Infames Romani

M. Aemilius M. f. M. n. Lepidus Porcina [83]

Numéro
13
Identité
Catégorie
Procédures censoriales
Sous catégorie
Eviction du Sénat
Date de l'épisode
-125
Références prosopographiques

E. Klebs, RE 1/1, 1893, col. 566-567, n° 83 s. v. Aemilius ; K.-L. Elvers, Neue Pauly, 1, 1996, col. 179‑180, [I 17] ; Sumner 1973, n° 46 p. 47-48 et 66 ; David 1992, p. 675 ; Rosenstein 1990, p. 180-181, n° 3 ; Rüpke 2005, 2, p. 740, n° 517 ; DPRR n° AEMI1553.

Source
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Vell., 2, 10, 1 : Prosequamur nota seueritatem censorum Cassii Longini Caepionisque, qui abhinc annos †CLVII† Lepidum Aemilium augurem, quod sex milibus <HS.> aedes conduxisset, adesse iusserunt. At nunc si quis tanti habitet, uix ut senator agnoscitur.


Poursuivons par un trait de la sévérité des censeurs Cassius Longinus et Caepio qui, il y a de cela †cent cinquante-sept ans†, citèrent à comparaître l’augure Aemilius Lepidus pour avoir loué sa maison six mille <sesterces>. De nos jours, si quelqu’un loue un logement à ce prix, c’est à peine si on le reconnaît comme sénateur (trad. J. Hellegouarc’h, CUF).


 


Val. Max., 8, 1, damn. 7 : Admodum seuerae notae et illud populi iudicium, cum M. Aemilium Porcinam a L. Cassio accusatum crimine nimis sublime exstructae uillae in Alsiensi agro graui multa adfecit.


D’une très sévère marque fut également le jugement du peuple quand il frappa d’une lourde amende M. Aemilius Porcina accusé par L. Cassius d’avoir construit une villa d’une hauteur impropre dans le domaine d’Alsium.


 


App., Ib., 358 : καὶ τάδε μὲν ἦν περὶ τὸν Αἰμίλιον, Ῥωμαῖοι δ’ αὐτὰ πυθόμενοι τὸν μὲν Αἰμίλιον παρέλυσαν τῆς στρατηγίας τε καὶ ὑπατείας, καὶ ἰδιώτης ἐς Ῥώμην ὑπέστρεφεν καὶ χρήμασιν ἐπεζημιοῦτο.


Telle était la situation d’Aemilius. À cette nouvelle, les Romains le relevèrent de son commandement et de ses fonctions consulaires, et ce fut en simple particulier qu’il regagna Rome, où il se vit infliger une amende (trad. P. Goukowsky, CUF).


 





































Tableau récapitulatif



Auteur



Faute



Procédure



Date



Punition



Velleius Paterculus



Location de sa maison à 6 000 HS



Convoqué devant les censeurs



125



Amende ?



Valère Maxime



Une villa trop haute à Alsium



Iudicium populi



?



Lourde amende



Appien



Ne pas avoir suivi le s-c lui interdisant d’étendre le conflit



Iudicium populi ?



