Infames Romani

C. Licinius Sacerdos [153]

Numéro
59
Identité
Catégorie
Procédures censoriales
Sous catégorie
Retrait du cheval public
Date de l'épisode
-142
Références prosopographiques

F. Münzer, RE, 13/1, 1926, col. 458, n° 153 s. v. Licinius ; Nicolet 1966-1974, 2, p. 924, n° 200 ; DPRR n° LICI4659.

Source
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Cic., Cluent., 134 : qui cum esset censor et in equitum censu C. Licinius Sacerdos prodisset, clara uoce ut omnis contio audire posset dixit se scire illum uerbis conceptis peierasse ; si qui contra uellet dicere, usurum esse eum suo testimonio. Deinde cum nemo contra diceret, iussit equum traducere. Ita is cuius arbitrio et populus Romanus et exterae gentes contentae esse consuerunt ipse sua scientia ad ignominiam alterius contentus non fuit.


Au cours de sa censure il [Scipion Émilien] passait en revue les chevaliers. C. Licinius Sacerdos s’étant avancé, il dit à voix assez haute pour que toute l’assistance pût l’entendre qu’il savait que l’autre avait fait un faux serment dans les termes consacrés ; si quelqu’un voulait se porter comme accusateur, il pourrait recourir à son propre témoignage. Puis, comme personne ne le faisait, il l’invita à faire passer son cheval. Ainsi l’homme dont le peuple romain et les nations étrangères tenaient le jugement pour décisif, ne tint pas lui-même pour décisive sa propre conviction afin de frapper un autre d’ignominie (trad. P. Boyancé, CUF, modifiée).


 


Val. Max., 4, 1, 10 : Neque alia eius in censura moderatio pro tribunali apparuit. Centurias recognoscens equitum, postquam C. Licinium Sacerdotem citatum processisse animaduertit, dixit se scire illum uerbis conceptis peierasse : proinde, si quis eum accusare uellet, usurum testimonio suo. Sed nullo ad id negotium accedente « transduc equum » inquit, « Sacerdos, ac lucrifac censoriam notam, ne ego in tua persona et accusatoris et testis et iudicis partes egisse uidear ».


Aucune différence dans l’esprit de mesure qu’il [Scipion Émilien] a montré, au cours de sa censure encore, du haut de la tribune. Il faisait la revue des centuries de chevaliers et lorsqu’il vit C. Licinius Sacerdos s’avancer à l’appel de son nom, il dit qu’il savait que celui-ci avait commis un parjure dans un engagement solennel ; que dès lors quiconque voudrait l’accuser pourrait utiliser son témoignage. Mais comme personne ne s’avançait pour le faire : « Passe en gardant ton cheval, Sacerdos, dit-il, et évite le blâme des censeurs en profitant de ce que je ne veux pas qu’on m’ait vu jouer à ton égard à la fois le rôle d’accusateur, de témoin et de juge » (trad. R. Combès, CUF).


 


Quint., Inst. Or., 5, 11, 13 : contrario uero exemplo censoriam notam, laudando censorem Africanum, qui eum quem peierasse conceptis uerbis palam dixisset, testimonium etiam pollicitus si quis contra diceret, nullo accusante traducere equum passus esset : quae quia erant longiora non suis uerbis exposui.


c’est par un exemple contraire qu’il ruina le blâme des censeurs : il loua Scipion l’Africain, qui, en qualité de censeur, avait publiquement reproché à un chevalier de s’être parjuré de propos délibéré et avait même promis de témoigner contre lui, si le fait était contesté ; personne ne l’accusant, il lui permit de passer avec son cheval (trad. J. Cousin, CUF).


 


Plut., Apophth. Scipio Min., 12 = Moralia, 200 E : Γάιον δὲ Λικίνιον ἰδὼν παρερχόμενον ‘οἶδα’ ἔφη ‘τοῦτον ἐπιωρκηκότα τὸν ἄνδρα· μηδενὸς δὲ κατηγοροῦντος οὐ δύναμαι κατήγορος <ὁ> αὐτὸς εἶναι καὶ δικαστής.’


Voyant s’approcher Caius Licinius, « Je sais, dit-il, que cet homme a fait un faux serment ; mais comme personne ne l’accuse, je ne puis être, moi, en même temps accusateur et juge » (trad. F. Fuhrmann, CUF).

Notice
Notice

C. Licinius Sacerdos est un chevalier romain qui faillit perdre son cheval lors de la recognitio equitum menée par Scipion Émilien. Cet épisode de la censure du deuxième africain, en 142[1], nous a été transmis par Cicéron qui semble bien être la source des autres récits de Valère Maxime, Quintilien et Plutarque à en juger par la proximité des textes[2]. Cicéron utilise dans sa plaidoirie cette anecdote qui avait déjà acquis, à l’époque du procès, en 66, le statut d’exemple de la moderatio de Scipion, ici dans sa façon d’accomplir le regimen morum[3]. Ainsi, il n’y a aucune raison de douter du nom du chevalier mis en cause par Scipion, bien que nous n’ayons conservé aucune autre information à son sujet. Nous savons seulement que Sacerdos était un chevalier romain qui comparut devant Scipion en 142 et à qui le censeur reprocha de s’être parjuré.


