Liv., 27, 11, 14 (a. 209) : illis omnibus – et multi erant – adempti equi qui Cannensium legionum equites in Sicilia erant. Addiderunt acerbitati etiam tempus, ne praeterita stipendia procederent iis quae equo publico emeruerant, sed dena stipendia equis priuatis facerent.
À tous ceux – et ils étaient nombreux – qui, comme chevaliers, servaient en Sicile dans les légions de Cannes, on enleva leur cheval. À cette sévérité, les censeurs ajoutèrent même une prolongation de leur temps de service : les années de service précédentes, qu’ils avaient effectuées avec le cheval public, ne leur seraient pas décomptées, mais ils devraient servir dix ans chacun avec des chevaux entretenus à leurs frais (trad. P. Jal, CUF).
Le 2 août 216, Rome connut une de ses plus sévères défaites, la bataille de Cannes qui coûta la vie à 45 000 soldats. De retour à Rome, les survivants soupçonnés de lâcheté furent de plus éclaboussés par le scandale de la conspiration de Metellus[1]. Afin de faire un exemple, le Sénat prit des mesures rigoureuses à l’encontre des rescapés désignés communément chez Tite-Live comme legiones Cannenses. Après l’élection des magistrats pour 215, à la fin de 216, il décida de les reléguer en Sicile jusqu’à ce que l’ennemi fût chassé d’Italie[2]. Quelques mois plus tard, en mars 215, lors de la séance inaugurale, les sénateurs supprimèrent la solde des legiones Cannenses[3]. Contrairement au récit de Tite-Live qui rapporte leur requête réclamant le droit de combattre pour racheter leur faute, ces troupes étaient vraisemblablement engagées en Sicile dans des opérations militaires[4]. Cependant leur service était ignominieux, répondant aux conditions énoncées par le Sénat à l’adresse de Marcellus : « pourvu qu’aucun de ces hommes ne fût exempté de corvée, ne reçût de récompense militaire pour son courage, et ne fût ramené en Italie tant que l’ennemi serait sur la terre italienne »[5]. Quelques années plus tard, comme la situation ne s’améliorait pas, les legiones Cannenses et les soldats vaincus en Apulie en 212 furent de nouveau punis pour l’exemple : on leur interdit d’hiverner dans ou près des villes ce qui revenait selon S. Peré-Noguès à leur interdire de vivre sur le pays et de faire du butin[6].
En 209, les censeurs s’en prirent encore une fois aux légions de Cannes mais seulement aux chevaliers qu’ils privèrent de leur cheval public[7]. En 214, les blâmes n’avaient touché que les jeunes hommes qui évitaient le service et surtout Metellus et ses complices[8]. Metellus lui-même fut une nouvelle fois châtié et il est probable que les chevaliers des légions de Cannes furent encore victimes du soupçon d’avoir participé au complot organisé par le jeune noble[9]. Fait remarquable, les censeurs purent agir ainsi malgré l’absence des chevaliers qui étaient cantonnés en Sicile sur ordre du Sénat. Le blâme fut donc pris de façon purement administrative, sans comparution devant les censeurs, de manière comparable à ce qu’il se passa en 252[10]. Les chevaliers blâmés étaient tous des equites equo publico ainsi que l’atteste la formule utilisée par Tite-Live pour signifier la dégradation : adempti equi. Ils étaient plus probablement de simples chevaliers que les fils de grands aristocrates s’il faut accorder du crédit aux plaintes contenues dans la lettre transmise par Marcellus au Sénat en 212[11]. À la dégradation les censeurs ajoutèrent l’annulation des années de service déjà accomplies et l’obligation de le poursuivre equo priuato. Cette expression est un hapax et désignerait le service dans la cavalerie légionnaire[12]. Toutefois rien n’indique qu’ils furent versés parmi les aerarii comme les Romains qui tentaient d’échapper au service[13].
S. Peré-Noguès a bien montré que les legiones Cannenses furent frappées par un châtiment collectif exemplaire destiné à réaffirmer l’autorité du Sénat face aux généraux et magistrats et à resserrer les rangs afin de permettre la guerre à outrance contre Hannibal[14]. L’étalement des sanctions révèle qu’elles étaient prises lorsque la situation les rendait nécessaires, c’est-à-dire lorsqu’il fallait rafraîchir la mémoire des Romains. Les chevaliers qui appartenaient aux légions vaincues à Cannes furent sacrifiés dans cet élan de sévérité du Sénat décidé à remporter la guerre coûte que coûte. Malgré la suppression de la solde et l’obligation de servir dans la cavalerie à leurs frais, les chevaliers dégradés ne perdirent que la dignité et non le cens. Aussi reste-t-il possible que leurs descendants aient pu réintégrer l’ordre équestre.
[1] Cf. notices n° 3 et 48. Péré-Noguès 1998, p. 229 a bien montré que les legiones Cannenses souffrirent durant toute la deuxième guerre Punique du soupçon d’avoir accueilli favorablement le projet de désertion de Metellus.
[2] Liv., 23, 25, 7.
[3] Liv., 23, 31, 1-2.
[4] Liv., 25, 5, 10 – 6, 23. Péré-Noguès 1997, p. 124-125.
[5] Liv., 25, 7, 4 : dum ne quis eorum munere uacaret neu dono militari uirtutis ergo donaretur neu in Italiam reportaretur donec hostis in terra Italia esset (trad. F. Nicolet-Croizat, CUF).
[6] Liv., 26, 1, 10. Péré-Noguès 1997, p. 123.
[7] Liv., 27, 11, 14. Cf. MRR, 1, p. 285 et Suolahti 1963, p. 323.
[8] Cf. notices n° 3, 48 et 73.
[9] Péré-Noguès 1998, p. 228-229 qui rapporte la confusion faite par Val. Max., 2, 7, 15c entre les vaincus de Cannes et les complices de Metellus. En réalité, on suspectait peut-être les soldats vaincus à Cannes d’être plus favorables aux partisans de la paix : cf. notices n° 3 et 48.
[10] Cf. notice n° 46. Il est difficile d’envisager des permissions pour l’ensemble des chevaliers concernés afin qu’ils reviennent à Rome pour participer au recensement.
[11] Liv., 25, 6, 8 : les légionnaires de Cannes s’indignaient de la différence de traitement en leur sein entre les jeunes officiers, fils de sénateurs et probablement membres de l’ordre équestre, et les autres soldats.
[12] Nicolet 1966-1974, 1, p. 53 ; 73 et 86.
[13] Cf. notice n° 74.
[14] Péré-Noguès 1997, p. 129 et 1998, p. 232.
Nicolet 1966-1974 : Nicolet C., L’Ordre équestre à l’époque républicaine (312-43 av. J.-C.), Paris, 1966-1974 (2 vol.).
Péré-Noguès 1997 : Péré-Noguès S., « Note sur les legiones Cannenses : soldats oubliés de la deuxième guerre punique ? », Pallas, 1997, 46, p. 121-130.
Péré-Noguès 1998 : Péré-Noguès S., « Autour des legiones Cannenses (2) », Pallas, 1998, 48, p. 225‑232.
Suolahti 1963 : Suolahti J., The Roman censors : a study on social structure, Helsinki, 1963.