M. Fluss, RE, 14/2, 1930, col. 1835, n° 54 s. v. Marius ; L. Petersen, PIR², 5, Berlin, 1970, p. 207, M 309 ; W. Eck, Neue Pauly, 7, 1999, col. 909, [II 11].
Sen., Benef., 2, 7, 2 : Ti. Caesar rogatus a Nepote Mario praetorio, ut aeri alieno eius succurreret, edere illum sibi nomina creditorum iussit ; hoc non est donare sed creditores conuocare. Cum edita essent, scripsit Nepoti iussisse se pecuniam solui adiecta contumeliosa admonitione ; effecit, ut Nepos nec aes alienum haberet nec beneficium : liberauit illum a creditoribus, sibi non obligauit. Aliquid Tiberius secutus est ; puto, noluit plures esse, qui idem rogaturi concurrerent. Ista fortasse efficax ratio fuerit ad hominum inprobas cupiditates pudore reprimendas, beneficium uero danti tota alia sequenda est uia.
Tibère César fut sollicité par Marius Nepos, ancien préteur, de venir à son aide dans la situation obérée où il était ; il se fit alors présenter la liste des créanciers ; cela ne s’appelle pas faire un don, mais convoquer les créanciers. Lorsqu’il eut vu la liste, il écrivit à Nepos qu’il avait fait verser l’argent, en ajoutant une leçon humiliante ; il fit si bien que Nepos n’eut plus ni dette ni obligation ; le Prince le délivra de ses créanciers, sans se l’attacher à lui-même. Tibère avait son but : éviter je suppose, que d’autres n’accourussent en foule auprès de lui pour lui adresser la même sollicitation. Ce pouvait être, je le veux bien, un moyen sûr de refouler par un sentiment de honte la cupidité insatiable du public, mais lorsqu’on accorde un bienfait, c’est une méthode toute différente qu’il faut suivre (trad. F. Préchac, CUF).
Tac., Ann., 2, 48, 3 : ita prodigos et ob flagitia egentes, Vibidium Virronem, Marium Nepotem, Appium Appianum, Cornelium Sullam, Q. Vitellium mouit senatu aut sponte cedere passus est.
ceux que la prodigalité ou le vice avaient réduits à l’indigence, Vibidius Virro, Marius Nepos, Appius Appianus, Cornelius Sulla, Q. Vitellius, il [Tibère] les exclut du Sénat ou les laissa s’en retirer (trad. P. Wuilleumier, CUF).
Marius Nepos fit partie de la fournée de sénateurs exclus par Tibère en raison de la perte du cens sénatorial lors de la révision annuelle de l’album senatus de 17[1]. La dégradation fut précédée, à une date indéterminée, d’un épisode rapporté par Sénèque où Marius sollicita l’aide financière de Tibère pour faire face à ses nombreuses dettes. Le récit nous apprend que Marius était un ancien préteur, mais il nous est impossible de dater cette préture ni d’obtenir d’autres informations sur sa carrière. Il nous faut nous contenter de ce rang prétorien prouvant l’appartenance de Marius au Sénat. Cette avancée dans le cursus honorum signale peut-être également une certaine bienveillance du Prince.
Dans un premier temps, Marius, considérablement endetté, appela Tibère pour l’aider à se libérer de ses créanciers[2]. L’épisode se situe très probablement au début du règne de Tibère et il faut donc le placer entre 14 et 17, date de l’exclusion. L’aide fournie par le Prince est ambiguë puisqu’il paie les dettes de Marius mais y ajoute une contumeliosa admonitio. Sénèque ne précise pas de quoi il s’agit, mais il reproche à Tibère sa façon de faire qui empêche de désigner son secours comme un bienfait. L’admonitio est-elle l’acte en soi ou bien un reproche, oral ou écrit, supplémentaire ? Le verbe utilisé par Sénèque, adicio, suggère plutôt la seconde solution[3]. Tibère aurait écrit dans la lettre envoyée à Marius pour l’informer des versements faits aux créanciers une note pleine de reproches et, surtout, il aurait fait savoir qu’il la lui envoyait. L’aspect public des reproches visait, d’après Sénèque, à éviter que le Prince ne fût assailli de demandes similaires. Ainsi, si Marius fut libéré de ses dettes par Tibère, il ne ressortait pas indemne de l’épisode. Son capital économique était certes intact mais au détriment de son capital symbolique.
