P. von Rohden et H. Dessau, PIR, 3, V 505 ; R. Hanslik, RE, Suppl. 9, 1962, col. 1741‑1742, n° 7g s. v. Vitellius ; W. Eck, Neue Pauly, 12/2, 2002, col. 263, [II 8] ; Wiseman 1971, p. 276, n° 504.
Tac., Ann., 2, 48, 3 : ita prodigos et ob flagitia egentes, Vibidium Virronem, Marium Nepotem, Appium Appianum, Cornelium Sullam, Q. Vitellium mouit senatu aut sponte cedere passus est.
ceux que la prodigalité ou le vice avaient réduits à l’indigence, Vibidius Virro, Marius Nepos, Appius Appianus, Cornelius Sulla, Q. Vitellius, il [Tibère] les exclut du Sénat ou les laissa s’en retirer (trad. P. Wuilleumier, CUF).
Suet., Vit., 2, 2-4 : ceterum P. Vitellius domo Nuceria, siue ille stirpis antiquae siue pudendis parentibus atque auis, eques certe R. et rerum Augusti procurator, quattuor filios amplissimae dignitatis cognomines ac tantum praenominibus distinctos reliquit Aul., Q., P., L. Aulus in consulatu obiit, quem cum Domitio Neronis Caesaris patre inierat, praela<u>tus alioqui famosusque cenarum magnificentia. Quintus caruit ordine, cum auctore Tiberio secerni minus idoneos senatores remouerique placuisset.
Ce qu’il y a de sûr, c’est que P. Vitellius, originaire de Nuceria, qu’il descendît d’une antique lignée ou qu’il eût à rougir de ses parents et de ses ancêtres, fut chevalier romain, procurateur de la fortune d’Auguste, et qu’il laissa quatre fils, homonymes et distingués seulement par leurs prénoms : Aulus, Quintus, Publius et Lucius, qui s’élevèrent aux plus hautes dignités. Aulus mourut durant son consulat, qu’il avait commencé avec Domitius, le père de l’empereur Néron ; il était fastueux, mais surtout renommé pour la somptuosité de sa table. Quintus perdit son rang de sénateur, vu que, sur l’initiative de Tibère, on décida d’épurer cet ordre et d’en exclure les membres indignes (trad. H. Ailloud, CUF).
Q. Vitellius est l’un des quatre fils de P. Vitellius[1], chevalier Romain originaire de Nuceria et procurateur de la fortune d’Auguste[2]. Suétone le présente dans sa biographie de Vitellius car il est l’oncle du futur empereur. Une inscription nous apprend qu’il aurait été marié à une certaine Bassa et qu’il aurait eu d’elle un fils[3].
L’homonymie fait de notre personnage un des meilleurs candidats possibles à l’identification avec Q. Vitellius, questeur d’Auguste à une date indéterminée[4]. Toutefois, Suétone précise que les quatre fils de P. Vitellius reçurent des amplissimae dignitates[5]. Notre personnage n’était peut-être pas le questeur d’Auguste, mais il n’en demeure pas moins fort probable qu’il revêtît la questure ou une autre magistrature le faisant entrer au Sénat[6]. En effet, exclu du Sénat par Tibère lors de la révision annuelle de 17[7], il devait y être entré auparavant puisque sa naissance ne lui permettait pas d’appartenir à l’ordre sénatorial. D’origine équestre, T. P. Wiseman aurait alors raison d’en faire un homo nouus[8] sauf si le Q. Vitellius, questeur du Divin Auguste, était un de ses ancêtres[9].
Lors de la révision de l’ordre, Vitellius fut exclu du Sénat parce qu’il ne remplissait plus les conditions censitaires et que son mode de vie honteux en était responsable[10]. Suétone confirme l’indignité de Vitellius puisqu’il le classe parmi les sénateurs minus idonei qui furent exclus[11]. En outre, ce n’est peut-être pas par hasard qu’il relate la vie de Q. Vitellius juste après avoir mentionné le goût d’Aulus pour la bonne chère[12], établissant ainsi une sorte de passerelle entre les vies des deux frères. Aulus Vitellius, mais aussi plus tard l’empereur[13] et son frère[14], étaient réputés pour leur prodigalité et leur gourmandise. Q. Vitellius succombait peut-être également à ces penchants qui apparaissent comme un travers familial sans que cela ait nui pour autant à leur carrière respective[15]. Peut-être faut-il en conclure que Quintus se distinguait de ses parents par ses excès en la matière. Reste que sa conduite privait Q. Vitellius du soutien financier du Prince qui restituait parfois le patrimoine de certains sénateurs risquant la déchéance[16]. La dégradation n’était pas seulement la conséquence objective de l’appauvrissement d’un sénateur mais aussi la reconnaissance de sa responsabilité et avait pour cela un caractère humiliant[17]. Afin de l’atténuer, Tacite précise que Tibère laissa certains se retirer volontairement (sponte cedere), mais le récit de Suétone s’accorderait mal avec un tel aveu de Vitellius[18]. Tibère exclut du Sénat Q. Vitellius parce qu’il n’avait plus le cens requis et parce qu’il devait cette situation à une conduite indigne d’un sénateur[19].
Alors que, selon Tacite, Vitellius fut exclu du Sénat (mouit senatu), Suétone parle d’exclusion de l’ordre (Quintus caruit ordine). Les deux expressions ne sont cependant pas contradictoires. Vitellius était bien sénateur mais en perdant une partie de sa fortune, il ne remplissait plus les conditions nécessaires pour appartenir à l’ordre sénatorial et a fortiori au Sénat. La formule de Suétone est tout aussi juste, seulement plus imprécise pour ce cas[20]. Comme la perte du cens s’accompagnait d’une condamnation morale, il est presque impossible que, même s’il possédait encore une fortune suffisante, Vitellius, après sa dégradation, entrât dans l’ordre équestre.
