F. Münzer, RE, 2A/1, 1921, col. 867-876, n° 11 s. v. Scribonius ; J. Bartels, Neue Pauly, 11, 2001, col. 302-303, [I 4] ; Malcovati, ORF4, p. 510‑512, n° 170 ; Sumner 1973, p. 148, n° 219 ; Deniaux 1993, p. 426-427, D. n° 35 ; Rüpke 2005, 2, p. 1267-1268, n° 2997 ; DPRR n° SCRI2443.
Cic., Att., 1, 14, 5 (13 février 61) = Shackleton Bailey, CLA, n° 14 : nam cum dies uenisset rogationi ex senatus consulto ferendae, concursabant barbatuli iuuenes, totus ille grex Catilinae duce filiola Curionis, et populum ut antiquaret rogabant.
Le jour étant venu où, en vertu d’un sénatus-consulte, la proposition de loi devait être portée devant le peuple, nos jeunes barbes, toute la fameuse bande de Catilina, sous la conduite de Curion le fils, ou plutôt la fille, courent de tous côtés et cherchent à obtenir du peuple qu’il rejette la proposition (trad. L.-A. Constans, CUF).
Cic., Att., 1, 16, 1 (fin juin ou juillet 61) = Shackleton Bailey, CLA, n° 16 : Quos impetus in Pisonem, in Curionem, in totam illam manum feci ! Quo modo sum insectatus leuitatem senum, libidinem iuuentutis !
Quels combats j’ai livrés, et quels massacres ! Quelles charges contre Pison, contre Curion, contre toute la bande ! Comme j’ai fustigé la pusillanimité des vieillards, les mœurs honteuses de la jeunesse ! (Trad. L.‑A. Constans, CUF).
Cic., Fam., 8, 6, 5 (fin février 50) = Shackleton Bailey, CLF, n° 88 : Quod tibi supra scripsi Curionem ualde frigere, iam calet ; nam feruentissime concerpitur. Leuissime enim, quia de intercalando non obtinuerat, transfugit ad populum et pro Caesare loqui coepit legemque uiariam non dissimilem agrariae Rulli et alimentariam, quae iubet aedilis metiri, iactauit.
Je t’écrivais à l’instant que Curion était congelé ; maintenant il a chaud : quelle ardeur à le mettre en pièces ! Il a été assez léger, n’ayant rien obtenu sur l’intercalation, pour passer au peuple, pour se mettre à parler en faveur de César et brandir une loi « Sur les routes », assez ressemblante à la loi agraire de Rullus, et une « Sur l’alimentation », qui charge les édiles de procéder à des mesures de rationnement (trad. L.-A. Constans et J. Bayet, CUF).
Cic., Phil., 2, 44-45 : sed cito Curio interuenit qui te a meretricio quaestu abduxit et, tamquam stolam dedisset, in matrimonio stabili et certo conlocauit. Nemo umquam puer emptus libidinis causa tam fuit in domini potestate quam tu in Curionis. Quotiens te pater eius domu sua eiecit, quotiens custodes posuit ne limen intrares ? Cum tu tamen nocte socia, hortante libidine, cogente mercede, per tegulas demitterere. Quae flagitia domus illa diutius ferre non potuit. Scisne me de rebus mihi notissimis dicere ? Recordare tempus illud cum pater Curio maerens iacebat in lecto ; filius se ad pedes meos prosternens, lacrimans, te mihi commendabat ; orabat ut se contra suum patrem, si sestertium sexagiens peteret, defenderem ; tantum enim se pro te intercessisse dicebat.
Mais bientôt survint Curion, qui t’enleva au métier de courtisane et qui, comme s’il t’avait donné la robe des matrones, t’a établi en un mariage stable et régulier. Jamais jeune esclave acheté pour la débauche ne fut sous la puissance de son maître aussi complètement que toi sous celle de Curion. Combien de fois son père t’a-t-il chassé de la maison ? Combien de fois a-t-il aposté des gardiens pour t’en interdire l’accès ? Et toi, cependant, avec la complicité de la nuit, stimulé par le plaisir, cédant à l’appât du gain, tu te laissais glisser par le toit. De tels scandales, cette maison n’a pas pu les supporter plus longtemps. Sais-tu bien que je parle ici de choses qui me sont parfaitement connues ? Rappelle-toi, ce temps où Curion le père, accablé de chagrin, gardait le lit, où son fils, se jetant à mes pieds, tout en larmes, te recommandait à moi ; il me suppliait de le défendre contre son père, s’il lui demandait six millions de sesterces : car telle était la somme dont il disait s’être porté garant pour toi (trad. A. Boulanger et P. Wuilleumier, CUF).
