Infames Romani

Candidats à la questure de 18 av. J.C.

Numéro
121
Identité
Catégorie
Candidats écartés
Sous catégorie
-
Date de l'épisode
-19
Source
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Vell., 2, 92, 2-3 : tum in comitiis habendis praecipuum egit consulem : nam et quaesturam petentes, quos indignos iudicauit, profiteri uetuit et, cum id facturos se perseuerarent, consularem, si in campum descendissent, uindictam minatus est.


c’est alors, dis-je, que, présidant les comices, il [C. Sentius Saturninus] se montra vraiment un consul : car il interdit à ceux qui briguaient la questure et qu’il en jugea indignes de faire acte de candidature et, comme ils persistaient à le faire, il les menaça d’exercer contre eux son pouvoir consulaire s’ils descendaient au Champ de Mars (trad. J. Hellegouarc’h, CUF).

Notice
Notice

En 19, Auguste était en Orient pour réorganiser cette partie de l’Empire[1]. Malgré les pressions du peuple, il refusait toujours de revêtir le consulat qu’il avait abandonné depuis 23[2], provoquant des troubles quant à l’attribution de la seconde charge[3]. Ainsi, en 19, le peuple voulut élire au consulat M. Egnatius Rufus, mais C. Sentius Saturninus, le consul présidant les comices, s’y opposa. Peu auparavant, cet homme à poigne, qui, selon J. Hellegouarc’h, « représent[ait] la ligne catonienne du parti pompéien »[4], avait déjà débouté plusieurs personnages qui briguaient la questure. Velleius Paterculus écrit de façon très claire que Sentius indignos iudicauit et que par conséquent profiteri uetuit. Le consul les empêcha donc de se porter candidats après avoir évalué leur dignitas. Contrairement à d’autres épisodes, si l’on suit le texte, Sentius n’annonça pas qu’il refuserait de les proclamer (renuntiare) si d’aventure ils étaient élus. La menace d’utiliser la uindicta consularis à leur encontre révèle que le pouvoir discrétionnaire du président des comices semblait être alors déconsidéré[5]. Toutefois, le point central est ici le jugement de Sentius transmis par Velleius Paterculus : que signifiait cette indignitas des candidats à la questure ? Est-ce simplement un jugement a posteriori de l’historien chantre d’Auguste et surtout de son successeur, Tibère ? Ou cela correspondait-il à une véritable mauvaise conduite des candidats de cette année ?


Un premier indice pourrait être la décision d’Auguste de faire voter une lex de ambitu aggravant les peines prévues à son retour d’Orient[6]. Cette loi prouvait que les élections étaient encore le lieu d’une intense compétition[7]. Nous pourrions ainsi supposer que les candidats à la questure de 18 s’étaient illustrés par un achat si éhonté des voix que le consul se sentît obligé d’intervenir. Il serait curieux qu’une telle conduite ne fût à reprocher qu’à de tout jeunes hommes entamant leur cursus honorum sans que nous n’ayons aucune mention de tels méfaits pour les autres élections et notamment pour le poste le plus convoité qu’était le consulat. On admet généralement que les troubles des années 23-19 encouragèrent Auguste à se lancer dans un vaste programme de réorganisation de l’aristocratie. Peut-être faudrait-il placer la décision de Sentius à l’égard des candidats au poste de questeur dans ce contexte. Cette décision pourrait être l’annonce, plus que la cause, des profondes mutations qui allaient affecter la classe dirigeante romaine. En effet, l’une des principales mesures des années 18-13 fut de relever le cens sénatorial à un million de sesterces et de favoriser l’entrée au Sénat quasi exclusive des fils de sénateurs[8]. Or la questure était la porte d’entrée de la curie et il est possible que Sentius, à la demande d’Auguste, eût écarté des personnages qui, dans l’idée du Prince, n’appartenaient pas à l’aristocratie telle qu’il souhaitait la façonner, c’est-à-dire qui n’étaient pas fils de sénateurs, pas italiens ou insuffisamment riches. L’indignitas dénoncée par Velleius Paterculus serait alors une naissance trop modeste. S’apprêtant à fonder ce qui allait devenir l’ordo senatorius, Auguste aurait pu souhaiter commencer dès 19 à empêcher d’entrer au Sénat ceux qui n’appartenaient pas aux familles appelées à former la nouvelle aristocratie. Loin de vouloir contrôler les élections[9], il aurait avancé à couvert en demandant à un personnage notoirement connu pour sa sévérité et son intransigeance de tester une telle réforme auprès du peuple et de l’aristocratie en saisissant l’occasion donnée par les élections. Bien que nous puissions alors parler de pouvoir discrétionnaire du président des comices exercé à l’encontre de personnages qu’il jugeait indignes, il conviendrait de placer cet épisode dans le contexte plus large d’élaboration de l’ordre sénatorial. Une fois encore, il ne s’agissait pas d’infames mais seulement de personnages qui ne répondaient pas aux nouveaux critères qu’Auguste voulait établir pour l’entrée au Sénat. Ces réformes, largement acceptées à l’époque de Velleius Paterculus après avoir été vivement critiquées au moment de leur mise en place, expliqueraient que l’historien utilisât pour parler des candidats déboutés par Sentius du terme indigni. À son époque, il était devenu évident que de tels individus n’avaient pas une dignitas suffisante pour briguer la questure, ce qui n’était pas le cas en 19.






[1] Vell., 2, 92, 2.


[2] Sur les pouvoirs d’Auguste voir Ferrary 2001.


[3] Jones A. 1955, p. 9-11 ; Cosme 2005, p. 176-177 ; Hollard 2010, p. 217.


[4] Hellegouarc’h 1982, p. 99 n. 4.


[5] Sur ce dernier voir Bur 2018, chapitre 7.1.


[6] Sur cette loi : Suet., Aug., 40, 4 ; D.C., 54, 16, 1 ; D. 48.14.


[7] Jones A. 1955, p. 13.


[8] Chastagnol 1992, p. 31-41.


[9] Dans ce sens, Ferrary 2001, p. 127-128.

Bibliographie
Bibliographie

Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.


Chastagnol 1992 : Chastagnol A., Le Sénat romain à l’époque impériale, Paris, 1992.


Cosme 2005 : Cosme P., Auguste, Paris, 2005.


Ferrary 2001 : Ferrary J.-L., « À propos des pouvoirs d’Auguste », CCGG, 2001, 12, p. 101‑154.


Hellegouarc’h 1982 : Hellegouarc’h J., Velleius Paterculus. Histoire romaine, 2, Paris, 1982.


Hollard 2010 : Hollard V., Le Rituel du vote. Les assemblées du peuple romain, Paris, 2010.


Jones A. 1955 : Jones A. H. M., « The Elections under Augustus », JRS, 1955, 45, p. 9-21.


Clément Bur, Infames Romani n°121, Albi, INU Champollion, Pool Corpus, 2018, mis à jour le