F. Münzer, RE, 3/2, 1899, col. 2774-2776, n° 246 s. v. Claudius ; K.-L. Elvers, Neue Pauly, 3, 1997, col. 10, [I 17] ; Suolahti 1963, p. 327-328 ; DPRR n° CLAU0908.
Liv., 29, 37, 8-17 (a. 203) : Equitum deinde census agi coeptus est ; et ambo forte censores equum publicum habebant. Cum ad tribum Polliam uentum esset in qua M. Liui nomen erat, et praeco cunctaretur citare ipsum censorem, » cita » inquit Nero « M. Liuium » ; et siue ex residua uetere simultate siue intempestiua iactatione seueritatis inflatus M. Liuium quia populi iudicio esset damnatus equum uendere iussit. Item M. Liuius cum ad tribum Arniensem et nomen collegae uentum est, uendere equum C. Claudium iussit duarum rerum causa, unius quod falsum aduersus se testimonium dixisset, alterius quod non sincera fide secum in gratiam redisset.
Aeque foedum certamen inquinandi famam alterius cum suae famae damno factum est exitu censurae. Cum in leges iurasset C. Claudius et in aerarium escendisset, inter nomina eorum quos aerarios relinquebat dedit collegae nomen. Deinde M. Liuius in aerarium uenit ; praeter Maeciam tribum, quae se neque condemnasset neque condemnatum aut consulem aut censorem fecisset, populum Romanum omnem, quattuor et triginta tribus, aerarios reliquit, quod et innocentem se condemnassent et condemnatum consulem et censorem fecissent neque infitiari possent aut iudicio semel aut comitiis bis ab se peccatum esse : inter quattuor et triginta tribus et C. Claudium aerarium fore ; quod si exemplum haberet bis eundem aerarium relinquendi, C. Claudium nominatim se inter aerarios fuisse relicturum. Prauum certamen notarum inter censores ; castigatio inconstantiae populi censoria et grauitate temporum illorum digna. In inuidia censores cum essent, crescendi ex iis ratus esse occasionem Cn. Baebius tribunus plebis diem ad populum utrique dixit. Ea res consensu patrum discussa est ne postea obnoxia populari aurae censura esset.
On commença ensuite le recensement des chevaliers ; or il se trouvait que les deux censeurs avaient un cheval public. Comme on en était arrivé à la tribu Pollia, dans laquelle était inscrit M. Livius, et que le héraut hésitait à citer le censeur lui-même : « Cite, lui dit Nero, M. Livius ». Et, animé par un reste de leur vieille inimitié, ou plein d’une volonté déplacée d’afficher sa sévérité, il ordonna à M. Livius de vendre son cheval, pour avoir été condamné par un jugement du peuple. De même, M. Livius, quand on en vint à la tribu Arniensis et au nom de son collègue, ordonna à C. Claudius de vendre son cheval, pour deux raisons, la première étant qu’il avait porté contre lui un faux témoignage, la seconde, que sa réconciliation avec lui n’avait pas été sincère.
Ils rivalisèrent d’une manière aussi honteuse pour salir chacun la réputation de l’autre, aux dépens de sa propre réputation, à la fin de leur censure. Après avoir juré qu’il avait été fidèle aux lois et être monté au Trésor, C. Claudius, parmi les noms de ceux qu’il reléguait au nombre des aerarii, donna celui de son collègue. Ensuite, M. Livius se rendit au Trésor et, excepté la tribu Maecia, puisqu’elle ne l’avait ni condamné ni, après sa condamnation, élu consul ou censeur, c’est le peuple romain dans son ensemble (trente-quatre tribus) qu’il relégua au nombre des aerarii, pour l’avoir et condamné malgré son innocence et, malgré cette condamnation, élu consul et censeur : elles ne pouvaient contester avoir commis une faute, soit une seule fois lors du procès, soit à deux reprises lors des élections. Parmi les membres des trente-quatre tribus, C. Claudius se retrouverait lui aussi aerarius et si la double relégation d’un même homme parmi les aerarii avait eu un précédent, lui, M. Livius, aurait nommément relégué C. Claudius parmi eux. Choquant assaut de blâmes, entre censeurs ! Mais dénonciation de l’inconstance du peuple digne d’un censeur et conforme à la gravité de l’époque. Devant l’impopularité des censeurs, le tribun de la plèbe Cn. Baebius, voyant là une occasion de s’élever à leurs dépens, les assigna tous deux à comparaître devant le peuple. Les sénateurs furent d’accord pour annuler cette mesure, afin d’éviter que, par la suite, la censure ne se trouvât soumise à l’humeur du peuple (trad. P. François, CUF).
Liv., Perioch., 29, 18-20 : Inter censores, M. Liuium et Claudium Neronem, notabilis discordia fuit. Nam et Claudius collegae ecum ademit, quod a populo damnatus actusque in exilium fuerat, et Liuius Claudio, quod falsum in se testimonium dixisset et quod non bona fide secum in gratia<m> redisset. Idem omnes tribus extra unam aerarias reliquit, quod et innocentem se damnassent et post<h>ac consulem censoremque fecissent.
