant dans la période suivant la première crise gracchienne, la procédure engagée par Metellus pourrait s’insérer dans la querelle entre partisans de la guerre et de la paix et avoir une teneur politique plutôt que personnelle. Toutefois, la majorité des tribuns était favorable au parti de la guerre et Metellus, mis en minorité, fut contraint de s’arrêter. Après cet épisode, Metellus disparaît de nouveau du récit livien jusqu’en 209.
Cette année-là, les censeurs P. Sempronius Tuditanus et M. Cornelius Cethegus[28] poursuivirent l’action de leurs prédécesseurs et blâmèrent aussi bien les chevaliers des legiones Cannenses que les réfractaires[29]. Tuditanus punit des complices de Metellus innocentés en 214 peut-être parce qu’il avait été tribun militaire lors de la bataille de Cannes et disposait de meilleures informations[30]. Surtout, Tite-Live nous apprend que Metellus faisait partie des huit praeteriti[31]. L’expression est habituellement traduite par « exclus du Sénat » ce qui suppose que Metellus faisait partie du Sénat. Si Metellus était sénateur, alors il avait été recruté lors d’une lectio précédente. Il est impensable qu’il fût choisi par les censeurs de 214 qui l’avaient privé de son cheval mais il pouvait être entré dans la curie lors de la lectio exceptionnelle de 216 de Fabius Buteo[32]. Jeune noble, Metellus faisait partie de ceux qu’on jugeait destinés à devenir un jour membre du Sénat. Cependant deux arguments s’opposent à cette possibilité. Fabius Buteo sélectionna les nouveaux sénateurs selon des critères purement objectifs transmis par Tite-Live[33]. Or Metellus n’avait, en 216, ni revêtu de magistrature curule, ni l’édilité, ni même la questure ou le tribunat qu’il exerça en 214 et 213 respectivement. Il n’avait pas non plus obtenu de couronne civique et ne s’était pas illustré durant la guerre à notre connaissance. Au contraire, il faisait partie des legiones Cannenses qui furent presque immédiatement châtiées par le Sénat. Metellus était donc loin de répondre aux conditions choisies par Buteo. Surtout, s’il avait été malgré tout recruté en 216, les censeurs de 214 qui lui infligèrent toutes les punitions censoriales possibles l’auraient très certainement exclu du Sénat. Nous ne pouvons pas attribuer cela à un oubli de Tite-Live qui précise à deux reprises que Metellus avait été privé de son cheval, relégué parmi les aerarii et changé de tribu. Il faut en conclure qu’en 214, Metellus n’appartenait pas au Sénat[34]. Pouvait-il y être entré entre 214 et 209 ? Il avait certes revêtu la questure en 214 et on pourrait penser qu’au terme de celle-ci, il avait bénéficié du ius sententiam dicere[35]. Metellus fut praeteritus, c’est-à-dire qu’il avait une certaine légitimité à entrer au Sénat mais qu’il fut refusé par les censeurs[36]. Ce refus fut peut-être explicité par une nota transmise parce que Metellus jouissait du ius s. d. et qu’il pouvait être inscrit sur l’album à la suite des sénateurs recrutés en 214[37]. Le refus de Tuditanus et Cethegus de le recruter était une nouvelle humiliation publique. Il est également fort probable que les sanctions infligées en 214 furent confirmées et que Metellus resta un aerarius et inscrit dans une tribu urbaine.