Vell., 2, 48, 3-4 : Bello autem ciuili et tot, quae deinde per continuos XX annos consecuta sunt, malis non alius maiorem flagrantioremque quam C. Curio, tribunus pl., subiecit facem, uir nobilis, eloquens, audax, suae alienaeque et fortunae et pudicitiae prodigus, homo ingeniosissime nequam et facundus malo publico, cuius animo uoluptatibus uel libidinibus neque opes ullae neque cupiditates sufficere possent. Hic primo pro Pompei partibus, id est, ut tunc habebatur, pro re publica, mox simulatione contra Pompeium et Caesarem, sed animo pro Caesare stetit. Id gratis an accepto centies sestertio fecerit, ut accepimus, in medio relinquemus.
La guerre civile et les si nombreux maux qui la suivirent pendant vingt années, nul ne contribua à en attiser plus violemment la flamme que le tribun C. Curion. C’était un homme de la noblesse, disert, audacieux, prodigue de sa fortune et de son honneur comme de ceux des autres, un vaurien de génie dont l’éloquence faisait le malheur public ; aucune richesse ni aucune passion ne pouvait rassasier son penchant pour le plaisir et la débauche. Notre homme adhéra d’abord au parti de Pompée, c’est-à-dire celui de la République, suivant l’opinion du moment, puis il fit semblant d’être à la fois contre Pompée et contre César, mais il était en fait de cœur avec César. Qu’il l’ait fait avec désintéressement ou bien qu’il ait reçu pour cela, comme on le dit, cent mille sesterces, c’est un point que je ne trancherai pas (trad. J. Hellegouarc’h, CUF).
Liv., Perioch., 109, 2 : Et C. Curionis tr. pl. primum aduersus Caesarem, dein pro Caesare actiones continet.
<Le livre> contient aussi le récit des actes accomplis par le tribun de la plèbe C. Curion, d’abord contre César, ensuite pour César (trad. P. Jal, CUF).
Val. Max., 9, 1, 6 : Consimilis mutatio in domo Curionum exstitit, si quidem forum nostrum et patris grauissimum supercilium et filii sescentiens sestertium aeris alieni aspexit, contractum famosa iniuria nobilium iuuenum. Itaque eodem tempore et in iisdem penatibus diuersa saecula habitarunt, frugalissimum alterum alterum nequissimum.
Un changement semblable eut lieu dans la maison des Curions, si notre forum aperçut certes et la morgue très sérieuse du père et les soixante millions de sesterces de dettes du fils, rassemblés par une honteuse injure des jeunes nobles. C’est pourquoi à la même époque et dans les mêmes pénates différents siècles habitèrent, l’un très frugal, l’autre absolument bon à rien.
Plut., Pomp., 58, 1-2 : Ἤδη δὲ καὶ Καῖσαρ ἐπεφύετο τοῖς πράγμασιν ἐρρωμενέστερον, αὐτὸς μὲν οὐκέτι μακρὰν τῆς Ἰταλίας ἀπαίρων, εἰς δὲ τὴν πόλιν ἀεὶ τοὺς στρατιώτας ἀποστέλλων ἀρχαιρεσιάσοντας, χρήμασι δὲ πολλοὺς ὑποικουρῶν καὶ διαφθείρων ἄρχοντας· ὧν καὶ Παῦλος ἦν ὁ ὕπατος ἐπὶ χιλίοις καὶ πεντακοσίοις ταλάντοις μεταβαλόμενος, καὶ Κουρίων ὁ δήμαρχος ἀμηχάνων πλήθει δανείων ἐλευθερωθεὶς ὑπ’ αὐτοῦ.
