Infames Romani

C. Paccius C. f. Africanus [11]

Numéro
130
Identité
Catégorie
Auto-épuration du Sénat
Sous catégorie
-
Date de l'épisode
70
Références prosopographiques

M. Hofmann, RE, 18/2, 1943, col. 2064-2065, n° 11 = col. 2063-2064, n° 7 s. v. Paccius ; Wiseman 1971, p. 248, n° 301 ; Jones B. 1979, p. 130, n° 456 ; Thomasson 1996, p. 44, n° 49 ; L. Petersen et K. Wachtel, PIR², 6, 1997, p. 4, P 14 ; W. Eck, Neue Pauly, 9, 2000, col. 125‑126, [1] ; Rivière 2002, p. 533-534, n° 48 ; Rüpke 2005, 2, p. 1187, n° 2597.

Source
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Tac., Hist., 4, 41, 2-3 : Senatus inchoantibus primoribus ius iurandum concepit quo certatim omnes magistratus, ceteri, ut sententiam rogabantur, deos testis aduocabant, nihil ope sua factum quo cuiusquam salus laederetur, neque se praemium aut honorem ex calamitate ciuium cepisse, trepidis et uerba iuris iurandi per uarias artis mutantibus, quis flagitii conscientia inerat. Probabant religionem patres, periurium arguebant ; eaque uelut censura in Sariolenum Voculam et Nonium Attianum et Cestium Seuerum acerrime incubuit, crebris apud Neronem delationibus famosos. Sariolenum et recens crimen urgebat, quod apud Vitellium molitus eadem foret : nec destitit senatus manus intentare Voculae, donec curia excederet. Ad Paccium Africanum transgressi eum quoque proturbant, tamquam Neroni Scribonios fratres concordia opibusque insignis ad exitium monstrauisset. Africanus neque fateri audebat neque abnuere poterat : in Vibium Crispum, cuius interrogationibus fatigabatur, ultro conuersus, miscendo quae defendere nequibat, societate culpae inuidiam declinauit.


Le Sénat, sur l’initiative de ses principaux membres, prononça un serment que répétèrent à l’envi tous les magistrats, puis tous les autres sénateurs, à mesure qu’on leur demandait leur avis : ils prenaient les dieux à témoin qu’ils n’avaient jamais prêté la main à une action qui pût nuire à la sûreté de quiconque, et qu’ils n’avaient tiré profit ni honneur des malheurs des citoyens ; dans leur désarroi, ceux qui n’avaient pas la conscience tranquille s’ingéniaient à modifier la formule du serment. Les sénateurs approuvaient l’honnêteté scrupuleuse, dénonçaient le parjure, et cette espèce de censure s’exerça avec le plus de rigueur contre Sariolenus Vocula, Nonius Attianus et Cestius Severus, décriés pour leurs nombreuses délations auprès de Néron. Sariolenus était aussi sous le coup d’un grief récent : il avait, sous Vitellius, exercé les mêmes pratiques, et le Sénat ne cessa de montrer le poing à Vocula, jusqu’à ce qu’il sortît de la curie. Passant à Paccius Africanus, ils le poussaient vers la sortie, parce que, disaient-ils, il avait dénoncé à Néron, pour leur perte, les frères Scribonii, bien connus pour leur bonne entente et leur richesse. Africanus n’osait pas avouer et ne pouvait nier, mais, se retournant contre Vibius Crispus qui le harcelait de questions, il l’impliqua dans des faits dont il ne pouvait se disculper et, se donnant un complice, il détourna l’hostilité (trad. H. Le Bonniec, CUF, modifiée).

Notice
Notice

Paccius Africanus doit vraisemblablement être identifié avec le sénateur du Ier siècle attesté par une inscription de Terracine[1]. Il faudrait alors l’appeler C. Paccius C. f. Africanus et il serait peut-être originaire de Terracine. Il aurait commencé son cursus comme Xuir ad hastam et il donna des jeux en l’honneur d’Honos et de Virtus peut-être comme préteur à Terracine[2]. Il devint consul suffect en 67 ou 68[3], peut-être en récompense de sa délation contre les frères Scribonii[4]. Cette affaire lui valut d’être inquiété lors de la fameuse séance du 1er janvier 70 où tous les sénateurs durent prêter serment de ne pas avoir agi comme délateurs[5]. Selon la procédure déjà étudiée pour Cestius Severus, Paccius fut menacé d’être exclu du Sénat comme délateur et parjure[6]. Toutefois il faut distinguer le cas de Paccius de celui de Cestius Severus, Sariolenus et Nonius Attianus[7].


