Infames Romani

Junius Gallio [77]

Numéro
125
Identité
Catégorie
Auto-épuration du Sénat
Sous catégorie
-
Date de l'épisode
31
Références prosopographiques

K. Gerth, RE, 10/1, 1918, col. 1035-1039, n° 77 s. v. Junius ; L. Petersen, PIR², 4/3, 1966, p. 334-335, I 756 ; W. Eck, Neue Pauly, 6, 1999, col. 67, [II 14] ; Cucheval 1893, 1, p. 283 ; Bornecque 1902, p. 173-176 ; Castillo 1982, p. 507-508, n° 67 ; Salomies 2005, p. 256 ; Balbo 2007, p. 247‑253, n° 13.

Source
Source

Tac., Ann., 6, 3 : At Iunium Gallionem qui censuerat ut praetorianiactis stipendiis ius apiscerentur in quattuordecim ordinibus sedendi uiolenter increpuit, uelut coram rogitans quid illi cum militibus quos neque dicta imperatoris neque praemia nisi ab imperatore accipere par esset. Repperisse prorsus quod diuus Augustus non prouiderit : an potius discordiam et seditionem a satellite Seiani quaesitam, qua rudis animos nomine honoris ad corrumpendum militiae morem propelleret ? Hoc pretium Gallio meditatae adulationis tulit, statim curia, deinde Italia exactus ; et quia incusabatur facile toleraturus exilium delecta Lesbo, insula nobili et amoena, retrahitur in urbem custoditurque domibus magistratuum.


Mais contre Junius Gallio, qui avait proposé d’accorder aux prétoriens, après leur libération du service, le droit de s’asseoir sur les quatorze rangs de gradins, il [Tibère] lança une vive réprimande, lui demandant, comme s’il eût été présent, ce qu’il avait de commun avec des soldats, qui ne devaient recevoir les ordres que de l’empereur. Il avait sans doute découvert quelque chose que le divin Auguste n’avait pas prévu ; n’était-ce pas plutôt la discorde et la sédition que cherchait ce satellite de Séjan, en poussant des esprits grossiers, sous prétexte d’honneurs, à ruiner la discipline militaire ? Voici la récompense que valut à Gallio sa recherche d’adulation : il fut expulsé aussitôt de la curie, puis de l’Italie, et, comme on lui reprochait d’avoir choisi un exil facile à supporter dans l’île de Lesbos, célèbre et riante, il est ramené à Rome et gardé dans les maisons des magistrats (trad. P. Wuilleumier et H. Le Bonniec, CUF).

Notice
Notice

Junius Gallio naquit vers 30 avant J.-C.[1] en Espagne, peut-être en Bétique[2], dans une famille dont nous ne savons rien. Venu jeune à Rome pour ses études[3], il devint un déclamateur réputé[4], se lia d’amitié avec Sénèque le Rhéteur[5] et aussi avec Ovide qui lui conseilla de se remarier après le décès de sa femme en 13 après J.-C.[6]. Malgré les éloges de Sénèque qui le présente toujours dans son œuvre avec force louanges, H. Bornecque a nuancé le talent de Gallio[7] rappelant qu’il ne semble pas avoir tenu d’école[8] et que son traité de rhétorique ne fut guère estimé[9]. Toutefois, sa déchéance pourrait expliquer une telle situation. Bien qu’il ne paraisse pas avoir plaidé au forum ni s’être lancé dans le cursus honorum[10], nous le retrouvons sénateur en 32[11].


Peu après la chute de Séjan, Gallio, peut-être pour assurer sa position alors que la répression faisait rage contre les partisans de l’ancien favori, proposa d’accorder aux vétérans de la garde prétorienne le droit de siéger dans les gradins réservés aux chevaliers dans les spectacles[12]. Tacite affirme que Gallio cherchait à flatter le Prince[13] en honorant sa garde[14], cependant Tibère vit les choses d’une tout autre manière et écrivit une lettre accablante contre le déclamateur. L’empereur, l’accusant de manière sarcastique de prendre sa place, avait plusieurs craintes. D’abord, il refusait tout honneur qui ne venait pas de lui à un élément aussi crucial de l’armée : seul le Prince pouvait détenir de la gratia sur les prétoriens[15]. Ensuite, par conservatisme, il redoutait que l’ordre équestre ne prît cette mesure comme un affront[16]. Enfin, par cet honneur, Gallio rappelait publiquement que Tibère devait à sa garde prétorienne d’avoir conservé le pouvoir, ce qu’il ne pouvait supporter[17]. Pour combattre cette proposition bien imprudente, Tibère insinua dans sa lettre que Gallio était peut-être un complice de Séjan, fomentant quelque trouble.