De son côté, César s’appliquait à ses affaires avec plus d’énergie que jamais. Il n’était plus loin de l’Italie et il envoyait continuellement ses soldats dans la ville pour voter aux élections ; il gagnait sous main une foule de gens et corrompait les magistrats à prix d’argent. Parmi ceux-ci se trouvait le consul Paullus, qu’il fit changer de parti moyennant une somme de quinze cents talents, le tribun du peuple Curio, libéré par lui d’une masse incalculable de dettes (trad. R. Flacelière et E. Chambry, CUF).
Plut., Caes., 29, 3 : μετὰ δὲ Μάρκελλον, ἤδη Καίσαρος τὸν Γαλατικὸν πλοῦτον ἀρύεσθαι ῥύδην ἀφεικότος πᾶσι τοῖς πολιτευομένοις, καὶ Κουρίωνα μὲν δημαρχοῦντα πολλῶν ἐλευθερώσαντος δανείων, Παύλῳ δ’ ὑπατεύοντι χίλια καὶ πεντακόσια τάλαντα δόντος.
Après le consulat de Marcellus, César laissa désormais tous les hommes politiques puiser abondamment dans les richesses qu’il avait amassées en Gaule ; il paya les dettes considérables de Curio, qui était tribun de la plèbe, et remit à Paullus, qui était consul, quinze cents talents (trad. R. Flacelière et E. Chambry, CUF).
App., BC, 2, 26 : Τούτων ὁ Καῖσαρ Κλαύδιον μὲν οὐκ ἴσχυσεν ὑπαγαγέσθαι χρήμασι, Παῦλον δὲ χιλίων καὶ πεντακοσίων ταλάντων ἐπρίατο μηδὲν αὑτῷ μήτε συμπράττειν μήτε ἐνοχλεῖν, Κουρίωνα δὲ καὶ συμπράττειν ἔτι πλειόνων, εἰδὼς ἐνοχλούμενον ὑπὸ χρεῶν πολλῶν.
César ne fut pas capable de corrompre Claudius, mais il acheta la neutralité de Paullus pour 1 500 talents et l’aide de Curio avec une plus grande somme, parce qu’il savait que ce dernier était lourdement grevé de dettes (trad. J.-I. Combes-Dounous, La Roue à Livres).
D.C., 40, 60, 2-3 : κἀν τούτῳ καὶ τὰ οἴκοι τρόπον τινά, τοῦ μὴ πάντῃ βίᾳ ἀλλὰ καὶ πειθοῖ πράττειν δοκεῖν, προδιοικήσασθαι ἐθελήσας ἔγνω συναλλαγῆναι τῷ Κουρίωνι· τοῦ τε γὰρ τῶν Κουριώνων γένους ἦν, καὶ τὴν γνώμην ὀξύς, εἰπεῖν τε δεινός, τῷ τε πλήθει πιθανώτατος, καὶ χρημάτων ἐς πάντα ἁπλῶς ἐξ ὧν ἢ αὐτός τι πλεονεκτήσειν ἢ καὶ ἑτέρῳ διαπράξειν ἤλπιζεν ἀφειδέστατος. Καὶ αὐτὸν πολλὰ μὲν ἐπελπίσας, πάντων δὲ τῶν ὀφειλημάτων, συχνῶν διὰ τὸ πολλὰ δαπανᾶσθαι ὄντων, ἀπαλλάξας ἀνηρτήσατο.
Dans le même temps, parce qu’il [César] voulait régler les affaires en ville en donnant l’impression qu’il savait recourir à la persuasion et pas seulement à la force, il décida de se réconcilier avec Curion ; celui-ci appartenait en effet à la famille des Curions, son intelligence était vive et sa parole éloquente, il jouissait d’un grand crédit auprès du peuple et prodiguait l’argent en toutes circonstances quand il espérait en tirer un avantage personnel ou en faire profiter un autre. En lui faisant espérer beaucoup et en le libérant de toutes ses dettes qui étaient considérables en raison de ses dépenses excessives, il se l’attacha (trad. G. Lachenaud et M. Coudry, CUF).