Premièrement, contrairement à ces sénateurs que Y. Rivière qualifiait d’infirmi[8], Paccius était un consulaire. Ensuite, Tacite était plus précis dans le cas de Paccius. Le Sénat, échauffé par l’expulsion de la curie de Vocula, voudrait infliger la même humiliation à Paccius. Ce dernier « n’osait pas avouer et ne pouvait nier » (neque fateri audebat neque anuere poterat) la délation reprochée. Paccius ne commit pas la bêtise d’avouer son forfait parce qu’il aurait été alors perdu[9]. Dans la confusion qui régnait, il tachait d’éviter de prononcer le serment pour ne pas être accusé de parjure. Son silence incita les patres à lui faire subir le même sort que Vocula et Tacite écrit proturbant, un indicatif présent suggérant qu’ils le poussaient concrètement vers la sortie[10]. Accablé sur le chemin par Vibius Crispus[11], autre délateur bien connu, il parvint à détourner l’attention en l’impliquant dans ce qu’on lui reprochait. Tacite nous dit qu’il « détourna l’hostilité » (inuidiam declinauit), ce qui indique bien que Paccius réussit à éviter le danger[12]. La scène est haute en couleurs : Paccius, sur le point d’être chassé, réussit in extremis à s’esquiver en lançant la foule des sénateurs sur une nouvelle proie. Par conséquent, contrairement aux sénateurs de faible rang, par son habileté et sans doute aussi grâce au soutien d’amis qui saisirent l’occasion en demandant des comptes à Vibius Crispus, Paccius réussit probablement à échapper à ses accusateurs.


Mais à quoi échappa-t-il ? Nous avons déjà vu que lors de cette cérémonie du serment, le rang sénatorial était en jeu puisque certains, comme Cestius Severus, Sariolenus Vocula et Nonius Attianus, le perdirent très probablement[13]. Au début du passage concernant Paccius, Tacite précise les intentions des sénateurs : ils voulaient le proturbare. Le verbe signifie « chasser devant soi en bousculant » et correspond à ce qui était arrivé à Vocula et que les sénateurs voulaient reproduire contre Paccius[14]. S’il ne fut pas expulsé de la curie grâce à une ruse, néanmoins ses hésitations lors de la prestation du serment avaient pu entraîner sa condamnation et donc son exclusion du Sénat[15]. Cependant, la façon dont le récit s’achève, son aspect pittoresque et surtout la carrière ultérieure de Paccius sont autant d’indices qui réfutent une telle exclusion. En effet, Paccius devint proconsul d’Afrique en 77-78[16]. H. Benario et W. Eck supposaient qu’il avait été exclu du Sénat lors de la séance du 1er janvier 70, sûrement pour une courte durée, et qu’il était revenu ensuite dans l’amitié du Prince[17]. En revanche, G. E. F. Chilver, s’appuyant sur le sens concret de proturbare et sur le contexte, supposait qu’il n’avait été chassé de la curie qu’une journée[18], ce que nous avons réfuté ci-dessus. Pourtant, P. A. Gallivan avait remarqué que l’intervalle entre son consulat et son proconsulat, entre huit et dix ans, était tout à fait habituel signe que l’épisode de 70 n’avait pas entravé sa carrière[19]. Plutôt que de supposer une exclusion tolérée par les Flaviens puis un rappel par Vespasien et finalement l’honneur d’un proconsulat sept ans plus tard, nous préférons l’hypothèse la plus simple, l’absence d’exclusion. Enfin, cela confirme l’impression que seuls quelques sénateurs de faible importance furent sacrifiés au désir de vengeance des sénateurs par les Flaviens qui prônaient l’amnistie. Condamner un personnage tel que Paccius, un consulaire, aurait, plus encore que la condamnation de P. Egnatius Celer, philosophe stoïcien originaire d’Asie, ouvert la voie à l’épuration.


En conclusion, bien que sérieusement inquiété et malmené lors de la séance du 1er janvier 70 en raison de sa délation contre les frères Scribonii sous Néron, C. Paccius Africanus parvint à échapper à l’exclusion du Sénat et à l’humiliation d’une expulsion temporaire de la curie en détournant l’attention. La suite de sa carrière ne souffrit pas de l’épisode puisqu’il fut proconsul d’Afrique en 77-78, après le délai régulier. Nous ne lui connaissons pas de descendant.