Les quelques mots de Tacite, statim curia, deinde Italia exactus, rendent la procédure bien obscure. Il y eut une dénonciation par le Prince dans une lettre adressée au Sénat qui provoqua sa réaction, sans que nous sachions s’il y eut une accusation en bonne et due forme. Le point central de l’analyse repose sur l’adverbe deinde employé par Tacite. R. S. Rogers a ainsi proposé que les sénateurs, estimant peut-être l’affaire moins sérieuse que Tibère, votèrent dans un premier temps l’exclusion du Sénat de Gallio[18], puis, dans un second temps, après que Tibère eut réécrit au Sénat pour réclamer une peine plus lourde, décidèrent que Gallio fût chassé d’Italie[19]. En effet, en raison de ce deinde, il est difficile de soutenir que Gallio fût exclu du Sénat et exilé au cours d’une même séance[20]. En revanche, nous pouvons également envisager une procédure en deux temps sans intervention du Prince. Gallio aurait été immédiatement chassé du Sénat après lecture de la lettre de Tibère par un vote d’exclusion et, une fois parti, le Sénat l’aurait condamné à l’exil. Cependant, la suite du récit, révélant les hésitations de Tibère à propos du châtiment de Gallio, le rappelant de son exil à Lesbos pour le faire finalement garder par des magistrats[21], nous incite à accepter plutôt l’interprétation de R. S. Rogers.


La première sanction infligée à Gallio fut bien l’exclusion du Sénat, et donc de l’ordo[22], décidée par les patres à l’issue d’un vote parce que sa proposition d’honorer les vétérans de la garde prétorienne apparaissait comme une menace pour le Prince et ainsi une atteinte à l’ordre public. Exclu du Sénat, Gallio fut ensuite non pas relégué, mais placé en résidence surveillée par les magistrats à Rome. Sa déchéance était manifeste[23], et sa fin de vie, malgré ses talents de déclamateur, fut entachée par cette humiliation. Nous ne connaissons pas la date de sa mort, mais H. Bornecque a supposé qu’il avait peut-être été relâché après la mort de Tibère[24].


Gallio avait adopté le fils aîné de Sénèque le Rhéteur, Novatus, après la mort de son ami[25] mais certainement avant l’épisode de 32. Appelé désormais L. Junius Gallio Annaeanus[26], il entra au Sénat au plus tard sous Caligula puisqu’il est préteur vers 46, proconsul d’Achaïe en 51-52[27] et enfin consul suffect en juillet-août 56[28]. Son parcours brillant, auquel on peut ajouter le titre d’amicus que lui confère Claude dans une lettre[29], révèle que l’humiliation de son père adoptif ne fut pas une entrave à sa carrière. Il dut s’appuyer peut-être plus sur sa famille d’origine, notamment sur son frère cadet, bien en cour sous Claude et au début du règne de Néron, mais finalement contraint au suicide, destin que Gallio Annaeanus partagea peu après[30].






[1] Bornecque 1902, p. 173.


[2] Stace, Silv., 2, 7, 30 parle d’un Gallio né en Espagne et Castillo 1982, p. 507 suppose qu’il venait de Bétique à cause de son amitié avec Sénèque le Rhéteur.


[3] Sen. Rhet., Contr., 7, praef., 6.


[4] Outre Sénèque qui le classe parmi le quadrige de tête de l’époque (Contr., 10, praef. 13), Saint-Jérôme (Comm. ad Iesai, 8, Praef.) se fait l’écho du succès que rencontraient encore à son époque les déclamations que Gallio avait publiées.


[5] Sénèque le qualifie de noster notamment dans Contr., 2, 1, 33 ; 5, 11 et 13 ; 3, Praef., 2 ; 7, Praef., 5.


