M. Fluss, RE, 13/1, 1926, col. 809, n° 4 s. v. Livineius ; L. Petersen, PIR², 5, 1970, p. 70, L 291 ; W. Eck, Neue Pauly, 7, 1999, col. 369, [II 2].
Tac., Ann., 14, 17, 1-2 : Sub idem tempus, leui initio, atrox caedes ora inter colonos Nucerinos Pompeianosque, gladiatorio spectaculo quod Liuineius Regulus, quem motum senatu rettuli, edebat. […] Liuineius et qui alii seditionem conciuerant exilio multati sunt.
Vers la même époque, un incident futile provoqua un affreux massacre entre les colons de Nucérie et ceux de Pompéi, lors d’un spectacle de gladiateurs, donné par Livineius Regulus, dont j’ai rapporté l’exclusion du Sénat. […] Livineius et les autres auteurs de la sédition furent punis de l’exil (trad. P. Wuilleumier, CUF).
Livineius Regulus ne nous est connu que par cet unique passage. Il était peut-être le fils du Livineius Regulus, consul suffect en 18[1] et défenseur de Cn. Calpurnius Piso en 20[2], originaire d’Abellinum[3]. Il organisa un spectacle de gladiateurs à Pompéi en 59 qui donna lieu à des émeutes[4]. Au cours du récit, Tacite fait allusion à son exclusion préalable du Sénat. Comme aucune trace de cette exclusion n’a été trouvée dans les livres des Annales, les commentateurs ont déduit qu’elle devait être rapportée dans la grande lacune des livres 7 à 11. Cela signifie que Regulus, vraisemblablement fils de consulaire et donc membre de l’ordre sénatorial, entra au Sénat sous Tibère ou, au plus tard, sous Caligula, mais qu’il en fut exclu, ainsi que de l’ordo[5], entre 37 et 47.
L’absence d’informations à propos de cette exclusion nous conduit à examiner les deux interprétations les plus courantes. Soit Regulus avait perdu le rang sénatorial parce qu’il n’avait plus le cens et que cela avait été constaté lors d’une révision annuelle entre 37 et 47[6], soit en raison d’une condamnation quelconque il avait été puni, entre autres, de l’exclusion du Sénat. La première hypothèse semble en contradiction avec l’épisode de 59. Donner des jeux, même à Pompéi, coûtait cher et refaire fortune n’était pas chose aisée. En outre, dépenser de telles sommes pour des jeux après avoir été radié du Sénat quinze ou vingt ans auparavant est douteux. Par conséquent nous préférons écarter cette option. La seconde pose la question du délit commis. Il ne devait pas être trop grave pour que Regulus ne fût que chassé du Sénat et non d’Italie et entraînait probablement un iudicium publicum ou une actio ignominiosa. Toutefois, Regulus aurait pu également avoir bénéficié de la grâce de Claude qui aurait adouci la peine, ou de Néron qui l’aurait rappelé d’exil sans le rendre cependant au Sénat. S’il avait été exilé, Tacite l’aurait mentionné puisqu’il ne parle de l’exclusion du Sénat que pour présenter Regulus et préciser à quel type de personnage nous avons affaire. Il semblerait donc que Regulus fut exclu du Sénat entre 37 et 47, soit par un vote du Sénat[7] soit à titre de peine, peut-être commuée par le Prince. Toutefois, une fois encore, il serait surprenant qu’un sénateur condamné pût organiser des jeux de gladiateurs en Italie, même plusieurs années après l’humiliation.