[1] CIL, 10, 2, 8260 = Dessau, ILS, 5051. M. Hofmann propose l’identification dans la notice de la Realencyclopädie consacrée à Paccius Africanus. Celle-ci est défendue ensuite par Benario 1959. Vita-Evrard 1966-1967, p. 19 n. 28 l’accepte à condition de placer cette inscription au début de sa carrière. B. W. Jones la signale prudemment. Syme 1955, p. 65 fait remarquer que le nom de Paccius est très commun en Campanie et que l’identification est donc douteuse.


[2] Benario 1959, p. 498.


[3] Degrassi 1952, p. 18 et Gallivan 1974, p. 304


[4] Rivière 2002, p. 533.


[5] Tac., Hist., 4, 41.


[6] Pour l’étude de cette procédure, nous renvoyons à la notice de Cestius Severus n° 128.


[7] Cf. notices n° 128, 129 et 131.


[8] Rivière 2002, p. 413.


[9] Cf. David 1986 qui traite de la fin de la période républicaine, mais dont les conclusions restent valables pour le Principat.


[10] Cela nous amène à corriger la traduction de H. Le Bonniec en « poussaient vers la sortie » plutôt que « veulent aussi l’expulser » qui n’a pas un sens aussi actif. Cette interprétation avait déjà été adoptée par C. H. Moore qui traduisait eum quoque proturbant par « drove him out also » dans son édition Moore 1931.


[11] Cf. notice n° 132.


[12] Contra Levick 1999, p. 124 qui indique que Paccius faisait partie des trois personnages expulsés de la curie mais non exclus. Si Sariolenus Vocula est très certainement le deuxième, nous ne pouvons déterminer si Cestius Severus est le dernier ou s’il s’agit de Nonius Attianus.


[13] Cf. notices n° 128, 129 et 131.


[14] TLL, 10/2, col. 2298-2299 s. v. Proturbo : « I. vi praeverbii plena fere i. q. turbando propellere, propulsare sim. ».


[15] Nous ne pensons pas en effet que Nonius Attianus et Cestius Severus furent également chassés de la curie. Vocula était un cas particulier parce que ses délations étaient récentes et le désir de vengeance plus vivace d’où son expulsion. Si les sénateurs voulaient chasser également Paccius, ce n’était pas parce que l’expulsion accompagnait l’exclusion du Sénat, mais parce que la tension était montée d’un cran depuis Vocula.


[16] Thomasson 1996, p. 44, n° 49 avec les sources et la bibliographie.


[17] Benario 1959 et Eck 1970, p. 90.


[18] Chilver 1985, p. 54.


[19] Gallivan 1974, loc. cit.

Bibliographie
Bibliographie

Benario 1959 : Benario H. W., « C. Paccius Africanus », Historia, 1959, 8, p. 496‑498.


Chilver 1985 : Chilver G. E. F., A Historical Commentary on Tacitus’ Histories IV and V, Oxford, 1985.


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Degrassi 1952 : Degrassi A., I Fasti consolari dell’impero romano dal 30 avanti Cristo al 613 dopo Cristo, Rome, 1952.


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Gallivan 1974 : Gallivan P. A., « Some Comments on the Fasti for the Reign of Nero », CQ, 1974, p. 290‑311.


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Levick 1999 : Levick B., Vespasian, Londres – New-York, 1999.


Moore 1931 : Moore C. H., Tacitus. The Histories books IV-V, Cambridge, 1931.


Rivière 2002 : Rivière Y., Les Délateurs sous l’Empire romain, Rome, 2002.


Rüpke 2005 : Rüpke J., Fasti Sacerdotum : die Mitglieder der Priesterschaften und das sakrale Funktionspersonal römischer, griechischer, orientalischer und jüdisch-christlicher Kulte in der Stadt Rom von 300 v. Chr. bis 499 n. Chr., Wiesbaden, 2005 (3 vol.).


Syme 1955 : Syme R., « Missing Senators », Historia, 1955, 4, p. 52-71.


Talbert 1984 : Talbert R. J. A., Senate of Imperial Rome, Princeton, 1984.


Thomasson 1996 : Thomasson B. E., Fasti Africani, Stockholm, 1996.


Vita-Evrard 1966-1967 : Vita-Evrard G. di, « La dédicace du temple d’Isis à Sabratha : une nouvelle inscription africaine à l’actif de C. Paccius Africanus », Libya Antiqua, 1966-1967, 3-4, p. 13-20.


Wiseman 1971 : Wiseman T. P., New Men in the Roman Senate, Londres, 1971.


Clément Bur, Infames Romani n°130, Albi, INU Champollion, Pool Corpus, 2018, mis à jour le