Infames Romani

Cestius Severus [17]

Numéro
128
Identité
Catégorie
Auto-épuration du Sénat
Sous catégorie
-
Date de l'épisode
70
Références prosopographiques

E. Groag, RE, 3/2, 1899, col. 2011, n° 17 s. v. Cestius ; E. Groag, PIR², 2, 1936, p. 154, C 696 ; Jones B. 1979, p. 137, n° 553 ; Rivière 2002, p. 515, n° 17.

Source
Source

Tac., Hist., 4, 41, 1-2 : Senatus inchoantibus primoribus ius iurandum concepit quo certatim omnes magistratus, ceteri, ut sententiam rogabantur, deos testis aduocabant, nihil ope sua factum quo cuiusquam salus laederetur, neque se praemium aut honorem ex calamitate ciuium cepisse, trepidis et uerba iuris iurandi per uarias artis mutantibus, quis flagitii conscientia inerat. Probabant religionem patres, periurium arguebant ; eaque uelut censura in Sariolenum Voculam et Nonium Attianum et Cestium Seuerum acerrime incubuit, crebris apud Neronem delationibus famosos.


Le Sénat, sur l’initiative de ses principaux membres, prononça un serment que répétèrent à l’envi tous les magistrats, puis tous les autres sénateurs, à mesure qu’on leur demandait leur avis : ils prenaient les dieux à témoin qu’ils n’avaient jamais prêté la main à une action qui pût nuire à la sûreté de quiconque, et qu’ils n’avaient tiré profit ni honneur des malheurs des citoyens ; dans leur désarroi, ceux qui n’avaient pas la conscience tranquille s’ingéniaient à modifier la formule du serment. Les sénateurs approuvaient l’honnêteté scrupuleuse, dénonçaient le parjure, et cette espèce de censure s’exerça avec le plus de rigueur contre Sariolenus Vocula, Nonius Attianus et Cestius Severus, décriés pour leurs nombreuses délations auprès de Néron (trad. H. Le Bonniec, CUF).

Notice
Notice

Cestius Severus[1] fait partie des trois sénateurs conspués et peut-être chassés du Sénat lors de la fiévreuse séance du 1er janvier 70[2] rapportée par Tacite[3]. Sénateur[4] sans doute de faible statut, puisque bien qu’il eût réalisé de nombreuses délations décriées sous Néron aucune ne nous est transmise, il appartient à ceux que Y. Rivière nomme les infirmi, « ces aristocrates jouissant d’un faible crédit et qui, ayant tenté une ascension rapide grâce à la délation, succombent généralement à l’occasion de troubles »[5].


Après la victoire de Vespasien, les aristocrates entendaient régler leurs comptes et notamment organiser une répression contre ceux d’entre eux qui s’étaient rendus complices des crimes de Néron[6]. Junius Mauricus demanda à consulter les archives impériales pour accabler les délateurs haïs, mais il se heurta au refus de Domitien, préteur depuis peu, qui représentait Vespasien toujours en Orient. Les membres éminents du Sénat instaurèrent alors un serment que devaient prêter chaque magistrat et chaque sénateur où ils affirmaient ne pas avoir agi comme délateurs[7]. Ce serment avait un caractère exceptionnel et sa prestation lors de la séance du 1er janvier 70 par l’ensemble des sénateurs fut l’occasion d’une grande agitation[8]. Plusieurs sénateurs commirent un parjure manifeste dont les conséquences sont peu claires.


Les patres conscients du mensonge agirent immédiatement, periurium arguebant nous dit Tacite. Toutefois ce verbe reste vague : s’agissait-il d’une dénonciation violente, de cris d’opposition et donc de simples gesticulations comme le pense H. Heubner[9], ou bien d’une véritable inculpation impliquant procès et verdict ainsi que l’entend R. S. Rogers[10] ? Sur ce point les avis sont prudents, notamment parce que Domitien rechigna finalement à autoriser une telle épuration et mit en avant l’idée d’abolitio publica[11]. Ainsi, L. Fanizza considère qu’il y eut une sorte de chasse aux sorcières mais que des procédures ne furent engagées que contre quelques délateurs. Y. Rivière suppose que seul Antistius Sosianus fut puni[12] tandis qu’E. Flaig parle de deux sénateurs chassés de la curie et B. Levick de trois expulsés mais non exclus[13]. Pourtant le récit de Tacite fournit un indice intéressant : le serment fut considéré dès l’époque comme une sorte de censure (uelut censura)[14]. Or la censure était la magistrature républicaine chargée de sélectionner les sénateurs et, pour préserver son auctoritas, d’en exclure les indignes. La comparaison pourrait signifier que le serment donnait une caution morale à l’épuration puisque les délateurs exclus étaient tous coupables de parjure en plus de leurs méfaits passés. Refuser de prêter serment de respecter une loi, ou parjurer un tel serment, avait déjà été une cause d’exclusion du Sénat sous la République et nous pourrions ici trouver une procédure proche[15]. Toutefois, de même que les censeurs étaient libres de blâmer qui ils voulaient, de même les sénateurs attaquèrent seulement certains des leurs. C’est ainsi, à notre sens qu’il faut comprendre la phrase de Tacite, interprétation qui n’en demeure pas moins compatible avec le fait qu’en définitive l’épuration eut une faible portée car elle déplaisait au nouveau pouvoir et était freinée par les rivalités de factions.


L’hypothèse de l’exclusion de Cestius Severus et de quelques autres s’accorde avec l’idée défendue par E. Flaig selon laquelle le serment aurait servi de rituel purgatorisch[16]. Naturellement, seuls quelques sénateurs de faible rang en auraient été les victimes, parce qu’ils représentaient ce dont on voulait se débarrasser[17], mais aussi car ils étaient isolés, donc des proies faciles.