136



Amende


Notice
Notice

M. Aemilius Lepidus Porcina, que Cicéron désigne comme un summus orator[1], est issu d’une famille prestigieuse proche des Gracques (Cicéron nous apprend qu’il fut un maître pour le jeune Tiberius[2]). G. V. Sumner propose d’en faire le petit-fils du grand pontife M. Aemilius Lepidus, le consul de 187 et 175[3], et place sa naissance vers 180 d’après son consulat[4]. Probablement augure avant 125[5], il fut peut-être préteur en 140 puisque nous savons de façon certaine qu’il était consul en 137[6]. Il fut envoyé comme proconsul en Espagne en 136 pour remplacer son collègue au consulat, A. Hostilius Mancinus, qui avait conclu une paix humiliante[7]. En raison de la situation difficile, le Sénat lui avait fait parvenir un sénatus-consulte lui interdisant d’étendre le conflit dans cette province. Malgré cela, Porcina déclara la guerre aux Vaccéens après avoir envoyé des lettres de justification au Sénat[8]. L’échec du siège de Pallantia provoqua, nous dit Appien[9], son rappel et l’abrogation de son imperium. Il revint donc à Rome comme simple particulier[10]. R. A. Bauman a remis en cause cette version avec de solides raisons. Selon lui, Porcina aurait volontairement abdiqué son imperium et aurait gagné Rome pour se défendre, s’attendant à un procès en raison de la tournure des événements. De retour à Rome, il fut probablement accusé par L. Cassius Longinus Ravilla dans un procès en amende devant le peuple[11]. J.‑L. Ferrary suppose en effet que le procès de perduellio ne bénéficiait pas encore du vote secret introduit par la lex Cassia tabellaria de 137, dont l’auteur était justement l’accusateur de Porcina[12]. Ce serait la raison pour laquelle on préféra un procès en amende devant le peuple. Ravilla intenta ce procès contre celui qui était son adversaire politique au moins depuis 137 puisque cette année-là Porcina, alors consul, s’était opposé, en vain, à sa lex tabellaria[13]. Toujours d’après Appien, il fut condamné à une amende par les « Romains », et sans doute faut-il voir là un procès en amende, mais, là encore, sa place à la curie fut laissée à l’appréciation des prochains censeurs. En effet, il faut également attendre la même loi Cassia de 104 pour qu’une condamnation dans un procès en amende provoque automatiquement l’exclusion du Sénat[14]. Si son statut ne fut pas affecté, sa réputation fut fortement amoindrie et il est probable que son activité politique connut un brutal ralentissement après l’humiliation espagnole et la condamnation par le peuple.


Un second épisode eut lieu en 125 avec la censure de ce même L. Cassius Longinus Ravilla et de Cn. Servilius Caepio[15]. L’adversaire de Porcina semble avoir procédé à une nouvelle attaque contre lui bien qu’il fût absent de la vie politique, du moins tel qu’il apparaît dans nos sources[16]. Le texte de Velleius Paterculus indique simplement que les deux censeurs lui ordonnèrent d’être présent (adesse iusserunt)[17]. La convocation par les censeurs correspond à la procédure du regimen morum, donc en dehors de la lectio senatus[18]. Une censure avait eu lieu en 131 où le cas de Porcina avait déjà dû être examiné lors de la lectio à cause de l’abrogation de son imperium et de sa condamnation à une amende par le peuple. Nous n’avons aucune information à ce propos, mais nous pensons que la convocation de 125 est plus vraisemblable si aucune mesure n’avait été prise en 131 et donc si Porcina faisait toujours partie du Sénat. Par conséquent, l’examen du cas de Porcina aurait pu avoir lieu soit lors de la recognitio equitum, soit, si le plébiscite reddendorum equorum était déjà en vigueur ou si Porcina n’avait pas le cheval public, durant le recensement et Porcina aurait été convoqué comme simple particulier.


En revanche rien n’indique dans cet extrait que notre personnage fut dégradé par les censeurs. Nous apprenons simplement le motif de la convocation : quod sex milibus <HS.> aedes conduxisset. Une confrontation avec le récit de Valère Maxime[19] nous confirme que sa maison, qu’il avait fait bâtir ici, était en cause mais cette fois en raison de ses proportions trop importantes (accusatum crimine nimis sublime exstructae uillae). La tradition conserve donc le souvenir d’une maison d’un luxe excessif, qu’il loua à un prix trop élevé, signalant son appétit du gain, ou qu’il fit construire, révélant son penchant pour le luxe. Les deux conduites dénotant une intempérance, nous pouvons supposer que les censeurs reprochèrent à Porcina la gestion de son patrimoine et son goût du luxe[20]. Valère Maxime signale que Porcina fut condamné à une amende mais nous avons déjà vu qu’il y a une confusion avec le procès en amende qui s’était déroulé dix ans auparavant. Cette confusion était favorisée par le fait que les censeurs pouvaient en effet infliger des amendes. Valère Maxime aurait donc mélangé les deux épisodes de sorte qu’il est préférable de suivre le récit de Velleius Paterculus qui ne mentionne qu’une convocation sans rapporter ni dégradation, ni amende, ni nota. Sans doute le motif était-il déjà trop futile en 125 pour justifier une exclusion du Sénat[21], et plus encore une relégation parmi les aerarii ou un changement de tribu. Ravilla dut simplement saisir un prétexte pour lancer une nouvelle attaque contre Porcina qui, selon N. Rosenstein, tentait de conserver, malgré ses déboires, une visibilité publique par le biais de cette maison luxueuse et donc une activité politique[22]. Cette hypothèse de N. Rosenstein est d’autant plus crédible si nous suivons la précision apportée par Valère Maxime : Alsium, où se situait la maison de Porcina, était apparemment un lieu de villégiature sans doute prisée par l’aristocratie[23]. Si cette information est exacte, il faudrait songer à une volonté d’impressionner l’aristocratie par sa demeure luxueuse, qu’il n’hésitait pas à louer pour se procurer un revenu jugé peut-être indécent. La convocation s’expliquerait alors par la volonté de Ravilla d’éliminer définitivement du jeu politique un membre important du groupe des Aemilii[24]. L’humiliation provoquée par cette assignation était le coup final contre un vieil adversaire bien que Ravilla n’obtînt pas l’assentiment de son collègue pour dégrader Porcina ou qu’il n’ait pas souhaité aller plus loin[25].