D.C., 40, 63, 2 – 64, 4 : ἄλλοι τε γὰρ ἐκείνῳ πολλοὶ καὶ Λούκιος Παῦλος ὁ τοῦ Μαρκέλλου συνάρχων, ὅ τε Πίσων ὁ Λούκιος <ὁ> πενθερὸς αὐτοῦ τιμητὴς ὢν συνηγωνίζοντο· καὶ γὰρ τιμηταὶ τὸν χρόνον τοῦτον ὅ τε Κλαύδιος <ὁ> Ἄππιος καὶ ὁ Πίσων, καίτοι μὴ βουληθείς, ἐγένοντο. Καὶ οὗτος μὲν διὰ τὴν συγγένειαν ὑπῆρχε τῷ Καίσαρι, ὁ δὲ δὴ Κλαύδιος ἠναντιοῦτο μὲν αὐτῷ (τὰ γὰρ τοῦ Πομπηίου ᾑρεῖτο), οὐκ ἐλάχιστα δὲ καὶ ἄκων ὠφέλησε· πλείστους γὰρ καὶ τῶν ἱππέων καὶ τῶν βουλευτῶν διέγραψεν, ἐκβιασάμενος τὸν συνάρχοντα, κἀκ τούτου πάντας αὐτοὺς τὰ τοῦ Καίσαρος φρονεῖν ἐποίησεν. Ὁ γὰρ Πίσων οὔτ’ ἄλλως πράγματ’ ἔχειν ἐθέλων καὶ πρὸς τὴν τοῦ γαμβροῦ φιλίαν πολλοὺς θεραπεύων αὐτὸς μὲν οὐδὲν τοιοῦτον ἐποίησεν, ἐκείνῳ δὲ οὐκ ἀντέπραξε πάντας μὲν τοὺς ἐκ τῶν ἀπελευθέρων συχνοὺς δὲ καὶ τῶν πάνυ γενναίων, ἄλλους τε καὶ τὸν Κρίσπον τὸν Σαλούστιον τὸν τὴν ἱστορίαν γράψαντα, ἀπελάσαντι ἐκ τοῦ συνεδρίου. Τὸν μέντοι Κουρίωνα μελλήσαντα καὶ αὐτὸν ἀπαλειφθήσεσθαι ἐξῃτήσατο μετὰ τοῦ Παύλου, οὗπερ συγγενὴς ἦν· καὶ ὃς οὐ διήλλαξε μὲν αὐτὸν διὰ τοῦτο, τὴν μέντοι γνώμην ἣν περὶ αὐτοῦ εἶχεν ἐδημοσίευσεν ἐν τῷ βουλευτηρίῳ, ὥστε ἐκεῖνον ἀγανακτήσαντα τὴν ἐσθῆτα αὐτοῦ περιρρῆξαι. Παραλαβὼν οὖν τοῦτον ὁ Μάρκελλος, καὶ νομίσας ἐπί τε τῷ Κουρίωνι καὶ δι’ αὐτὸν καὶ ἐπὶ τῷ Καίσαρι δεινόν τι τὴν γερουσίαν ψηφιεῖσθαι, γνώμας περὶ αὐτοῦ προέθηκεν. Ὁ οὖν Κουρίων τὸ μὲν πρῶτον ἠναντιοῦτο μηδεμίαν περὶ αὑτοῦ γνώμην δοθῆναι· γνοὺς δὲ τὸ πολὺ τῶν βουλευτῶν τῶν τότε παρόντων τοὺς μὲν καὶ φρονοῦντας ὄντως τὰ τοῦ Καίσαρος τοὺς δὲ πάνυ αὐτὸν δεδιότας, ἐπέτρεψέ σφισι διαγνῶναι, τοσοῦτον ὑπειπὼν ὅτι σύνοιδα μὲν ἐμαυτῷ τά τε ἄριστα καὶ τὰ συμφορώτατα τῇ πατρίδι πράττοντι, ὑμῖν μέντοι καὶ τὸ σῶμα καὶ τὴν ψυχὴν παραδίδωμι χρήσασθαι ὅ τι βούλεσθε. Κατηγορήσας οὖν αὐτοῦ ὁ Μάρκελλος ὡς καὶ πάντως ἁλωσομένου, ἔπειτ’ ἐπειδὴ πρὸς τῶν πλειόνων ἀφείθη, δεινόν τε ἐποιήσατο καὶ ἐκπηδήσας ἐκ τοῦ συνεδρίου πρὸς τὸν Πομπήιον ἐν τῷ προαστείῳ ὄντα ἦλθε, καὶ τήν τε φυλακὴν αὐτῷ τῆς πόλεως καὶ δύο στρατόπεδα πολιτικὰ αὐτὸς καθ’ ἑαυτόν, μηδενὸς ἐψηφισμένου, ἔδωκεν.