Il y eut entre les censeurs M. Livius et Claudius Nero une querelle fameuse. Claudius priva en effet son collègue de son cheval parce qu’il avait été condamné par le peuple et envoyé en exil et Livius fit de même avec Claudius pour avoir porté contre lui un faux témoignage et parce qu’il ne s’était pas de bonne foi réconcilié avec lui. Le même censeur laissa toutes les tribus, sauf une, soumises à la capitation pour l’avoir condamné alors qu’il était innocent et l’avoir élu ensuite consul et censeur (trad. P. Jal, CUF).
Val. Max., 2, 9, 6 : Claudius Nero Liuiusque Salinator, secundi Punici belli temporibus firmissima rei publicae latera, quam destrictam simul egerunt censuram ! Nam cum equitum centurias recognoscerent et ipsi propter robur aetatis etiam nunc eorum essent e numero, ut est ad Polliam uentum tribum, praeco lecto nomine Salinatoris citandum necne sibi esset haesitauit. Quod ubi intellexit Nero, et citari collegam et equum uendere iussit, quia populi iudicio damnatus esset. Salinator quoque eadem animaduersione Neronem persecutus est adiecta causa, quod non sincera fide secum in gratiam redisset.
Claudius Nero et Livius Salinator, qui furent au moment de la deuxième guerre Punique les plus fermes piliers de l’État, comme ils se sont déchirés au cours de la censure qu’ils ont gérée ensemble ! En effet ils passaient les centuries de chevaliers en revue et la vigueur de leur âge faisait qu’ils appartenaient encore à cette catégorie sociale quand, arrivé à la tribu Pollia, l’huissier, en lisant le nom de Salinator, se demanda s’il devait l’appeler ou non. Lorsque Nero s’en aperçut, il fit appeler son collègue et lui fit vendre son cheval sous le motif qu’un tribunal public lui avait infligé une condamnation. Salinator lui aussi manifesta la même rigueur à l’égard de Nero en invoquant pour raison le manque de sincérité dont il avait fait preuve quand il s’était réconcilié avec lui (trad. R. Combès, CUF).
D.C., 17, 71 : τοῦτο δὲ οὐκ ἄλλως ἔλεξα, ἀλλ’ ὅτι ὁ Λίουιος ἔπραξέ τε αὐτὸ ἀμυνόμενος τοὺς πολίτας ἐπὶ τῇ καταψηφίσει καὶ ἐπίκλησιν ἀπ’ αὐτοῦ ἔλαβε· Σαλινάτωρ γὰρ ἐπωνομάσθη. Διά τε οὖν τοῦτο περιβόητοι οἱ τιμηταὶ οὗτοι ἐγένοντο, καὶ ὅτι τε ἀλλήλους τῶν τε ἵππων παρείλοντο καὶ αἰραρίους ἐποίησαν.
J’ai mentionné cette mesure [taxe sur le sel] pour une raison spéciale, puisque Livius la désigna comme une vengeance personnelle contre les citoyens qui avaient voté sa condamnation ; et de cela il reçut ainsi un surnom, puisqu’il fut désormais appelé Salinator. C’était un acte qui rendit les censeurs célèbres ; un autre était qu’ils se privèrent mutuellement de leur cheval et se firent chacun aerarius.
C. Claudius Nero est l’arrière-petit-fils du célèbre Ap. Claudius Caecus, le petit-fils de Ti. Claudius Nero[1] et le fils d’un Tiberius inconnu. Issu d’une famille prestigieuse, il mena une brillante carrière qu’il commença comme tribun militaire sous M. Livius Salinator en 219[2] puis en 214 comme légat de Marcellus[3]. Préteur en 212 et propréteur en 211, il dirigea le siège de Capoue[4]. Il fut ensuite envoyé en Espagne pour remplacer les Scipions tombés face aux Puniques[5]. Il était donc un personnage de premier plan et le Sénat réussit à le convaincre d’exercer le consulat pour 207 avec M. Livius qui était un de ses adversaires[6]. Ensemble ils remportèrent la bataille du Métaure contre Hasdrubal et réussirent ainsi à isoler Hannibal en Italie. Leur collaboration se poursuivit avec la censure en 204 au cours de laquelle ils exclurent sept sénateurs et où Livius créa un impôt sur le sel pour remédier aux difficultés financières de Rome[7]. L’entente se rompit brutalement lors de la recognitio equitum lorsque Nero prit la décision de priver son collègue de son cheval[8]. Pour se venger de cet affront, Salinator retira à son tour le cheval public à Nero lorsqu’ils arrivèrent à sa tribu.
