E. Groag, RE, 3/1, 1897, col. 1231, n° 105 s. v. Caecilius et PIR², 2, 1936, p. 13, C 73 ; Jones B. 1979, p. 100, n° 56.
Attention ! L'épisode est daté du règne de Domitien, sans plus de précisions.
Suet., Dom., 8, 4 : quaestorium uirum, quod gesticulandi saltandique studio teneretur, mouit senatu.
il exclut du Sénat un ancien questeur à cause de sa passion pour la pantomime et pour la danse (trad. H. Ailloud, CUF).
D.C., 67, 13, 1 : ἔπραξε δέ τι καὶ ὡς τιμητὴς ἀξιόλογον· Καικίλιον γὰρ Ῥουφῖνον ἀπήλασεν ἐκ τοῦ συνεδρίου, ὅτι ὠρχεῖτο.
Il [Domitien] fit, en qualité de censeur, des actes dignes d’être rapportés : il exclut du Sénat Caecilius Rufinus, parce qu’il dansait.
Caecilius Rufinus n’est nommé que dans le récit de Dion Cassius alors que Suétone tait le nom du personnage[1]. Nous n’avons pas de raisons de douter de l’information donnée par Dion. Suétone nous apprend qu’il avait été questeur[2] ce qui lui permit d’entrer au Sénat. L’épisode est difficilement datable puisqu’il appartient au regimen morum mené par Domitien, sans doute après qu’il eut revêtu la censure à vie en 85[3]. Nous serions alors en présence d’une procédure censoriale assez classique avec exclusion et nota entre 85 et 96[4].
Domitien justifia l’exclusion en dénonçant la passion de Caecilius pour la danse et la pantomime. L’expression de Suétone (studio teneretur) donne l’image d’un Caecilius esclave de sa passion et donc négligeant ses autres devoirs. Peut-être envisageait-il de monter sur scène, toutefois rien n’indique qu’il le fit et que ce fut la raison de son exclusion[5]. En fait, s’adonner complètement à des activités telles que la pantomime et la danse était en soi indigne d’un sénateur[6]. La danse appréciée par Caecilius était la saltatio, terme qui a un sens péjoratif et ne renvoie pas à la danse honorable du prêtre ou du guerrier[7]. Danse et pantomime étaient deux arts du corps et, à ce titre, suspects puisque les Romains craignaient qu’ils n’entraînassent un caractère efféminé ou qu’ils n’encourageassent aux vices[8]. Enfin ils relevaient du domaine du ludus, en opposition à l’actio. En les pratiquant trop, Caecilius négligeait la vie publique et perdait sa grauitas[9]. Le motif revêtait un caractère moral marqué, la sanction d’une conduite indigne d’un sénateur, mais n’était pas l’application stricte d’un interdit dont nous ne sommes pas même sûrs qu’il touchât les pantomimes et les danseurs[10]. À cela s’ajoute peut-être un aspect politique puisque le règne de Domitien fut aussi marqué par des mesures contre les pantomimes. Domitien interdit en effet leurs spectacles en dehors d’un cadre privé[11] et fit exécuter deux célèbres artistes, vraisemblablement pour des raisons politiques[12]. Domitien blâmait peut-être également l’implication de Caecilius dans des intrigues liées aux milieux du spectacle.
En conclusion, Domitien, censeur, exclut du Sénat un questorien, Caecilius Rufinus, parce qu’il s’adonnait à des activités indignes d’un aristocrate, la danse et la pantomime. La sanction marqua probablement la fin de sa carrière. Nous n’avons aucune information sur le reste de sa vie ni sur d’éventuels descendants.
[1] Suet., Dom., 8, 4 ; D.C., 67, 13, 1.
[2] Jones B. 1979, p. 100, n° 56 situe sa questure entre 81 et 96 sans préciser pourquoi il ne descend pas avant 81. En outre, la date 96 est peu probable puisque Domitien ne l’exclut pas alors qu’il était questeur en exercice (Suétone écrit quaestorius et non quaestor). Il faudrait donc écrire : questeur avant 96.
[3] D.C., 67, 4, 3-4 et, surtout, les monnaies que l’on trouver chez Carradice 1983, p. 27 et 29. Voir en particulier sur ce point Jones B. 1992, p. 106-107.
[4] U. P. Boissevain suivi par Jones B. 1992, p. 123 date l’épisode de 93.
[5] Garelli François 2007, p. 194 déduit que la passion de Caecilius devait nécessairement l’amener à vouloir se produire en public, mais nous ne pouvons qu’au mieux le supposer.
[6] Garelli François 1995 insiste sur la nécessité pour un aristocrate d’apprendre la danse mais de bien circonscrire cet apprentissage. Ainsi, p. 37 « Il appartient au domaine des apprentissages enfantins, il doit faire partie de la culture de l’homme, de tout ce qui l’accompagne furtim, sans se laisser déceler ».
[7] Garelli François 1995, p. 41.
[8] Garelli François 1995, p. 38. Elle cite notamment l’exemple (n. 40) de Sempronia dont le talent de danseuse la rend suspecte (Sall., Cat., 2).
[9] Garelli François 1995, p. 39.
[10] Cf. Bur 2018, chapitre 17.1.3.
[11] Suet., Dom., 7, 1.
[12] Garelli François 2007, p. 193-194.
Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.
Carradice 1983 : Carradice I. A., Coinage and Finances in the Reign of Domitian, Oxford, 1983.
Garelli François 1995 : Garelli-François M.-H., « Le Danseur dans la cité : quelques remarques sur la danse à Rome », REL, 1995, 73, p. 29-37.
Garelli François 2007 : Garelli François M.-H., Danser le mythe, Louvain, 2007.
Jones B. 1979 : Jones B. W., Domitian and the Senatorial Order, Philadelphie, 1979.
Jones B. 1992 : Jones B. W., The Emperor Domitian, Londres – New-York, 1992.