Infames Romani

Manilius [2] = P. Manlius [31] ou A. Manlius Vulso [90] ?

Numéro
6
Identité
Catégorie
Procédures censoriales
Sous catégorie
Eviction du Sénat
Date de l'épisode
-184
Références prosopographiques

F. Münzer, RE, 14/1, 1928, col. 1114-1115, n° 2 s. v. Manilius ; DPRR n° MANI3222.

= P. Manlius : M. Fluss, RE, 14/1, 1928, col. 1159-1161, n° 31 s. v. Manlius ; K.-L. Elvers, Neue Pauly, 7, 1999, col. 823, [I 5] ; Rüpke 2005, 2, p. 1129, n° 2342 ; DPRR n° MAN1128.

= A. Manlius Vulso : F. Münzer, RE, 14/1, 1928, col. 1214-1215, n° 90 s. v. Manlius ; P. Nadig, Neue Pauly, 7, 1999, col. 827, [I 23] ; DPRR n° MANL1151.

Source
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Plut., Cat. Ma., 17, 7 : ἄλλον δὲ βουλῆς ἐξέβαλεν ὑπατεύσειν ἐπίδοξον ὄντα Μανίλιον, ὅτι τὴν αὑτοῦ γυναῖκα μεθ’ ἡμέραν ὁρώσης τῆς θυγατρὸς κατεφίλησεν. Αὑτῷ δ’ ἔφη τὴν γυναῖκα μηδέποτε πλὴν βροντῆς μεγάλης γενομένης περιπλακῆναι, καὶ μετὰ παιδιᾶς εἰπεῖν αὐτὸν ὡς μακάριός ἐστι τοῦ Διὸς βροντῶντος.


Caton chassa également du Sénat Manilius, que l’on s’attendait à voir nommer consul, sous prétexte qu’il avait embrassé sa femme en plein jour sous les yeux de sa fille. « Moi, dit-il, ma femme ne m’a jamais enlacé qu’après un grand coup de tonnerre », et il ajoutait en plaisantant qu’il était au comble du bonheur quand Jupiter tonnait (trad. R. Flacelière et E. Chambry, CUF).


 


Plut., Moralia, 139 E : Ὁ Κάτων ἐξέβαλε τῆς βουλῆς τὸν φιλήσαντα τὴν ἑαυτοῦ γυναῖκα τῆς θυγατρὸς παρούσης. Τοῦτο μὲν οὖν ἴσως σφοδρότερον· εἰ δ’ αἰσχρόν ἐστιν, ὥσπερ ἐστίν, ἑτέρων παρόντων ἀσπάζεσθαι καὶ φιλεῖν καὶ περιβάλλειν ἀλλήλους.


Caton fit exclure du Sénat un homme qui avait donné un baiser à sa femme en présence de leur fille. Sans doute était-ce un peu excessif ; mais s’il est honteux – et c’est le cas –, en présence d’autrui, d’échanger des caresses, des baisers, de se tenir enlacés (trad. J. Defradas, J. Hani et R. Klaerr).

Notice
Notice

Le nom de Manilius, victime de l’extrême sévérité de Caton aux dires mêmes de Plutarque, a beaucoup étonné les commentateurs et historiens bien qu’il soit solidement établi dans les manuscrits[1]. Aucun Manilius ne semble correspondre à ce personnage « que l’on s’attendait à voir nommer consul »[2]. Pour cette période nous ne connaissons qu’un seul Manilius qui aurait pu être actif politiquement, le légat de 167, P. Manilius[3] tandis que le Manilius suivant est le consul de 149, M’. Manilius[4]. Par conséquent, il parut plus raisonnable de supposer une erreur de Plutarque et de corriger Manilius en Manlius ou Mamilius. Cependant les Mamilii semblent avoir disparu de la scène publique à cette période puisque les derniers membres de cette famille à avoir revêtu des magistratures avant 184 sont C. Mamilius Atellus[5], préteur en 207 et légat en 203, et Q. Mamilius Turrinus[6], préteur en 206. La correction en Manlius s’imposa donc. Au sein de cette gens, deux personnages attirèrent l’attention pour envisager une identification.