Dans l’état actuel de nos connaissances, il nous apparaît donc très peu probable que M. Aemilius Lepidus Porcina fût exclu du Sénat ni en 136-135, ni en 131, ni lors de la censure de Ravilla et Caepio en 125. Toutefois, à cette dernière occasion, il fut réprimandé pour la mauvaise gestion de son patrimoine et son goût immodéré du luxe, vraisemblablement sur fond de querelle partisane.


Porcina eut peut-être un fils unique mais il mourut jeune. Le consul de 77, Mam. Aemilius Lepidus Livianus, était son neveu et pourrait même être en réalité son fils adoptif[26]. F. Münzer fait remarquer qu’à la suite du dernier épisode de 125, la gens Lepida, à l’exception de la branche des Scauri, disparut pendant cinquante ans des Fastes[27]. Porcina, en tant qu’héritier des Aemilii Lepidi, fut la cible des attaques d’autres familles, menées principalement par L. Cassius Longinus Ravilla. Elles s’achevèrent avec le procès intenté contre les Vestales en 115, parmi lesquelles une des principales accusées était une Aemilia, et qui furent condamnées par ce même Ravilla[28].






[1] Cic., Brut., 95.


[2] Cic., Brut., 96.


[3] E. Klebs, RE 1/1, 1893, col. 552-553, n° 68 s. v. Aemilius ; K.-L. Elvers, Neue Pauly, 1, 1996, col. 177-178, [I 10].


[4] Sumner 1973, p. 48, n° 46.


[5] Rüpke 2005, 1, p. 106.


[6] MRR, 1, p. 484 renvoyant en particulier à Cic., Brut., 106 ; Degrassi 1954, p. 52 sq., 125 et 468 sq. et Fast. Ant., p. 160 sq. ; Liv., Oxy. Perioch., 55.


[7] App., Ib., 348 et voir notice n° 183.


[8] Wikander 1976, p. 90 fait remarquer que Porcina comptait sur les délais de communication et pouvait espérer que Pallantia soit tombé au printemps suivant lorsque le Sénat aurait pu lui envoyer un successeur.


[9] App., Ib., 358.


[10] Bauman 1968, p. 45-50. Il faudrait selon lui attendre Q. Servilius Caepio (cf. notice n° 178) pour qu’un imperium soit abrogé par le peuple. Rappelons que la loi Cassia qui excluait du Sénat les magistrats dont l’imperium avait été abrogé par le peuple ne datait que de 104. Cf. Bur 2018, chapitre 9.1.2. ; Ascon., p. 78 C. ; Ferrary 1979, p. 95‑98.


[11] Nous suivons E. Klebs dans sa notice de la Realencyclopädie selon lequel il faut voir une confusion entre le procès en amende et le blâme des censeurs (voir le tableau récapitulatif des sources) : Valère Maxime (8, 1, damn. 7) confondrait le motif du procès avec celui du blâme qu’indique Velleius Paterculus (2, 10, 1) tandis qu’Appien (6, 358) aurait raison de lier l’amende infligée à son échec à Pallantia. Voir aussi Gruen 1968, p. 305.


[12] Ferrary 1979, p. 98‑99.


[13] Cic., Brut., 97 ; Gruen 1968, p. 39-40 signale aussi une probable hostilité des Scipions qui pourrait être indiquée par un vers de Lucilius (1123 = ROL, 3, 362) : Caluus Palantino quidam uir non bonus bello se moquant de la défaite de Porcina à Pallantia.


[14] Cf. Bur 2018, chapitre 9.5.2 ; Ferrary 1979, p. 99-100.


[15] MRR, 1, p. 510 et Suolahti 1963, p. 410-413.


