Infames Romani

M. Furius Crassipes [56]

Numéro
182
Identité
Catégorie
Autres cas
Sous catégorie
-
Date de l'épisode
-184
Références prosopographiques

F. Münzer, RE, 7/1, 1910, col. 353, n° 56 s. v. Furius ; K.-L. Elvers, Neue Pauly, 4, 1998, col. 716, [I 18] ; DPRR n°FURI1081.

Source
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D.S., 29, frg. 17 Goukowsky : Ὅτι Μάρκος Φόλουιος στρατηγὸς ὢν παρανομήσας εἰς τοὺς κατὰ τὴν Λιγυστικὴν συμμάχους ἔτυχε τῆς προσηκούσης κολάσεως. Παρελθὼν γὰρ εἰς τοὺς ὀνομαζομένους Κενομανοὺς ὡς φίλος παρείλετο τὰ ὅπλα, μηδὲν ἔχων ἔγκλημα. Ὁ δὲ ὕπατος πυθόμενος τὸ γεγονὸς τούτοις μὲν ἀπέδωκε τὰ ὅπλα, τὸν δὲ Μάρκον ἐζημίωσε χρήμασι.


Comme Marcus Fulvius, durant sa préture, avait fait subir des injustices aux alliés de Ligurie, il reçut le châtiment qu’il méritait. S’étant en effet présenté en ami chez les Cénomans (c’est ainsi qu’on les appelle), il les désarma sans avoir rien à leur reprocher. Mais, ayant appris ce qui s’était passé, le consul leur rendit leurs armes et infligea une amende à Marcus (trad. P. Goukowsky).


 


Liv., 39, 3, 1-3 (a. 187) : In Gallia M. Furius praetor insontibus Cenomanis, in pace speciem belli quaerens, ademerat arma. Id Cenomani conquesti Romae apud senatum reiectique ad consulem Aemilium, cui ut cognosceret statueretque senatus permiserat, magno certamine cum praetore habito obtinuerunt causam. Arma reddere Cenomanis, decedere prouincia praetor iussus.


En Gaule, le préteur M. Furius, cherchant, en temps de paix, à donner l’impression qu’ils faisaient la guerre, avait dépouillé les Cénomans de leurs armes, sans aucune responsabilité de leur part. De cela, les Cénomans se plaignirent auprès du Sénat de Rome et ils furent renvoyés devant le consul Aemilius, que le Sénat avait chargé d’instruire et d’arbitrer l’affaire : après un débat animé avec le préteur, ils obtinrent gain de cause. Le préteur eut ordre de rendre aux Cénomans leurs armes et de quitter la province (trad. A.-M. Adam, CUF).


 


Liv., 41, 28, 5 (a. 174) : Praetores inde facti […] M. Furius Crassipes iterum, A. Atilius Serranus iterum, C. Cluuuius Saxula iterum.


Puis furent élus préteurs […] M. Furius Crassipes pour la seconde fois, A. Attilius Serranus pour la seconde fois, C. Cluvius Saxula pour la seconde fois (trad. P. Jal, CUF).


 


Liv., 42, 1, 5 (a. 173) : Praetores deinde prouincias sortiti sunt, A. Atilius Serranus urbanam, C. Cluuius Saxula inter ciues et peregrinos, […] M. Furius Crassipes Siciliam.


Les préteurs tirèrent ensuite au sort leur province : A. Atilius Serranus eut la juridiction urbaine, C. Cluvius Saxula, celle qui concernait les rapports entre citoyens et pérégrins, […], M. Furius Crassipes, la Sicile (trad. P. Jal, CUF).

Notice
Notice

F. Münzer, dans la notice qu’il consacre à M. Furius Crassipes dans la Realencylcopädie, présume qu’il fut exclu du Sénat. Bien qu’il n’y ait aucune preuve dans nos sources, cette hypothèse fut presque unanimement acceptée. Pourtant la carrière de M. Furius avait commencé sous les meilleurs auspices puisqu’il aurait été un messager dépêché à Rome par Aurelius Cotta en 201, légat sous Purpurio en Gaule en 200 et enfin triumuir coloniae deducendae de 194-192 pour coloniser le Bruttium[1]. Nous pouvons supposer une questure voire une édilité au cours de ces années qui lui permirent d’être recruté au Sénat, peut-être lors de la censure de 189[2]. Élu préteur pour 187, il obtint la province de Cisalpine, pacifiée depuis une dizaine d’années[3]. Déçu de ne pouvoir espérer un triomphe, il chercha vraisemblablement un prétexte pour entrer en guerre contre les Cénomans en les désarmant sans raison[4]. Les Gaulois vinrent se plaindre au Sénat qui chargea M. Aemilius Lepidus, consul en charge et connaissant bien la région[5], d’instruire l’affaire[6]. Lepidus agit rapidement pour étouffer l’affaire, soit pour ne pas discréditer un peu plus le prestige des Scipions dont Crassipes était un partisan[7], soit pour ne pas ébruiter l’affaire et ne pas ternir l’image de Rome auprès de ses alliés. Il fit rendre leurs armes aux Cénomans, infligea à Furius une amende et lui ordonna de quitter sa province[8]. La manœuvre de Crassipes pour forcer les Cénomans à se rebeller et triompher d’eux se retourna contre lui et s’acheva par sa propre humiliation. Il disparut alors de nos sources pendant une quinzaine d’années.