La première hypothèse fut formulée par F. Münzer dans sa notice de la Realencylopädie sur Manilius ce qui explique que ce dernier nom disparaisse dans la Neue Pauly. Selon lui, Manilius serait en réalité P. Manlius[7], dont la carrière pourrait convenir à notre personnage. En effet, P. Manlius fut triumuir epulo en 196[8] et l’année suivante il était préteur en Espagne sous les ordres de Caton lui-même alors consul[9]. Au cours de cette campagne, P. Manlius, qui menait campagne dans le sud, se retrouva en danger et dut appeler Caton à son secours. La manœuvre du consul fut risquée et lui attira des critiques bien qu’il réussît à sauver son préteur et à conserver les territoires pacifiés au nord[10]. Les difficultés de P. Manlius purent empêcher ce dernier d’obtenir les grands succès qu’il espérait afin de rehausser sa gloire militaire, lui qui était homo nouus. Caton garda certainement un goût amer de leur collaboration. Nous n’entendons plus parler de P. Manlius jusqu’à l’exclusion du Sénat en 184 par Caton, si c’est bien lui. L’épisode espagnol fournit un motif de rancune du censeur envers P. Manlius et cela d’autant plus que P. Manlius était proche des Fulvii. Ces derniers formaient alors un groupe politique influent auquel s’opposaient les Porcii et les Valerii[11]. Ainsi Caton et Flaccus avaient remporté les élections pour la censure alors que M. Fulvius Nobilior la briguait également[12]. J. Suolahti supposait que l’exclusion était politique et le motif allégué par Caton qu’un prétexte[13]. Si Caton se réjouissait sans doute de blâmer un adversaire, le motif pouvait – et devait – être cependant très sérieux. La cause rapportée par Plutarque n’était sans doute qu’un sarcasme retenu à tort par la tradition comme la raison fournie par la nota[14]. Ce baiser symbolisait peut-être la conduite indigne d’un sénateur qui ne savait faire preuve de grauitas ni de discrétion. L’animosité entre les deux groupes, la volonté de porter un coup à ses adversaires, que nous retrouvons avec les blâmes infligés à L. Quinctius Flaminius et le retrait du cheval à Scipion l’Asiatique[15], et enfin la rancune due à l’affaire espagnole pouvaient inciter Caton à dégrader P. Manlius, quoique le motif véritable fût difficile à établir. Pour étayer cette identification, F. Münzer faisait remarquer que P. Manlius revêtit pour la seconde fois la préture en 182[16]. Or il était rare, à cette époque, d’exercer deux fois la même charge et, selon lui, cette réitération serait due à la manœuvre de P. Manlius pour retrouver son rang au Sénat, méthode que nous retrouvons à la fin de la République[17]. Cette thèse a connu un certain succès en raison de sa cohérence et surtout de ce dernier argument de la double préture, malgré la théorie de T. C. Brennan[18]. Nous pouvons en effet envisager que l’exclusion de P. Manlius put paraître sévère aux yeux des Romains, surtout si Caton mit en avant le motif présenté par Plutarque, et que ceux-ci souhaitèrent restaurer P. Manlius dans sa dignité. En revanche, il est difficile de concilier la précision de Plutarque sur l’imminence du consulat de P. Manlius et son exercice de la préture dix ans plus tôt. Pourquoi P. Manlius serait-il en bonne posture pour obtenir le consulat alors que nous n’entendons plus parler de lui depuis sa préture qui ne sembla pas, en outre, avoir été une source de gloire ? P. Manlius s’était toutefois fortement rapproché des Fulvii et ceux-ci gagnaient du terrain face aux autres groupes, ce qui laissait augurer de bons résultats aux élections à venir pour les Fulvii et leurs alliés. Dans ce contexte, si l’exclusion de P. Manlius était purement politique, son retour à la préture serait vraisemblablement l’œuvre des Fulvii.