Nous n’avons aucune information sur la fin de vie de Q. Vitellius ni sur ses éventuels descendants. En revanche, ses déboires ne semblent pas avoir entravé la carrière ni de ses frères, Aulus et Lucius qui parvinrent au consulat respectivement en 32 et en 43 puis 47[21], ni de son neveu, A. Vitellius, fils de Lucius, qui devint brièvement empereur en 69.
[1] R. Hanslik, RE, Suppl. 9, 1962, col. 1741, n° 7e s. v. Vitellius ; W. Eck, Neue Pauly, 12/2, 2002, col. 263, [II 5] ; Demougin 1992, p. 84-85, n° 75.
[2] Suet., Vit., 2, 1.
[3] CIL, 6, 359.
[4] Suet., Vit., 1, 2 : ad Quintum Vitellum Diui Augusti quaestorem libellus. L’identification a été unanimement acceptée dans les références citées ci-dessus ainsi que par Suolahti 1963, p. 511. Cependant, Q. Vitellius, le sénateur qui avait combattu comme gladiateur lors des jeux donnés par Octavien en 29 (D.C., 51, 22, 4), est une autre possibilité intéressante. La questure aurait pu être la récompense pour le dévouement dont il avait fait preuve en s’humiliant dans l’arène comme nous l’avançons dans la notice n° F. Notons tout de suite que la chronologie rend impossible d’identifier ces deux Q. Vitellius.
[5] Suet., Vit., 2, 2.
[6] L’entrée dans le Sénat paraît indéniable ainsi Demougin 1992, loc. cit. : « Les quatre fils du procurateur entrèrent dans le Sénat ». Nous proposons d’identifier le questeur d’Auguste au Q. Vitellius qui combattit aux jeux pour la dédicace de l’aedes Caesaris en 29 avant J.‑C. : cf. notice n° F. Toutefois, il n’est pas impossible que le questeur signalé par Suétone soit en réalité notre personnage.
[7] Tac., Ann., 2, 48, 3 ; Suet., Vit., 2, 4.
[8] Wiseman 1971, p. 276.
[9] Ce Q. Vitellius, sénateur avant 29 donc, serait entré à la curie sans doute durant les guerres civiles, comme partisan d’Octavien vraisemblablement et son fils, P. Vitellius, né avant la mise en place de l’ordre sénatorial, aurait alors pu rester chevalier et mener une carrière équestre. Rien n’interdit d’identifier ce Q. Vitellius avec le fils du riche savetier affranchi ayant amassé une fortune dont parle Suet., Vit., 2, 1. Cf. ci-dessus.
[10] Pour la procédure, le motif et la sanction, nous renvoyons à la notice d’Appius Appianus n° 35.
[11] Suet., Vit., 2, 4.
[12] Suet., Vit., 2, 3 : famosusque cenarum magnificentia.
[13] Suet., Vit., 13 et plus loin 17, 3 uenter obesus.
[14] Suet., Vit., 13, 3.
[15] La gourmandise apparaît comme la caractéristique principale que la tradition a retenue de la gens Vitellia. Mais une telle image est-elle due aux attaques qu’elle eut à subir, notamment à partir de 69, comme Suet., Vit., 1, 1 s’en fait l’écho, ou bien s’agit-il d’une spécialité familiale authentique, qu’il s’agisse d’un travers ou d’un comportement assumé porteur d’une certaine signification ?
[16] Pour les aides financières accordées par Auguste et Tibère à des sénateurs : Talbert 1984, p. 50-52. Signalons en particulier l’exemple de M. Hortalus, descendant du fameux orateur Hortensius (Tac., Ann., 2, 37‑38).
[17] Baltrusch 1989, p. 135 n. 19 en particulier
[18] Talbert 1984, p. 53 affirme que les départs liés à la pauvreté étaient toujours volontaires, ce qu’il nous paraît impossible de déduire de Tac., Ann., 12, 52, 3 et Suétone le contredit pour Vitellius.
[19] Levick 1976, p. 95 a émis l’hypothèse que les cinq sénateurs exclus pour pauvreté de l’ordre sénatorial auraient été des opposants politiques à Tibère, pour aussitôt en douter. Nous ne pensons pas en effet que cet épisode s’accorde avec une éventuelle épuration qui aurait suivi la conspiration de Libo Drusus.
[20] Il est impossible de considérer qu’un personnage puisse être exclu du Sénat tout en restant dans l’ordre sénatorial. Cf. Bur 2018, chapitre 6.3.
[21] Degrassi 1952, p. 10, 12 et 13.
Baltrusch 1989 : Baltrusch E., Regimen morum. Die Reglementierung des Privatlebens der Senatoren und Ritter in der römischen Republik und frühen Kaiserzeit, Munich, 1989.
Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.
Degrassi 1952 : Degrassi A., I Fasti consolari dell’impero romano dal 30 avanti Cristo al 613 dopo Cristo, Rome, 1952.
Demougin 1992 : Demougin S., Prosopographie des chevaliers romains julio-claudiens, Rome, 1992.
Levick 1976 : Levick B., Tiberius the Politician, Londres, 1976.
Suolahti 1963 : Suolahti J., The Roman censors : a study on social structure, Helsinki, 1963.
Talbert 1984 : Talbert R. J. A., Senate of Imperial Rome, Princeton, 1984.
Wiseman 1971 : Wiseman T. P., New Men in the Roman Senate, Londres, 1971.