Son adversaire avait en effet de nombreux partisans, en particulier Lucius Paulus, le collègue de Marcellus, ainsi que Lucius Pison, son beau-père, qui était censeur (en effet, c’est alors qu’Appius Claudius et Pison, malgré lui, furent nommés censeurs). Ce dernier était acquis à César en raison de liens d’alliance familiale tandis que Claudius s’opposait à lui, puisqu’il avait choisi le camp de Pompée, mais il lui rendit néanmoins malgré lui un immense service. En effet, faisant violence à son collègue, il raya des listes de très nombreux chevaliers et sénateurs et fit d’eux des partisans de César. Pison de fait, qui voulait vraiment éviter les ennuis et courtiser beaucoup de gens pour conserver l’amitié de son gendre [César], ne fit rien de tel, mais il ne s’opposa pas à son collègue quand il chassa du Sénat tous les fils d’affranchis et un grand nombre de personnes qui appartenaient à la haute noblesse, en particulier l’historien Crispus Sallustius. Toutefois, il intervint en faveur de Curion qui devait lui aussi être radié, avec l’appui de Paulus qui lui était apparenté. S’il est vrai que Claudius pour cette raison ne l’expulsa pas, cela ne l’empêcha pas de déclarer publiquement devant le Sénat ce qu’il pensait de lui, si bien que l’autre, en colère, lui déchira ses vêtements. Alors Marcellus le fit appréhender et, pensant que le Sénat voterait une sévère résolution contre Curion, et à travers lui contre César, il fit des propositions à son sujet. Dans un premier temps, Curion s’opposa à tout avis le concernant ; mais, sachant que la plupart des sénateurs présents étaient de vrais partisans de César ou le redoutaient terriblement, il les laissa exprimer leur avis, se contentant d’ajouter : « Bien que ma conscience me dise que j’ai agi au mieux dans l’intérêt de ma patrie, je me livre à vous, corps et âme, faites-en ce que vous voudrez ». Marcellus, qui l’avait accusé parce qu’il était persuadé qu’il serait condamné, voyant qu’il était acquitté par la majorité, cria au scandale, bondit hors du Sénat, se rendit auprès de Pompée qui se trouvait dans les faubourgs et lui confia, de sa propre autorité et sans décret, la protection de la Ville et deux légions urbaines (trad. G. Lachenaud et M. Coudry, CUF).
C. Scribonius Curion, né vers 84[1], est le fils du consul de 76[2], vraisemblablement censeur en 61[3], et le petit-fils d’un préteur contemporain des Gracques[4]. Issu de la noblesse, il appartient à la jeunesse dorée de l’époque, les barbatuli, dont il serait l’un des chefs de file[5]. Curion noua à cette époque une étroite relation avec Antoine que Cicéron, dans ses Philippiques, présente comme coupable et indigne de l’un et de l’autre[6]. Bien que déformant sans doute la réalité, cette invective devait s’appuyer sur des rumeurs suffisamment répandues voire sur des faits qui avaient pu faire scandale autrefois. Enfin, sa vie de dandy lui fit accumuler des dettes importantes[7].
Ses premières armes politiques furent le soutien en faveur de Clodius en 61, qui suscita un jugement sévère de Cicéron[8], puis l’obscure affaire Vettius[9]. À cette occasion, Cicéron le présente comme princeps iuuentutis. Cet éloge signale peut-être une prise de distance avec Clodius[10] et le souci de défendre l’honneur de Curion qui risquait d’être entaché par son implication. Il réussit à sortir indemne des accusations portées contre lui[11] et en profita certainement pour effacer les soupçons liés à son mode de vie. Pour préparer sa carrière politique, il devait rompre avec sa troupe de jeunes gens afin de ne pas être trop compromis[12].