C’est le dernier épisode où apparaît notre personnage puisqu’aucun Metellus n’est caractérisé ensuite comme l’instigateur du complot de 216. En revanche, au même moment émergea un M. Caecilius Metellus qui devint édile plébéien en 208[38] puis préteur urbain en 206[39]. On le retrouve comme membre d’une ambassade envoyée au roi Attale de Pergame pour rapporter la Magna Mater en 205[40] et peut-être parmi les dix légats nommés pour accompagner T. Quinctius Flamininus en 196, mission qui lui valut d’être honoré par le koinon des Thessaliens[41]. Qu’un Metellus chasse l’autre paraît étrange et cela avait incité F. Münzer à identifier le préteur de 206 à notre personnage et à réunir finalement sous une même notice les numéros 73 et 76[42]. Une telle hypothèse est permise par la chronologie et par l’onomastique, il suffirait d’opter pour le prénom Marcus pour le questeur de 214. Comment expliquer cependant que, malgré les humiliations terribles de 214 et 209, M. Metellus ait pu poursuivre sa carrière jusqu’à la préture ? Cela est d’autant plus surprenant qu’une fois de plus il fut élu édile l’année même où les censeurs lui refusèrent l’entrée au Sénat. En 209, la situation avait évolué, Rome remontait la pente et Metellus essayait peut-être de faire peau neuve et de se rallier au parti des Scipions. Or son frère, Q. Metellus, était un partisan du futur Africain comme en témoigne son soutien dans l’affaire Pleminius[43]. Q. Metellus était un personnage important de la vie politique romaine d’alors[44] et il est possible qu’il ait aidé son frère à poursuivre sa carrière. En effet, il est remarquable que les deux Metelli revêtirent chacun une magistrature en 208 et en 206. En l’associant au parti des Scipions, Q. Metellus favorisait l’étouffement des accusations portées contre lui depuis 216. Ce rapprochement rend d’autant plus suspect l’intervention de Scipion en 216 qui aurait inévitablement provoqué une inimitié durable entre M. Metellus et Scipion voire même entre les Metelli et les Cornelii. Apparemment, la stratégie des deux frères fonctionna puisque M. Metellus parvint à la préture et finit vraisemblablement par être recruté au Sénat, peut-être dès 204, ce que suggère sa présence parmi les dix légats de 196[45]. Surtout, à partir de 209, M. Metellus n’est plus jamais associé dans le récit livien aux événements de 216, signe peut-être qu’il avait réussi à faire oublier son ancien projet, pas complètement cependant puisqu’il ne devint jamais consul. Le silence pouvait aussi provenir de la confusion de Tite-Live qui distinguait le questeur de 214 et le préteur de 206 parce qu’il avait repris la légende sur le complot de 216, rendant impossible la collaboration de M. Metellus et de Scipion, et qu’il ne comprenait pas comment un individu tant humilié pût faire carrière ensuite.
En conclusion, M. Caecilius Metellus commit sans doute l’erreur après la bataille de Cannes de défendre le projet de faire la paix avec Carthage. Une telle idée fut assimilée à de la trahison par les partisans de la poursuite de la guerre, majoritaires et dont faisaient partie les censeurs de 214. Ces derniers humilièrent donc M. Metellus, figure de proue du courant pacifique et qui bénéficiait de la sympathie de certains citoyens ainsi qu’en témoignent ses élections à la questure puis au tribunat en 215 et 214. Privé de son cheval, relégué parmi les aerarii et changé de tribu, il assista néanmoins aux séances du Sénat en qualité d’ancien questeur grâce au ius s. d. mais en 209 les censeurs refusèrent de le recruter prétextant toujours ses choix de 216. M. Metellus se rallia alors au parti de Scipion et réussit à poursuivre sa carrière dans le giron de son frère. Il atteignit la préture en 206 et fut très probablement recruté au Sénat en 204 ou en 199 au plus tard en qualité d’ancien magistrat curule.
[1] Liv., 22, 53 et Perioch., 22, 11 ; Val. Max., 5, 6, 7 ; Front., 4, 7, 39 ; Sil. It., 10, 418-442 et 12, 304-305 ; Oros., Hist., 4, 16, 6 ; Vir. Ill., 49, 5-6.
[2] Pour 214 : Liv., 24, 18, 3 et 6 et 43, 2-3 ; Val. Max., 2, 9, 8 et pour 209 : Liv., 27, 11, 6.
[3] Liv., 22, 53, 5 et 12 et les manuscrits sont unanimes pour Lucius.
[4] Liv., 24, 18, 3 et 27, 11, 12 : dans les deux textes, le prénom Marcus est donné par tous les manuscrits.
[5] Val. Max., 5, 6, 7 : le prénom n’apparaît pas dans le manuscrit P mais il n’y a aucune variante dans les autres.
[6] Val. Max., 2, 9, 8 : les manuscrits sont unanimes pour Marcus.
[7] F. Münzer, RE, suppl. 3, 1918, p. 221.
[8] F. Münzer, RE, 3/1, 1897, col. 1203-1204, n° 72 s. v. Caecilius ; K.-L. Elvers, Neue Pauly, 2, 1997, col. 884, [I 11].