Ainsi, il nous semble tout à fait possible que Cestius Severus fût dénoncé comme parjure après avoir prêté le serment et qu’il fût, comme Nonius Attianus et Sariolenus Vocula, exclu du Sénat, même si seul ce dernier fut chassé de la curie avec violence. Suivant E. Flaig, Cestius Severus aurait fait partie des boucs-émissaires qui payèrent le prix de l’incapacité du Sénat à mener une épuration rigoureuse en son sein. Bien qu’ils fussent opposés à une purge, Mucien et Domitien contentèrent le Sénat en sanctionnant quelques individus isolés et rien ne permet de nier que Cestius Severus n’en fît partie avec Antistius Sosianus et Octavius Sagitta dont parle Tacite[18].


Bien entendu, nous n’entendons plus parler de Cestius Severus par la suite et il est très vraisemblable que sa carrière se soit arrêtée, exclu ou non du Sénat, après cet épisode. Nous ne lui connaissons pas non plus de descendants.






[1] CIL, 15, 2426 parle d’un T×CEST× | SEVERI. Le nom a été restitué généralement en Cestius mais rien ne permet d’affirmer qu’il s’agit de notre personnage, aussi E. Groag, responsable des notices de la Realencyclopädie et de la PIR², a-t-il préféré ne pas lui donner le prénom Titus.


[2] Rogers 1949, p. 348 déduit de Tacite qu’il y eut une séance juste après la mort de Vitellius, le 20 décembre 69, puis une deuxième le 1er janvier 70 et une troisième aux ides de janvier.


[3] Tac., Hist., 4, 41, 1-2.


[4] La présence de Cestius à la séance de janvier 70 est difficilement explicable s’il n’est pas sénateur. Aussi ne comprenons-nous pas que Jones B. 1979, p. 137, n° 553 le classe parmi les senatores dubii.


[5] Rivière 2002, p. 413.


[6] Tac., Hist., 4, 40, 3.


[7] Tac., Hist., 4, 41, 1.


[8] Rivière 2002, p. 448 n. 69 contre Talbert 1984, p. 261. Birley 1962 a pensé que ce serment avait été modifié pour Vespasien et rendu non rétrospectif mais général, mais il n’a pas été suivi.


[9] Heubner 1976, p. 98 qui s’appuie sur les premier et deuxième sens du Gaffiot : « montrer, prouver » et « dévoiler, mettre en avant, dénoncer ».


[10] Rogers 1949, p. 347 qui comprend ainsi arguere dans le troisième sens du Gaffiot : « inculper, accuser ».


[11] Tac., Hist., 4, 44.


[12] De l’exil : Tac., Hist., 4, 44, 2-3.


[13] Fanizza 1988, p. 31-32 ; Flaig 1992, p. 115 ; Rivière 2002, p. 449 ; Levick 1999, p. 124.


[14] Tac., Hist., 4, 41, 2. D’après Gerber et Greef 1962, p. 162, le terme censura n’apparaît chez Tacite qu’à trois autres reprises : H., 1, 52, 4 ; 3, 66, 4 et Ann., 2, 33, 2. Dans les deux premiers cas, il désigne concrètement la magistrature exercée par Vitellius ; la dernière occurrence rappelle la tournure présente puisque Tibère y affirme qu’il se refuse à accomplir un regimen morum et que ce n’est pas le temps de la censure. Donc, Tacite utilise toujours le terme dans son sens premier, celui de la magistrature chargée d’examiner les citoyens.


[15] Cf. notice de Metellus Numidicus n° 178 et Bur 2018, chapitre 9.5.1.


[16] Flaig 1992, p. 115-116 en particulier n. 72. Contra Rivière 2002, p. 450 n. 72 qui considère que le rituel serait plutôt la condamnation des habitants de Sienne rapportée par Tac., Hist., 4, 45.


[17] Girard 1972, p. 62 utilisé par E. Flaig : « S’il y a trop de rupture entre la victime et la communauté, la victime ne pourra plus attirer à elle la violence ».


[18] Tac., Hist., 4, 44, 2. Notons que Talbert 1984, p. 279 reste vague en affirmant que « « Members who had been notorious delatores under Nero were actually hounded out of the chamber early in 70 ».

Bibliographie
Bibliographie

Birley 1962 : Birley A. R., « The Oath not to put senators to death », CR, 1962, 12, p. 197-199.


Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.


Fanizza 1988 : Fanizza L., Delatori e accusatori, Rome, 1988.


Flaig 1992 : Flaig E., Den Kaiser herausfordern. Die Usurpation im Römischen Reich, Francfort, 1992.


Gerber et Greef 1962 : Gerber A. et Greef A., Lexicon Taciteum, 1, Hildesheim, 1962.


Girard 1972 : Girard R., La Violence et le sacré, Paris, 1972.


Heubner 1976 : Heubner H., Die Historien, 4, Heidelberg, 1976.


Jones B. 1979 : Jones B. W., Domitian and the Senatorial Order, Philadelphie, 1979.


Levick 1999 : Levick B., Vespasian, Londres – New-York, 1999.


Rivière 2002 : Rivière Y., Les Délateurs sous l’Empire romain, Rome, 2002.


Rogers 1949 : Rogers R. S., « A Criminal Trial of A. D. 70 », TAPhA, 1949, 80, p. 347-350.


Talbert 1984 : Talbert R. J. A., Senate of Imperial Rome, Princeton, 1984.


Clément Bur, Infames Romani n°128, Albi, INU Champollion, Pool Corpus, 2018, mis à jour le