Nous le retrouvons en 54 loin de l’Vrbs, en Asie, où il aurait été questeur, fonction la plus probable bien que non attestée dans les sources[13]. Il y resta jusqu’en 52 environ et, à son retour à Rome, il succéda à son père dans le collège des pontifes[14]. Il découvrit alors la Ville secouée par la mort récente de Clodius, dont il épousa la veuve, Fulvia[15], et le rapprochement de son vieil ami Antoine avec César. S’appuyant sur ses talents oratoires[16], il brigua l’édilité en 51 et donna des jeux somptueux en l’honneur de son défunt père afin de gagner les faveurs du peuple Romain. C’est à cette occasion que Curion, malgré les avertissements de Cicéron[17], contracta d’énormes dettes qui lui servirent notamment à financer la construction d’un théâtre mobile qui faisait l’étonnement de Pline[18]. Le montant astronomique de ses dettes était devenu un topos dès l’Antiquité. Leur remboursement par César aurait provoqué le changement de camp de Curion devenu tribun et qui devait jouer un rôle majeur dans le déclenchement de la guerre civile[19]. Valère Maxime parlait de soixante millions de sesterces[20] ! Cependant Curion, durant sa campagne pour l’édilité, avait d’abord approché César pour une aide financière mais avait été débouté[21]. Ses difficultés financières l’amenèrent sans doute à sauter sur l’occasion lorsqu’un tribun, Servaeus, fut condamné : il préféra dès lors briguer le tribunat et y fut élu pour 50[22].
L’activité de Curion durant son tribunat soulève de nombreux problèmes en rapport avec la succession d’événements aboutissant aux guerres civiles. Sans entrer dans les débats[23], retenons seulement que Curion passa dans le camp césarien au plus tard au début de l’année 50 comme l’atteste une lettre de Caelius à Cicéron, alors proconsul de Cilicie, datée de la fin février[24]. Aussi, lorsque les censeurs Ap. Claudius Pulcher et L. Calpurnius Piso Caesoninus entrèrent en charge à l’automne 50[25], le tribun Curion était-il connu comme partisan de César. Bien que la censure fût interrompue par les guerres civiles, ils eurent le temps d’accomplir la lectio senatus au cours de laquelle Claudius exerça avec enthousiasme le regimen morum : Salluste et C. Ateius Capito furent notamment exclus du Sénat[26]. À bien des égards, Curion pouvait apparaître dans la ligne de mire d’Appius. Toutefois Dion Cassius est le seul à nous indiquer que le censeur voulut le radier du Sénat mais qu’il se heurta à l’opposition de son collègue soutenu par le consul L. Paullus[27].
Tout d’abord, Dion Cassius utilise un verbe très concret pour désigner l’exclusion : ἀπαλείφω. Ce terme signifie d’après le Bailly « effacer » et correspond précisément à l’action des censeurs lorsqu’ils rayent le nom de l’album senatus. Si tant est que Dion Cassius choisit ce verbe à bon escient, il faudrait en conclure que Curion appartenait au Sénat et figurait sur l’album avant 50. Comme sa questure, qui aurait incité les censeurs à le sélectionner, datait d’après la censure de 55[28], il pouvait avoir été recruté comme jeune noble prometteur quoiqu’il n’eût pas encore revêtu de magistrature[29]. Cependant, Dion Cassius pouvait aussi utiliser ce verbe pour praeterire, effacer de la liste un nom qui avait été rajouté à cause du ius s. d. obtenu par la questure[30]. Dans tous les cas, Curion était menacé d’être humilié en n’étant pas choisi lors de la lectio senatus.
En revanche, il est surprenant que Caesoninus dût recourir au soutien du consul Paullus, parent par ailleurs du jeune homme, pour empêcher cette éviction, comme si son veto ne suffisait pas. Cette aide demandée par un censeur présenté comme timoré par la tradition, témoigne de la farouche volonté d’Appius de sanctionner Curion. Et, en effet, il n’abandonna pas son idée de blâmer Curion, peut-être par inimitié politique comme le soutenait J. Suolahti, mais aussi car les motifs ne manquaient pas. Nous avons vu que Curion avait eu une jeunesse décriée, marquée par des débauches, des dettes et une relation douteuse avec Antoine et que ses jeux l’avaient conduit au bord de la ruine[31]. En outre, si César avait effectivement renfloué les finances du jeune tribun, la corruption aurait atteint des extrémités telles qu’elle allait au-delà des pratiques traditionnelles tolérées. Appius pouvait reprocher à Curion ses excès et considérer que le jeune homme, dont la dignité avait été pour ainsi dire achetée par César, n’était plus digne de siéger au Sénat puisqu’il ne s’appartenait plus. Le don de César était plus qu’une simple aide financière, il avait sauvé Curion de la ruine et de la déchéance. D’une certaine manière, Curion avait vendu son intégrité à l’imperator. Claudius punissait ainsi les excès de jeunesse de Curion et les excès de sa corruption tout en saisissant l’occasion d’éliminer un adversaire politique.