[6] Ov., Pont., 4, 11, 21-22.


[7] Bornecque 1902, p. 175. Cf. Tac., Or., 26, 1.


[8] Bornecque 1902, p. 174.


[9] Bornecque 1902, p. 176 d’après Quint., Inst. Or., 3, 1, 21.


[10] Bornecque 1902, p. 174 et Balbo 2007, p. 252. Castillo 1982, p. 508 suppose à partir de l’adjectif dulcis attribué à Gallio par Stace qu’il s’adonnait également à la poésie.


[11] Tac., Ann., 6, 3, 3. Il dut donc revêtir sans doute la questure à une date inconnue.


[12] Tac., Ann., 6, 3, 1.


[13] Tac., Ann., 6, 3, 3 : pretium Gallio meditatae adulationis.


[14] Rogers 1935, p. 129.


[15] Yavetz 1999, p. 62 suivi par Balbo 2007, p. 253.


[16] Yavetz 1999, loc. cit.


[17] Levick 1976, p. 204 qui s’appuie sur Tac., Ann., 4, 18, 2-3.


[18] Talbert 1984, p. 27. Sur le vote d’exclusion cf. Bur 2018, chapitre 8.


[19] Rogers 1935, loc. cit.


[20] Ainsi Levick 1976, loc. cit. et Syme 1978, p. 80, sans entrer dans les détails de la procédure, considèrent tous les deux que l’exclusion du Sénat précéda l’exil.


[21] Tac., Ann., 6, 3, 3.


[22] Mommsen 1889-1896, 6/1, p. 60. Cf. Bur 2018, chapitre 6.3.


[23] Rivière 2004, p. 151-152 précise que ce type d’emprisonnement était devenu rare sous le Principat. Un tel choix de Tibère ne pouvait donc qu’entraîner une certaine visibilité pour Gallio qui ne pouvait pas non plus faire oublier son humiliation grâce à l’éloignement.


[24] Bornecque 1902, p. 174.


[25] Bornecque 1902, loc. cit.


[26] O. Rossbach, RE, 1, 2, 1894, p. 2236-2237, n° 12 s. v. L. Annaeus Novatus ; L. Petersen, PIR², 4/3, 1966, p. 335, I 757 ; W. Eck, Neue Pauly, 6, 1999, col. 67, [II 15] ; Castillo 1982, p. 508, n° 68.


[27] Groag 1927, p. 32-35 ; Thomasson 1984, col. 191, 24/13. C’est devant lui que les Juifs de Corinthe intentèrent une action contre Paul qu’il rejeta (Acta apostolorum, 18, 12).


[28] Degrassi 1952, p. 15.


[29] SIG3 801 D = SEG, 3, 389.


[30] Eus., Hieron., ad a. 64, p. 183 Helm : Iunius Gallio, frater Senecae, egregius declamator propria se manu interfecit.

Bibliographie
Bibliographie

Balbo 2007 : Balbo A., I frammenti degli oratori. Età tiberiana, 1, Alessandria, 2007.


Bornecque 1902 : Bornecque H., Les déclamations et les déclamateurs d’après Sénèque le père, Lille, 1902.


Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.


Castillo 1982 : Castillo C., « Los senadores beticos. Relaciones familiares y sociales », dans Epigrafia e ordine senatorio, 2, Rome, 1982, p. 465-519.


Cucheval 1893 : Cucheval V., Histoire de l’éloquence romaine, depuis la mort de Cicéron jusqu’à l’avènement de l’empereur Hadrien, Paris, 1893.


Degrassi 1952 : Degrassi A., I Fasti consolari dell’impero romano dal 30 avanti Cristo al 613 dopo Cristo, Rome, 1952.


Groag 1927 : Groag E., Die römischen Reichsbeamten von Achaia bis auf Diokletian, Vienne – Leipzig, 1939.


Levick 1976 : Levick B., Tiberius the Politician, Londres, 1976.


Mommsen 1889-1896 : Mommsen T., Le Droit public romain, Paris, 1889-1896 (8 vol.).


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Clément Bur, Infames Romani n°125, Albi, INU Champollion, Pool Corpus, 2018, mis à jour le