L’autre hypothèse, proposée par H. H. Scullard, identifie notre Manilius avec A. Manlius Vulso[19], le consul de 178[20]. Ce jeune frère de Cn. Manlius Vulso[21], consul en 189, fut triumuir coloniae deducendae en 194-193 pour coloniser l’ager Thurinus[22]. On avait d’abord proposé de faire de lui un préteur suffect de 189, l’année du consulat de son frère, où il aurait remplacé un préteur mort tôt dans l’année, L. Baebius Dives[23]. Ainsi, prétorien en 184, il pouvait être un candidat sérieux pour le consulat. Cette datation a été remise en cause, et T. C. Brennan a proposé de façon plus convaincante d’en faire un préteur de 185[24]. Les deux suppositions sur sa préture s’appuyaient sur l’idée qu’un consul, à cette époque, ne pouvait pas, ou alors très difficilement, ne pas avoir été préteur avant, même si la lex Villia annalis n’imposait pas l’exercice de la préture avant de revêtir le consulat. La datation de T. C. Brennan renforce le sérieux du personnage en 184, puisqu’il sortait alors de sa préture et tous pouvaient s’attendre à une candidature prochaine au consulat avec le soutien de son frère Cnaeus. Là encore les luttes politiques pouvaient inciter Caton à agir puisque les Manlii Vulsones étaient également liés aux Fulvii[25], de sorte que le censeur pût sauter sur l’occasion d’exclure du Sénat un membre prometteur du parti adverse. Exclu du Sénat en 184, A. Manlius brigua néanmoins le consulat en 179 et fut élu sans doute grâce aux Fulvii qui dominaient alors la République comme le laissait entendre Tite-Live[26]. Ainsi, nous pourrions également comprendre la précision de Plutarque sur l’imminence du consulat comme une vision rétrospective puisqu’il savait alors qu’A. Manlius Vulso était le consul de 178[27]. Reste que cette élection au consulat si peu de temps après l’exclusion du Sénat serait un hapax. Même un ancien consul comme P. Cornelius Lentulus Sura préféra briguer la préture plus facile à obtenir en raison du nombre plus élevé de postes[28]. Une telle manœuvre aurait fortement nui à l’image de la censure de Caton car elle aurait invalidé le jugement du censeur. Or la censure occupait une place centrale dans l’image que se construisait Caton afin d’assoir sa situation et son auctoritas[29]. Nous pensons donc qu’un tel épisode aurait dû laisser une trace dans nos sources, soit en rapport avec la censure de Caton soit pour ériger A. Manlius Vulso en exemplum au même titre que C. Licinius Geta[30]. Enfin, exclure du Sénat A. Manlius Vulso, le frère de Cn. Manlius Vulso, alors d’une grande importance politique, aurait été un parallèle évident avec l’exclusion de L. Quinctius Flamininus[31] et n’aurait pas manqué d’être signalé par les auteurs anciens. Cependant, le retour au Sénat d’A. Manlius fut peut-être décidé par les censeurs de 179, parmi lesquels M. Fulvius Nobilior, le consul de 189, qui aurait annulé l’exclusion décidée par Caton et Flaccus. Ce dernier aurait alors profité de sa restitutio pour briguer le consulat de l’année suivante, profitant du soutien des Fulvii et de la publicité de son retour au Sénat, l’exclusion de Caton pouvant alors paraître comme une mesure injuste qui attendait une réparation. Ainsi les comices consulaires eurent lieu début mars 178 dans la foulée du triomphe du consul Q. Fulvius sur les Ligures[32] et A. Manlius bénéficia de ce contexte propice.


En l’état de nos connaissances actuelles, il nous paraît impossible de trancher. Si le début de carrière d’A. Manlius Vulso est plus cohérent avec l’anecdote sur Manilius que celui de P. Manlius, l’inverse est vrai pour la fin de carrière. Notons simplement que pour les deux identifications, il y eut un retour dans la vie politique, comme préteur pour le premier et consul pour le second. À l’issue de sa préture en Espagne, P. Manlius fut prorogé et ne revint à Rome qu’en 180[33] où il mourut peu après lors d’une épidémie[34]. Nous ne lui connaissons aucun descendant. Lors de son consulat, en 178, A. Manlius obtint la Gaule où il mena une campagne difficile et fut prorogé en 177[35]. Nous perdons ensuite toute trace de lui et nous ne lui connaissons aucun descendant.






[1] Tous les manuscrits donnent clairement pour Plut., Cat. Ma., 17, 7 Μανίλιον à l’exception des manuscrits Parisinus 1671 et Vaticanus 138 qui offrent Μανίλλιον.


[2] Willems 1885, 1, p. 299 signalait déjà qu’on attendait d’un tel personnage qu’il fût prétorien or aucun Manilius n’apparaît dans les Fastes prétoriens de l’époque alors que nous les avons bien conservés.


[3] F. Münzer, RE, 14/1, 1928, col. 1139, n° 13 s. v. Manilius.


[4] F. Münzer, RE, 14/1, 1928, col. 1135-1139, n° 12 s. v. Manilius.


[5] F. Münzer, RE, 14/1, 1928, col. 956-957, n° 5 s. v. Mamilius.


[6] F. Münzer, RE, 14/1, 1928, col. 958, n° 13 s. v. Mamilius.


[7] M. Fluss, RE, 14/1, 1928, col. 1159-1161, n° 31 s. v. Manlius ; K.-L. Elvers, Neue Pauly, 7, 1999, col. 823, [I 5].


[8] Rüpke 2005, 1, p. 79. D’après Baudry 2008, notice n° 409, cette prêtrise ne permet pas de conclure à l’appartenance à la plèbe de P. Manlius mais il met en avant deux autres arguments qui permettent d’avancer que P. Manlius était bien plébéien et qu’il n’appartenait donc pas à la stirps des Vulso.