Appius, empêché d’exclure Curion du Sénat, énonça toutefois les reproches qu’il lui faisait lors d’une séance du Sénat que Dion Cassius associe à la fameuse séance du 1er décembre 50, véritable ouverture des guerres civiles[32]. Le silence d’Appien sur cette affaire rend douteux un tel rapport mais ne permet pas de réfuter l’attaque faite par le censeur en pleine curie[33]. Rassembler les deux épisodes en une seule et même journée est vraisemblablement une simplification et une dramatisation de Dion Cassius. Claudius proclama donc devant les sénateurs l’opinion qu’il avait de Curion à une occasion indéterminée avant cette date. L’objectif du censeur restait le même : humilier Curion en le confrontant à ses mauvaises actions et accomplir ainsi sa tâche de regimen morum. En agissant de la sorte, Claudius contournait le veto de son collègue et tentait d’amoindrir la dignité de Curion[34]. En tant que censeur, les sénateurs pouvaient accepter, et éventuellement louer, une telle persévérance, mais il ne semble pas qu’il y ait eu de conséquences concrètes. Au mieux, Claudius espérait peut-être que le Sénat manifestât son désaccord avec le veto de Caesoninus et le contraignît, par son autorité, à le retirer. En aucun cas Claudius ne pouvait soumettre à la discussion la dignité de Curion devant le Sénat comme l’historiographie le suppose parfois[35].
Cependant, le récit de Dion Cassius rapporte que Curion aurait malmené Claudius à la suite de cet exposé humiliant. L’incident aurait donné lieu à une procédure à son encontre initiée par le consul Marcellus qui présidait sans doute la séance. La procédure reste très floue et « l’acquittement » de Curion nous empêche de connaître les conséquences d’un tel vote. Nous pouvons toutefois supposer qu’il s’agissait d’un vote d’exclusion contre un membre qui avait enfreint les règles sénatoriales en commettant une atteinte à la maiestas qu’incarnait le censeur Claudius. C’est du moins ce que laisse entendre la formule utilisée par Dion Cassius, ἐπί τε τῷ Κουρίωνι. En outre, en obtenant la condamnation et l’exclusion de Curion, les pompéiens espéraient affaiblir la situation de César en l’associant à un tel individu et en lui faisant perdre un tribun fidèle. La sacrosanctitas du tribun était peut-être au cœur du problème : un tribun pouvait-il être puni pour avoir malmené un sénateur ou était-il protégé par son immunité ? Il faudrait donc voir ici un des premiers exemples de l’auto-épuration du Sénat, érigé en tribunal chargé de juger ses membres agissant contre la dignité de l’ordre et en désaccord avec ses règles[36].
Bien que Curion fût l’objet de scandales dans sa jeunesse, que sa relation avec Antoine fît jaser de même que ses dettes et leur éventuel rachat par César, il parvint à éviter le blâme censorial grâce à l’intervention du censeur césarien Caesoninus. L’année suivante, en 49, il commandait des troupes en Afrique contre les pompéiens et fut finalement tué dans des combats contre Juba[37].
Son fils, Scribonius Curio[38], né de Fulvia en 50, fut tué en 31 par Octavien, selon Dion Cassius, parce qu’il pouvait revendiquer l’important soutien de son père à César[39]. Il semblerait donc qu’en 31, Curion était resté dans les mémoires avant tout comme le fidèle partisan de César et que les reproches du censeur Claudius, réactualisés par les nombreuses allusions à sa relation avec Antoine dans la deuxième Philippique[40], n’avaient pas terni son image au point de rendre la position de son fils difficile.