M. Furius Crassipes surgit de nouveau dans le récit livien lors des élections pour les préteurs de 173. Il fut élu pour la seconde fois à cette magistrature en compagnie de deux autres anciens préteurs et reçut la province de Sicile[9]. Nos informations s’arrêtent là. F. Münzer, surpris par cette seconde préture assez inhabituelle et s’appuyant sur l’épisode de 187, supposa qu’entre‑temps Crassipes avait été exclu du Sénat et qu’il entendait regagner son rang par cette réitération[10]. Il attribuait l’exclusion à M. Aemilius, le consul qui avait sanctionné Crassipes, lors de sa censure en 179[11]. Cette reconstruction fut même élargie aux autres Romains ayant revêtu une seconde préture dans cette période par J. Briscoe[12]. Mais ce dernier préféra placer les exclusions en 184, car les sources indiquaient clairement qu’aucun magistrat curule n’avait été exclu dans les censures précédentes et seuls trois sénateurs avaient été rayés en 179 alors que J. Briscoe avait quatre noms (outre Crassipes, A. Atilius Serranus, P. Manlius, P. Aelius Tubero). En laissant les autres de côté, si H. H. Scullard a raison sur l’appartenance de Crassipes au groupe des Scipions, la censure de 184 conviendrait mieux à son exclusion. D’une part Caton, farouche adversaire des Scipions, était alors censeur et se distingua par sa sévérité tandis que Lepidus, en 179, semble avoir été un censeur indulgent[13]. D’autre part, en 184, l’exclusion serait alors plus proche de l’épisode.


Cependant, T. C. Brennan offrit une nouvelle interprétation de ces réitérations du début du IIe siècle : la seconde préture devait servir à relancer la carrière politique[14]. Plutôt que d’envisager une exclusion massive de préteurs à cette époque, on pourrait plutôt songer aux précédents de C. Aurelius Cotta et de C. Livius Salinator qui réussirent, sans doute grâce à leur seconde préture, à obtenir le consulat[15]. L’hypothèse de J. Briscoe nous semble définitivement réfutée par T. C. Brennan[16]. D’ailleurs, un aussi grand nombre de prétoriens exclus en 184 aurait nécessairement laissé des traces dans nos sources, d’autant plus que Caton et ses amis avaient entretenu l’image d’une censure austère.


Néanmoins, le cas de Crassipes reste douteux, en témoigne la prudence de J. Briscoe, convaincu seulement pour les autres prétoriens par la démonstration de T. C. Brennan[17]. S’il est effectivement impossible de trancher définitivement, nous serions portés à suivre T. C. Brennan et à supposer que Crassipes brigua une nouvelle préture en 174 afin d’effacer le mauvais souvenir laissé par la première et de donner un nouvel élan à sa carrière[18]. Il s’inspirerait des précédents déjà cités et profiterait de la conjoncture démographique, avec ses collègues pour 173 qui revêtaient également leur seconde préture. En effet, la lex Villia annalis de 180 avait établi des âges pour les magistratures curules et les candidats pour 173 devaient être nés en 213 ou avant, soit en pleine crise de la deuxième guerre Punique. Le phénomène des classes creuses se faisait sentir durant cette période et les Romains auraient préféré réélire à la préture d’anciens magistrats expérimentés, d’autant plus que la guerre s’annonçait en Macédoine, plutôt que des membres de la nouvelle génération dont la carrière avait été moins concurrentielle.