[9] F. Münzer, RE, 3/1, 1897, col. 1206-1207, n° 81 s. v. Caecilius ; K.-L. Elvers, Neue Pauly, 2, 1997, col. 887, [I 18]. L’existence de ce Q. Metellus est un autre argument pour éliminer le prénom Q. de notre personnage.
[10] MRR, 1, p. 259 ; Suolahti 1963, p. 308-315.
[11] Liv., 24, 18, 3.
[12] Cf. Bur 2018, chapitre 3.1.
[13] Cf. notice n° 47.
[14] Liv., 24, 18, 4.
[15] Liv., 24, 18, 6 et 43, 3. Le second passage donne les sanctions infligées au seul Metellus. Val. Max., 2, 9, 8.
[16] Cf. Bur 2018, chapitre 4.3-4.
[17] Cf. notice n° 49.
[18] Liv., 24, 18, 6 et 43, 3 ; Val. Max., 2, 9, 8. MRR, 1, p. 260 ne cite que ces sources.
[19] Evans 1989 suppose que la source de Tite-Live sur cette affaire était Caton et qu’il s’agissait d’une invention destinée à accroître le prestige de Scipion tout en dénigrant les Metelli. Il utilise notamment comme argument la carrière de Metellus en 214-213. Contra Ridley 1975 affirme que le complot est historique en raison des accusations récurrentes contre Metellus à ce propos.
[20] Cf. notices n° 49 et 73.
[21] Oros., Hist., 4, 16, 6. Le récit confus d’Orose pourrait se faire l’écho d’une tradition qui acceptait les hésitations romaines après Cannes.
[22] Liv., 24, 18, 4.
[23] Liv., 25, 6, 8-9.
[24] Pour la chronologie des sanctions infligées aux legiones Cannenses cf. notice 49.
[25] Liv., 24, 43, 3. Cf. MRR, 1, p. 264 qui ne cite que Tite-Live.
[26] Scullard 1973, p. 60 suit l’interprétation livienne rappelant la dureté de la punition censoriale qui avait pu émouvoir le peuple.
[27] Cf. notice 12.
[28] MRR, 1, p. 285 ; Suolahti 1963, p. 319-325.
[29] Cf. notices 49 et 74.
[30] Cf. notice 48.
[31] Liv., 27, 11, 12.
[32] MRR, 1, p. 248. Une date plus haute (la lectio précédente est en 220 cf. MRR, 1, p. 235-236) est impossible en raison de l’âge de Metellus, jeune homme en 216.
[33] Liv., 23, 23, 5-6.
[34] Contra Tatum 1990, p. 37 qui ne présente aucun argument pour justifier son entrée au Sénat en 216 ou 214.
[35] Gabba 1955, p. 221 ; Wiseman 1971, p. 98 qui considère que Metellus avait déjà été dégradé en 214. Cf. Bur 2018, chapitre 3.2.
[36] Cf. Bur 2018, chapitre 3.2. Willems 1885, 1, p. 292 émettait une hypothèse similaire.
[37] Cf. Bur 2018, chapitre 3.2.
[38] MRR, 1, p. 291.
[39] MRR, 1, p. 298.
[40] MRR, 1, p. 304.
[41] MRR, 1, p. 337.
[42] F. Münzer, RE, Suppl. 3, 1918, col. 221‑222.
[43] Liv., 29, 16-22.
[44] Ooteghem 1967, p. 47-50 ; Develin 1977.
[45] Sa présence dans l’ambassade de 205 était sans doute permise par l’exercice de la préture, magistrature curule, qui lui donnait le ius s. d. et annonçait sa future sélection. Ses amis avaient peut-être obtenu qu’il figure dans la délégation afin de rehausser son image.
Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.
Develin 1977 : Develin R., « The Elections of 207 B.C. », Athenaeum, 1977, 55, p. 423-425.
Gabba 1955 : Gabba E., « Note Appianee », Athenaeum, 1955, 33, p. 218-230 (= Id., Esercito e società nella tarda repubblica romana, Florence, 1973, p. 537-546) (pagination dans la 1ère édition).
Ooteghem 1967 : Ooteghem J. van, Les Caecilii Metelli de la République, Bruxelles, 1967.
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