[1] Sumner 1973, p. 148, n° 219.
[2] F. Münzer, RE, 2A/1, 1921, col. 862-867, n° 10 s. v. Scribonius.
[3] MRR, 2, p. 179.
[4] F. Münzer, RE, 2A/1, 1921, col. 861, n° 9 s. v. Scribonius ; MRR, 1, p. 521 pour la préture.
[5] Cic., Att., 1, 14, 5 (13 février 61) ; Cic., Att., 1, 16, 1 (fin juin ou juillet 61). Cf. Dettenhofer 1992, p. 37-38.
[6] Cic., Phil., 2, 3 ; 44-45 ; 50 ; 86 et Att., 1, 14, 5. Voir aussi Plut., Ant., 2, 3-4 qui s’en inspire.
[7] Vell., 2, 48, 3. Cicéron (Phil., 2, 45) parle aussi de la demande de Curion de six millions de sesterces faite à son père pour Antoine.
[8] Cic., Att., 1, 16, 1 (fin juin ou juillet 61).
[9] Cic., Att., 2, 24, 2
[10] Dettenhofer 1992, p. 43.
[11] Gruen 1974, p. 95-96.
[12] Gruen 1974, p. 38 supposait que Curion avait mis à la tête de sa bande Calvus pour prendre ses distances.
[13] MRR, 2, p. 224 et p. 227 n. 4 ; MRR, 3, p. 186.
[14] Rüpke 2005, 1, p. 132 et 2, p. 1267-1268, n° 2997.
[15] Cic., Phil., 2, 11.
[16] Cic., Brut., 280.
[17] Cic., Fam., 2, 3, 1.
[18] Plin., nat., 36, 116-120. Curion voulut également faire figurer de nombreux animaux exotiques : Cic., Fam., 8, 9, 3.
[19] Vell., 2, 48, 4 ; Plut., Pomp., 58, 2 ; Caes., 29, 3 ; App., BC, 2, 26 ; Tac., Ann., 11, 7 ; Suet., Iul., 29, 2 ; D.C., 40, 60, 3.
[20] Val. Max., 9, 1, 6, qui exagère probablement. Velleius Paterculus parlait quant à lui d’un don de cent mille sesterces, mais ce cadeau de César pouvait ne pas correspondre à la somme des dettes de Curion.
[21] Cic., Fam., 8, 4, 2.
[22] Voir MRR, 2, p. 249 ; Linderski 1972, p. 186-187.
[23] L’historiographie traditionnelle considérait, en suivant les sources, que Curion avait été acheté, comme de nombreux autres sénateurs, par César. Contra Lacey 1959 et 1961 a entendu réfuter cette corruption et proposa l’idée d’une indépendance du jeune homme. Enfin Virlouvet 1994, p. 76 a soutenu que le mariage de Curion avec Fulvia, veuve de Clodius, ne pouvait que proclamer que, malgré ses origines familiales, Curion se rapprochait des populares.
[24] Cic., Fam., 8, 6, 5.
[25] MRR, 2, p. 247-248 et Suolahti 1963, p. 488-489.
[26] Voir notices n° 31 et 32.
[27] D.C., 40, 63, 5.
[28] MRR, 2, p. 215 et Suolahti 1963, p. 477-483.
[29] Rich 1976, p. 128-137.
[30] Cf. Bur 2018, chapitre 4.2.3.
[31] Schmähling 1938, p. 143.
[32] D.C., 40, 64.
[33] App., BC, 2, 26-30.
[34] Cela rappelle le procédé utilisé par Scipion Émilien qui avait proclamé Licinius Sacerdos comme parjure Cf. notice n° 59.
[35] Ainsi Bonnefond-Coudry 1989, p. 42 qui parle d’acquittement de Curion par les sénateurs.
[36] Cf. Bur 2018, chapitre 8.
[37] MRR, 2, p. 263-264 corrigé par MRR, 3, p. 186 : Curion serait un legatus pro praetore mais il se serait présenté comme propréteur.
[38] F. Münzer, RE, 2A/1, 1921, col. 861, n° 7 s. v. Scribonius.
[39] D.C., 51, 2, 5.
[40] Cic., Phil., 2, 3 ; 44-45 ; 50 ; 86.
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