[16] Ayant déjà été consul, il ne pouvait avancer beaucoup plus loin dans sa carrière et ainsi apparaître dans les Fastes. Surtout il nous manque un récit continu de cette période puisque les livres de Tite-Live sont perdus. Cette absence est donc supposée comme la conséquence des événements de 136-135. L’hypothèse de Münzer 1922, p. 242-243 d’identifier le consul de 126 avec notre Porcina n’est pas convaincante : bien qu’il y ait l’intervalle requis de dix ans entre les deux consulats, le préteur de 129, RE n° 71, est un candidat bien plus probable (c’est le choix de MRR, 1, p. 504 et 508 et MRR, 2, p. 526).


[17] Vell., 2, 10, 1.


[18] Cf. Bur 2018, chapitre 3.


[19] Val. Max., 8, 1, damn. 7 : nous avons déjà signalé ci-dessus la confusion dans ce récit qui mélange le procès en amende de 136-135 et la convocation des censeurs.


[20] Suolahti 1963, p. 412 explique le blâme des censeurs par la construction d’une villa et la location d’une maison trop luxueuse. Cette interprétation est, selon nous, trop rapide car elle ne s’interroge pas sur la proximité des causes présentées par Valère Maxime et Velleius Paterculus.


[21] A. O’Brien Moore, RE, Suppl. 6, 1935, s. v. Senatus, col. 689 considère en effet qu’on ne peut conclure que sur la convocation de Porcina par les censeurs parce qu’il payait un loyer trop élevé pour sa maison mais que rien n’indique une exclusion du Sénat.


[22] Rosenstein 1990, p. 180-181, n° 3.


[23] Voir les lettres de Fronton, « Sur les vacances à Alsium » dans Fleury 2003, p. 356-367. Pompée possédait une villa dans cette ville (Cic., Mil., 54) ainsi que César peut-être (Cic., Fam., 9, 6, 1 et Att., 13, 50, 4).


[24] Münzer 1922, p. 242-243.


[25] Il est également possible que les censeurs infligèrent à Porcina une mesure similaire à celle prise par Caton l’Ancien contre le luxe (Liv., 39, 44, 3-4) : gonflement de la valeur des objets de luxe pour le calcul du patrimoine imposable et taxe sur ces objets, ce qui pouvait apparaître comme une amende aux yeux de Valère Maxime.


[26] Rosenstein 1990, p. 180-181, n° 3.


[27] Münzer 1922, p. 242-243.


[28] Münzer 1922, p. 243.

Bibliographie
Bibliographie

Bauman 1968 : Bauman R. A., « The Abrogation of Imperium : some Cases and a Principle », RhM, 1968, 111/1, p. 37-50.


Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.


David 1992 : David J.-M., Le Patronat judiciaire au dernier siècle de la République romaine, Rome, 1992.


Degrassi 1954 : Degrassi A., Fasti Capitolini, Turin, 1954.


Ferrary 1979 : Ferrary J.-L., « Recherches sur la législation de Saturninus et de Glaucia, II », MEFRA, 1979, 91/1, p. 85-134.


Fleury 2003 : Fleury P., Fronton. Correspondance, Paris, 2003.


Gruen 1968 : Gruen E. S., Roman Politics and the Criminal Courts, 149-78 B.C., Cambridge (Mass.), 1968.


Münzer 1922 : Münzer F., Römische Adelsparteien und Adelsfamilien, Stuttgart, 1922.


Rosenstein 1990 : Rosenstein N., Imperatores Victi. Military Defeat and Aristocratic Competition in the Middle and Late Republic, Berkeley, 1990.


Rüpke 2005 : Rüpke J., Fasti Sacerdotum : die Mitglieder der Priesterschaften und das sakrale Funktionspersonal römischer, griechischer, orientalischer und jüdisch-christlicher Kulte in der Stadt Rom von 300 v. Chr. bis 499 n. Chr., Wiesbaden, 2005 (3 vol.).


Sumner 1973 : Sumner G. V., The Orators in Cicero’s Brutus, Toronto, 1973.


Suolahti 1963 : Suolahti J., The Roman censors : a study on social structure, Helsinki, 1963.


Wikander 1976 : Wikander Ö., Opuscula Romana, 11, Stockholm, 1976.


Clément Bur, Infames Romani n°13, Albi, INU Champollion, Pool Corpus, 2018, mis à jour le