Plusieurs questions se posent à propos de cet épisode très certainement déformé par Tite-Live bien qu’il soit notre meilleure source dont s’inspirèrent aussi bien Valère Maxime que Dion Cassius. Tout d’abord les motifs invoqués par chaque censeur pour punir son collègue. Nero s’appuya sur la condamnation de Livius par le peuple bien des années plus tôt tandis que ce dernier prétexta le faux témoignage porté contre lui à cette occasion et un second mensonge puisque Nero avait fait croire au peuple qu’il s’était réconcilié avec Livius[9]. Si les causes, qui apparemment se répondent, sont tout à fait crédibles, il est surprenant, en revanche, que chaque censeur n’ait pas apposé son veto pour bloquer la procédure d’exclusion puisque l’accord des deux magistrats était nécessaire pour toute sanction. Cependant, il est fort probable que le censeur n’intervenait pas lors de l’examen de son propre cas, aussi chacun d’eux respecta cette règle tacite et en accepta les conséquences[10].
À la suite de l’exclusion mutuelle de l’ordre équestre, la dispute se poursuivit et Nero fit de son collègue un aerarius[11]. La situation n’en resta pas là puisque Salinator, sous le coup de la colère, alla jusqu’à reléguer parmi les aerarii trente-quatre des trente-cinq tribus parce qu’elles l’avaient déclaré coupable, alors qu’il était innocent, et que malgré cette condamnation, elles l’avaient ensuite élu au consulat[12]. En reléguant presque la totalité du peuple romain, Salinator répliquait aussi à son collègue puisqu’il en faisait un aerarius[13]. Tite-Live précise même que la dégradation infligée à Nero appartenait au blâme collectif et que Salinator, ne pouvant infliger deux fois le même blâme, n’avait pas engagé une procédure individuelle[14]. J. Suolahti a proposé de voir dans la relégation des trente-quatre tribus une stratégie de l’absurde de Salinator qui permettrait d’aboutir à un abandon des dégradations de part et d’autre[15]. En effet, lorsque la dispute atteignit son paroxysme, le Sénat empêcha Cn. Baebius, un tribun, d’intervenir et décida d’agir pour mettre fin à cette folie[16]. Tite-Live nous dit : ea res consensu patrum discussa est[17]. On comprend traditionnellement ce passage comme l’annulation de la dernière mesure de Salinator, la relégation parmi les aerarii des trente-quatre tribus. Cependant ea res peut désigner l’ensemble de la dispute et donc des mesures prises durant celle-ci. Si Nero échappa ainsi à l’exclusion de l’ordre équestre et à la relégation parmi les aerarii, sa censure amoindrit néanmoins sa réputation[18]. L’épisode le présenta aux yeux de tous les Romains comme un homme rancunier et colérique. Néanmoins, il fit partie d’une ambassade en Égypte en 201[19], signe qu’il jouissait toujours d’un certain prestige[20]. En outre Ap. Claudius Nero[21] était peut-être son fils et si tel est le cas, sa carrière montre qu’il ne souffrit pas de l’épisode.
[1] F. Münzer, RE, 3/2, 1899, col. 2776, n° 248 s. v. Claudius.
[2] Cf. notice n° 51.
[3] MRR, 1, p. 261
[4] MRR, 1, p. 267 et 274 ; Brennan 2000, 2, p. 685 et 727.
[5] MRR, 1, p. 280 et Brennan 2000, 2, p. 686.
[6] MRR, 1, p. 294. Cf. notice n° 51.
[7] MRR, 1, p. 309 ; Suolahti 1963, p. 329-331.
[8] Liv., 29, 38, 8-9 et Perioch., 29, 19 ; Val. Max., 2, 9, 6 ; D.C., 17, 71. Pour Salinator, voir la notice n° 51.
[9] Liv., 29, 37, 9 et Perioch., 29, 19 ; Val. Max., 2, 9, 6.
[10] Cf. Bur 2018, chapitre 2.3.
[11] Cf. notice n° 51.
[12] Cf. notice des 34 tribus n° 75.
[13] Liv., 29, 37, 15 et Perioch., 29, 20 ; Val. Max., 2, 9, 6 ; D.C., 17, 71.
[14] Liv., 29, 37, 15.
[15] Suolahti, loc. cit.
[16] Cf. notice sur les 34 tribus n° 75.
[17] Liv., 29, 37, 17.
[18] Liv., 29, 37, 17 parle d’inuidia.
[19] MRR, 1, p. 321.
[20] Cela contredit l’hypothèse de Suolahti 1963, p. 330 qui considérait que Salinator et Nero étaient des hommes finis après leur censure. Si effectivement ils ne revêtirent plus de charge importante, c’est surtout parce que l’un et l’autre avaient atteint le sommet du cursus honorum.
[21] F. Münzer, RE, 3/2, 1899, col. 2774, n° 245 s. v. Claudius ; K.-L. Elvers, Neue Pauly, 3, 1997, col. 10, [I 16].
Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.
Brennan 2000 : Brennan T. C., The Praetorship in the Roman Republic, New York – Oxford, 2000 (2 vol.).
Suolahti 1963 : Suolahti J., The Roman censors : a study on social structure, Helsinki, 1963.