Or le vocabulaire utilisé par Tacite est technique et même, plus précisément, censorial : mouere senatu[8]. À ce titre, nous pourrions supposer que Regulus fut l’une des victimes de la lectio senatus accomplie par le Prince en sa qualité de censeur. Si Caligula ne revêtit pas la censure, celle de Claude est bien connue et datée justement de 47-48[9]. Certes, dans son récit de l’activité censoriale, Tacite ne mentionne pas Regulus. Cependant ce passage s’apparente plutôt à un résumé. En quelques lignes l’historien rappelle l’adlection de nouveaux patriciens, la nouvelle procédure utilisée par Claude pour atténuer la rigueur de la révision de la l’album senatus, le titre honorifique refusé par Claude et enfin la clôture du lustre. Celle-ci est la dernière étape du recensement et se situe donc en 48, tandis que, traditionnellement, la lectio senatus est la première tâche des censeurs et eut probablement lieu en 47. Ainsi, le bref exposé de Tacite sur la censure n’est en réalité qu’un bilan. L’occasion en est donnée par la nécessité de signaler la clôture du lustre dans le cours des événements mais aussi par effet de style puisque le regimen morum s’oppose à la conduite scandaleuse de Messaline qui va être relatée. Aussi nous paraît-il tout à fait possible que Tacite ait consacré un plus ample récit à la lectio senatus dans la partie perdue du livre 11. Cela est d’autant plus probable que la censure n’avait plus été revêtue depuis 22 avant J.-C.[10] et un tel retour à la tradition devait avoir eu un certain retentissement, comme en témoigne le paragraphe entier fourmillant d’anecdotes de Suétone. L’allusion de Tacite se comprendrait mieux si l’exclusion du Sénat était racontée plus en détail et éclairait l’épisode tragique des jeux de 59, et la censure de Claude s’y prête bien.
Le motif de l’exclusion reste cependant hors de notre portée. Bien que Suétone signale plusieurs motifs de blâme lors de la censure de 47-48, nous ne disposons d’aucun indice pour attribuer tel ou tel à Regulus. En revanche, Regulus, qui donna des jeux à Pompéi, pourrait avoir quitté Rome, peut-être pour étouffer le scandale lié à son exclusion. En outre, il ne réapparaît que douze ans après son exclusion, en 59, une fois Claude et une partie de son héritage enterrés. Ces maigres indices pourraient suggérer un motif assez sérieux, ayant entraîné la colère de l’empereur en 47, qui aurait contraint Regulus à s’éloigner de Rome afin de faire oublier sa honte et son humiliation.
Le spectacle donné en 59 par Regulus était peut-être pour lui l’occasion de relancer sa carrière au moment où Néron s’engageait dans une nouvelle politique culturelle[11]. Le scandale était passé, le moment était bien choisi pour préparer son retour en flattant le Prince par des jeux magnifiques où la jeunesse si chère à Néron participait pleinement[12]. Malheureusement il en alla autrement et les réjouissances s’achevèrent dans un bain de sang. Afin de punir ces débordements, le Sénat condamna Regulus et d’autres responsables à l’exil[13].
Par la suite, nous n’entendons plus parler de Regulus ni d’éventuels descendants.
[1] Degrassi 1952, p. 8.
[2] Tac., Ann., 3, 11, 2. C’est du moins l’hypothèse émise par Dessau, PIR, 2, p. 202, L 289 et suivie depuis unanimement.
[3] Camodeca 1982, p. 116 et 120.
[4] Tac., Ann., 14, 17, 1-2.
[5] Mommsen 1889-1896, 6/1, p. 60. Cf. Bur 2018, chapitre 6.3.
[6] Sur les révisions annuelles de l’album senatus cf. Bur 2018, chapitre 6.2.2.
[7] Comme le furent Faustus Cornelius Sulla Felix et Rubellius Plautus, notices n° 126 et 127.
[8] Cf. Bur 2018, chapitre 4.1.
[9] Tac., Ann., 11, 25, 2-5 et Suet., Claud., 16
[10] Suet., Claud., 16, 1.
[11] Tac., Ann., 14, 14. Voir en particulier Cizek 1972, p. 121-126.
[12] Moeller 1970 considère que les bandes qui s’opposèrent et les collegiae qui furent dissous d’après Tacite étaient des collegiae iuuenum. Surtout, W. O. Moeller laisse entendre qu’un tel spectacle avait dû être préparé longtemps à l’avance.
[13] Tac., Ann., 14, 17, 2.
Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.
Camodeca 1982 : Camodeca G., « Italia : Regio I (Campania : la zona di Capua e Cales), II (Apulia et Calabria) et III (Lucania et Bruttii) », dans Epigrafia e ordine senatorio, 2, Rome, 1982, p. 101-163.
Cizek 1972 : Cizek E., L’époque de Néron et ses controverses idéologiques, Leyde, 1972.
Degrassi 1952 : Degrassi A., I Fasti consolari dell’impero romano dal 30 avanti Cristo al 613 dopo Cristo, Rome, 1952.
Moeller 1970 : Moeller W. O., « The riot of A.D. 59 at Pompeii », Historia, 1970, 29, p. 84-95.
Mommsen 1889-1896 : Mommsen T., Le Droit public romain, Paris, 1889-1896 (8 vol.).