Infames Romani

Un chevalier cocu

Numéro
81
Identité
Catégorie
Procédures censoriales
Sous catégorie
Exclusion de la décurie des juges
Date de l'épisode
98
Références prosopographiques

Attention ! L'épisode est daté du règne de Domitien, sans autres précisions.

Source
Source

Suet., Dom., 8, 4 : equitem R. ob reductam in matrimonium uxorem, cui dimissae adulterii crimen intenderat, erasit iudicum albo.


un chevalier romain ayant repris pour épouse une femme qu’il avait répudiée puis accusée d’adultère, il [Domitien] fit rayer son nom sur la liste des juges (trad. H. Ailloud, CUF).

Notice
Notice

Présentant les actions de Domitien relevant du regimen morum, Suétone rapporte un épisode qui prête à sourire : un chevalier romain fut exclu des décuries de juges parce qu’il épousait la même femme qu’il avait répudiée et accusée d’adultère[1]. Cependant, depuis la lex Iulia de adulteriis coercendis, l’adultère était un délit pris très au sérieux par le pouvoir romain[2].


Notre personnage fut seulement exclu des décuries de juges et non de l’ordre équestre bien qu’il fût chevalier. En effet, si Domitien l’avait également radié du second ordre de la cité, Suétone l’aurait certainement mentionné. Par conséquent, l’occasion du blâme doit être la révision annuelle des listes de juges accomplie par le Prince à chaque début d’année judiciaire[3].


Domitien reprochait au chevalier de vouloir épouser une femme qu’il avait répudiée puis accusée d’adultère. La lex Iulia de adulteriis prévoyait un droit d’accusation exclusif pour le mari dans les soixante jours qui suivaient le divorce, préalable nécessaire pour lancer la procédure. En outre, si le mari ne divorçait pas d’une femme convaincue d’adultère, il pouvait être accusé à son tour de lenocinium. Ainsi, le chevalier, qui soupçonnait sa femme de relations extraconjugales, avait, semble-t-il, respecté la procédure définie par la loi. L’épouse suspecte fut vraisemblablement acquittée comme l’indique d’abord l’utilisation par Suétone du verbe intendere. Ensuite, si elle avait été condamnée, le mari aurait été coupable d’avoir enfreint la loi puisqu’une femme adultère ne pouvait plus être épousée, et il aurait subi les peines prévues par la lex Iulia. La femme pouvait être de nouveau épousée, et c’est donc uniquement la conduite du chevalier qui est sanctionnée par Domitien et non un délit. Le motif pourrait être l’inconstance : un juge doit être capable de donner un avis sur une personne et de s’y tenir. En allant jusqu’au tribunal, le chevalier avait manifesté son incompétence à évaluer les gens[4] et, en changeant du tout au tout son jugement sur sa femme, il manquait de grauitas. En allant d’un extrême à l’autre, de l’accusation d’adultère au désir de se remarier, il affichait également sa passion pour sa femme, passion qui contrevenait à la dignitas équestre.


En conclusion, Domitien lors de la révision annuelle des décuries de juges, exclut un chevalier parce qu’en reprenant la femme qu’il avait accusée d’adultère, il avait révélé son incapacité à juger les gens et manifesté son inconstance et son manque de grauitas.




[1] Suet., Dom., 8, 4.


[2] Sur cette loi : Crawford, RS, 2, p. 781-786, n° 60 et Moreau, Lepor n° 432 avec la bibliographie. Cf. Bur 2018, chapitre 12.7.3.


[3] Demougin 1988, p. 464 et 477. Cf. Bur 2018, chapitre 6.3.


[4] Signalons que la loi ne semblait pas punir de calumnia celui qui accusait faussement, disposition prévue pour favoriser l’accusation : cf. Ankum 1985, p. 173-177.

Bibliographie
Bibliographie

Ankum 1985 : Ankum H., « La captiva adultera. Problèmes concernant l’accusatio adulterii en droit romain classique », RIDA, 1985, 32, p. 153-205.


Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.


Crawford, RS : Crawford M. H. (éd.), Roman Statutes, Londres, 1996 (2 vol.).


Demougin 1988 : Demougin S., L’Ordre équestre chez les Julio-Claudiens, Rome, 1988.


Moreau, Lepor n° 432 : Moreau P., « Loi Iulia réprimant l’adultère et d’autres délits sexuels », dans J.-L. Ferrary et P. Moreau (dir.), Lepor. Leges Populi Romani, [En ligne] Paris : IRHT-TELMA, 2007 URL : http://www.cn-telma.fr/lepor/notice 432 / ; date de mise à jour : 27/09/2016.


Clément Bur, Infames Romani n°81, Albi, INU Champollion, Pool Corpus, 2018, mis à jour le