Peu après, Tibère opéra la révision des listes de sénateurs et exclut Marius parce qu’il ne possédait plus le cens requis à cause de son mode de vie[4]. M. Fluss et W. Eck, dans leur notice, considèrent que durant le court laps de temps entre les deux épisodes, Marius aurait perdu une seconde fois sa fortune à cause de son train de vie et que cette fois-ci le Prince décida de l’exclure du Sénat. L’hypothèse est plausible mais il est surprenant que Marius, renfloué par le Prince quelques années auparavant, ait réussi à faire faillite aussi vite, surtout après l’admonitio publique. Au contraire, le scandale l’avait sans doute mis au centre de l’attention et sa conduite devait être plus étroitement épiée. Si Marius avait perdu de nouveau son patrimoine, le Prince l’aurait très certainement plus sévèrement réprimandé et Tacite ou Sénèque auraient pu s’en faire l’écho. S’il n’y eut pas une seconde faillite, Tibère pouvait également décider d’écarter Marius du Sénat parce que l’aide financière qu’il lui avait donnée attestait sa mauvaise gestion et méritait d’être sanctionnée. Tibère n’aurait alors sauvé que la fortune de Marius et aurait actualisé les reproches qu’il lui avait alors formulés en le dégradant. Toutefois une précision de Tacite pourrait donner un indice sur une autre interprétation : certains sénateurs se retirèrent volontairement[5]. Il nous paraît plus vraisemblable que Marius, décrié depuis le bienfait ambivalent de Tibère, ait préféré se retirer de lui-même du Sénat. Par ce retrait volontaire, il atténuait l’humiliation subie peu auparavant en montrant publiquement qu’il prenait ses responsabilités et espérait ainsi préserver en partie son honneur et surtout celui de sa famille après avoir réussi à sauver le patrimoine. En se considérant comme indigne de la curie parce qu’il n’avait pas su gérer convenablement sa fortune, puisqu’il avait dû demander de l’aide au Prince, il proclamait qu’il avait compris et accepté ses reproches, qui se trouvaient confirmés devant l’opinion. Il tentait par là de faire amende honorable afin de sauver sa réputation entachée[6].
Nous ne savons malheureusement rien sur la suite de la vie de Marius ni sur ses éventuels descendants. Nous ne pouvons donc pas déterminer si la stratégie de Marius telle que nous l’avons supposée fonctionna pour lui ou pour ses enfants.
[1] Cf. notices n° 35, 36, 38 et 39.
[2] Pour les aides financières accordées par Auguste et Tibère à des sénateurs : Talbert 1984, p. 50-52.
[3] Seager 1972, p. 114.
[4] Pour l’examen de la procédure et de son motif, nous renvoyons à la notice d’Appius Appianus n° 35.
[5] Talbert 1984, p. 53 affirme que les départs liés à la pauvreté étaient toujours volontaires, ce qu’il nous paraît impossible de déduire de Tac., Ann., 12, 52, 3.
[6] Levick 1976, p. 95 a émis l’hypothèse que les cinq sénateurs exclus pour pauvreté de l’ordre sénatorial auraient été des opposants politiques à Tibère, pour aussitôt en douter. Nous ne pensons pas en effet que cet épisode s’accorde avec une éventuelle épuration qui aurait suivi la conspiration de Libo Drusus.
Levick 1976 : Levick B., Tiberius the Politician, Londres, 1976.
Seager 1972 : Seager R., Tiberius, Londres, 1972.
Talbert 1984 : Talbert R. J. A., Senate of Imperial Rome, Princeton, 1984.