[9] MRR, 1, p. 340 et Brennan 2000, 2, p. 730.


[10] Astin 1978, p. 41-48 ; Brennan 2000, p. 166.


[11] Münzer 1922, p. 194-195 et 203-204.


[12] Liv., 39, 40, 3.


[13] Suolahti 1963, p. 356.


[14] Astin 1978, p. 81.


[15] Cf. notices 7 et 53.


[16] MRR, 1, p. 382 et Brennan 2000, 2, p. 732.


[17] Cf. Bur 2018, chapitre 15.3 et notices de C. Antonius Hybrida, Lentulus Sura et Q. Curius n° 20, 22 et 23.


[18] Brennan 1989, p. 482 notamment n. 75 affirme que la réitération de la préture servait à relancer la carrière politique pour parvenir au consulat. Si cet argument est intéressant, il n’explique pas pourquoi la plupart des cas recensés dans la période 190-170 datent des années 173-172. Il considère que P. Manlius brigua en 183 la préture en misant sur un commandement en Espagne, car Rome avait alors besoin de chefs expérimentés pour cette province. Il nous semble plus pertinent de penser qu’en 183, un an après avoir été exclu du Sénat par Caton, P. Manlius se porta candidat en mettant en avant la sévérité de Caton, illustrée par son bon mot sur le baiser, et peut-être son expérience en Espagne au cas où le sort lui attribuerait cette province. Ces deux arguments purent convaincre les électeurs de lui accorder une seconde chance.


[19] F. Münzer, RE, 14/1, 1928, col. 1214-1215, n° 90 s. v. Manlius ; P. Nadig, Neue Pauly, 7, 1999, col. 827, [I 23].


[20] Scullard 1973, p. 158 n. 3 suivi par Kunkel et Wittmann 1995, p. 444.


[21] F. Münzer, RE, 14/1, 1928, col. 1215-1222, n° 91 s. v. Manlius.


[22] MRR, 1, p. 345.


[23] Willems 1885, 1, p. 324 ; MRR, 1, p. 361 et 3, p. 137 ; Scullard 1973, loc. cit. ; Astin 1978, p. 48 n. 7.


[24] Brennan 2000, 2, p. 667.


[25] Münzer 1922, p. 194-195 et 203-204.


[26] Münzer 1922, p. 185 d’après Liv., 40, 59, 1.


[27] Astin 1978, p. 48 n. 7.


[28] Cf. notice n° 22.


[29] Sur ce point, nous nous permettons de renvoyer à notre étude à paraître sur « L’antihellénisme de Caton l’Ancien : une image publique construite par un homo nouus ? » dans l’ouvrage collectif dirigé par nous-même et M. Humm.


[30] Cf. notice n° 14.


[31] Cf. notice n° 7.


[32] Liv., 40, 59, 1-4


[33] MRR, 1, p. 382, 385 et 389.


[34] Liv., 40, 42, 6-7


[35] MRR, 1, p. 395 et 399.

Bibliographie
Bibliographie

Astin 1978 : Astin A. E., Cato the Censor, Oxford, 1978.


Baudry 2008 : Baudry R., Les Patriciens à la fin de la République romaine et au début de l’Empire, Thèse dactylographiée de l’Université Paris 1, 2008.


Brennan 1989 : Brennan T. C., « C. Aurelius Cotta, praetor iterum (CIL, 1², 610) », Athenaeum, 1989, 67, p. 467-487.


Brennan 2000 : Brennan T. C., The Praetorship in the Roman Republic, New York – Oxford, 2000 (2 vol.).


Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.


Kunkel et Wittmann 1995 : Kunkel W. et Wittmann R., Staatsordnung und Staatspraxis der römischen Republik, 2, Die Magistratur, Munich, 1995.


Münzer 1922 : Münzer F., Römische Adelsparteien und Adelsfamilien, Stuttgart, 1922.


Rüpke 2005 : Rüpke J., Fasti Sacerdotum : die Mitglieder der Priesterschaften und das sakrale Funktionspersonal römischer, griechischer, orientalischer und jüdisch-christlicher Kulte in der Stadt Rom von 300 v. Chr. bis 499 n. Chr., Wiesbaden, 2005 (3 vol.).


Scullard 1973 : Scullard H. H., Roman Politics : 220-150 B.C., Oxford, 1973².


Suolahti 1963 : Suolahti J., The Roman censors : a study on social structure, Helsinki, 1963.


Willems 1885 : Willems P., Le Sénat de la République romaine, Paris, 1885² (2 vol.).


Clément Bur, Infames Romani n°6, Albi, INU Champollion, Pool Corpus, 2018, mis à jour le 2018-09-19