M. Furius Crassipes fut donc préteur en 187 puis une nouvelle fois en 173 sans que nous ayons besoin d’imaginer une exclusion du Sénat entre temps. Celle-ci nous semble d’autant moins probable qu’elle aurait eu lieu soit en 184 soit en 179 et que ces deux censures s’y prêtent plutôt mal. L’expulsion d’un prétorien par Caton aurait été conservée par la tradition qui faisait l’éloge de cette âpre censure. Nous ne pensons pas non plus que Lepidus, censeur indulgent, se serait acharné huit ans plus tard sur Crassipes alors qu’il avait été maintenu par Caton, même s’il avait mené l’enquête contre lui en 187. Crassipes ne fut vraisemblablement jamais exclu du Sénat, mais ses manigances en Cisalpine l’entrainèrent dans une traversée du désert. Sa seconde préture ne lui permit apparemment pas de réaliser tous ses espoirs puisqu’il ne parvint pas au consulat. Nous ne lui connaissons aucun fils ou descendant qui aurait pu pâtir de la mauvaise réputation née de l’affaire avec les Cénomans.


En revanche, Crassipes était, sans conteste, le meilleur candidat à une exclusion du Sénat parmi les praetores iterum de cette période et par conséquent la très faible probabilité de son renvoi renforce l’interprétation de T. C. Brennan. Nous pouvons donc avancer de façon plus assurée que ni P. Aelius Tubero, ni A. Atilius Serranus, signalés par J. Briscoe, et ni Cn. Sicinius ni C. Cluvius Saxula, mentionnés par T. C. Brennan[19], dont l’exclusion était envisagée seulement en raison de leur seconde préture, ne furent chassés du Sénat.






[1] MRR, 1, p. 321, 325 et 345. Il fonda Vibo Valentia en 192 d’après Liv., 35, 40, 6.


[2] Suolahti 1963, p. 341-348.


[3] MRR, 1, p. 368 et Brennan 2000, 2, p. 732. En 197, les deux consuls firent campagne dans cette région. C. Cornelius Cethegus célébra un triomphe sur les Insubres et les Cénomans tandis que Q. Minucius Rufus une ouatio sur les Boïens et les Ligures. Cf. MRR, 1, p. 332‑333 ; Itgenshorst 2005, p. 163-167 n° 166 et 167 ; Bastien 2007, p. 408.


[4] Liv., 39, 3, 1 ; cf. Scullard 1973, p. 143 ; Briscoe 2008, p. 216.


[5] MRR, 1, p. 367-368. Adam 1994, p. 90 n. 2.


[6] Liv., 39, 3, 2-3. Briscoe 2008, p. 215 accorde la préférence au récit de Tite-Live en démontrant qu’il s’agit de la procédure normale lorsque des alliés ont à se plaindre des commandants romains.


[7] Scullard 1973, loc. cit.


[8] D.S., 29, 14 est seul à mentionner l’amende mais celle-ci est acceptée par Briscoe 2008, loc. cit. qui dresse un parallèle avec Liv., 42, 9, 4. Liv., 39, 3, 3 ne mentionne que la restitution des armes et l’expulsion du préteur de sa province.


[9] Liv., 41, 8, 25 et 42, 1, 5. Brennan 2000, 2, p. 734.


[10] F. Münzer, RE, 7/1, 1910, col. 353, n° 56 s. v. Furius.


[11] MRR, 1, p. 392 et Suolahti 1963, p. 358-366.


[12] Briscoe 1981, p. 131.


[13] Liv., 40, 51, 1.


[14] Brennan 1989.


[15] C. Aurelius Cotta fut préteur vers 220 et en 202, consul en 200 et Salinator, préteur en 201 et 191, consul en 188. Cf. MRR, 1, p. 316, 323, 353 et 365 ; Brennan 1989, p. 467-471.


[16] Seul P. Manlius pourrait avoir été effectivement exclu du Sénat par Caton : cf. notice n° 6.


[17] Briscoe 2008, p. 215.


[18] Pour Crassipes, cf. Brennan 1989, p. 484.


[19] Briscoe 1981, p. 131 ; Brennan 1989, p. 477.

Bibliographie
Bibliographie

Adam 1994 : A.-M. Adam, Tite-Live. Histoire Romaine, XXXIX, Paris, 1994.


Brennan 1989 : Brennan T. C., « C. Aurelius Cotta, praetor iterum (CIL, 1², 610) », Athenaeum, 1989, 67, p. 467-487.


Brennan 2000 : Brennan T. C., The Praetorship in the Roman Republic, New York – Oxford, 2000 (2 vol.).


Briscoe 1981 : Briscoe J., A Commentary on Livy. Books XXXIV-XXXVII, Oxford, 1981.


Briscoe 2008 : Briscoe J., A Commentary on Livy. Books 38-40, Oxford, 2008.


Scullard 1973 : Scullard H. H., Roman Politics : 220-150 B.C., Oxford, 1973².


Suolahti 1963 : Suolahti J., The Roman censors : a study on social structure, Helsinki, 1963.


Clément Bur, Infames Romani n°182, Albi, INU Champollion, Pool Corpus, 2018, mis à jour le