Nous voyons ici la procédure classique de la revue des chevaliers : au début des opérations concernant sa tribu, à l’appel de son nom, le chevalier se présente devant les censeurs, tenant sa monture par la bride, et répond aux questions de ceux-ci pour déterminer s’il est digne de conserver son cheval public[4]. Arrivé devant le tribunal des censeurs, Scipion l’accusa d’avoir commis un parjure, mais il ne refusa pas pour autant de l’enregistrer dans les centuries équestres. Il fit appel à un accusateur, en assurant qu’il témoignerait contre Sacerdos, procédure que nous ne rencontrons nulle part ailleurs. Cet hapax semble avoir suscité l’étonnement et surtout l’éloge des contemporains de sorte qu’il fut transformé en exemple de modération. Aussi est-il fort probable que Scipion s’éloignait là de la manière traditionnelle des censeurs qui jugeaient d’habitude selon leur intime conviction ou une cognitio sommaire, ce qui paraissait parfois comme un pouvoir arbitraire[5].


Le texte de Cicéron, duquel découlent les autres récits, contient d’autres indications souvent négligées. Scipion formula son accusation clara uoce ut omnis contio audire posset. Il s’agit certes de faire en sorte que son appel soit entendu, mais surtout, Scipion, censeur, annonce au peuple romain assemblé sur le forum, lieu où se déroulait la recognitio equitum, que Sacerdos était coupable de parjure. Sa demande est en réalité une manière de proclamer officiellement la faute de Sacerdos ou plutôt de le présenter comme un suspect. Puisqu’aucun citoyen n’ose répondre à la demande de Scipion, il faut supposer soit que Sacerdos n’avait aucun ennemi ou que personne ne voulait le devenir, même s’il pouvait ainsi espérer gagner l’estime du censeur ; soit que ce parjure était inconnu de la grande majorité de la population et que personne ne pouvait remplir l’office d’accusateur. La première hypothèse nous semble bien peu probable puisque Sacerdos était un simple chevalier alors que Scipion dominait la vie politique romaine. Seule la méconnaissance du parjure pouvait empêcher d’accuser le chevalier. C’était déjà l’opinion d’E. Schmähling, qui refusait également de croire qu’à cette époque le parjure était considéré comme une faute insignifiante[6]. Peut-être même que le parjure concernait une affaire impliquant Scipion ce qui expliquerait alors son offre de témoignage[7]. Le recours à l’accusation d’un tiers, si Scipion était bien impliqué, servait aussi à proclamer l’impartialité de Scipion en prouvant qu’il n’agissait pas pour se venger[8].


Si la faute était ignorée du peuple romain, Sacerdos jouissait d’une réputation intacte jusqu’à ce que Scipion l’entache publiquement lors de la revue des chevaliers. Par conséquent, Scipion humilia publiquement Sacerdos en affirmant aux yeux de tous, en qualité de censeur, qu’il était coupable de parjure, le plaçant dans une situation d’ignominia, certes atténuée par l’absence de dégradation. De cette manière, il accomplissait en partie la fonction de censeur qui était d’avertir la communauté à l’encontre de citoyens suspects[9]. Toutefois, Scipion faisait preuve de modération car il ne voulait pas à la fois créer la mauvaise réputation et la sanctionner. Si Cicéron prétend qu’il n’y eut pas ignominia, c’est surtout parce qu’il n’y eut pas nota, pourtant l’humiliation de Sacerdos eut bel et bien lieu par la proclamation publique de l’opinion du censeur à son égard. La modération de Scipion surprend comparée à son attitude envers l’anonyme Pâtissier[10]. Les plaintes de Scipion envers son collègue jugé trop mou indiquent également que la modération n’était pas la qualité principale de cette censure, bien au contraire[11]. Irrité par les refus de sévir répétés de L. Mummius Achaicus, Scipion décida peut-être d’instaurer un véritable procès afin de lui arracher le blâme contre Sacerdos[12]. En cas d’échec de la manœuvre, ce qui arriva, il aurait néanmoins manifesté sa modération, renforçant l’autorité des dégradations qu’il avait déjà prononcées, et flétri Sacerdos par l’accusation portée en sa qualité de censeur.


C. Licinius Sacerdos put conserver son cheval malgré l’humiliation subie et nous n’entendons plus parler de lui ensuite. En revanche nous connaissons deux autres Licinius Sacerdos. Le premier, C. Licinius Sacerdos, sénateur vers 100, sans doute le premier de sa famille, était un concurrent du père de Cicéron, et pourrait être le fils de notre personnage[13]. Cicéron aurait pu apprendre cette anecdote par l’intermédiaire de son père qui l’avait peut-être utilisée dans sa compétition avec Sacerdos afin de rabaisser son adversaire. Le second est C. Licinius C. f. Sacerdos, préteur urbain en 75[14] et propréteur de Sicile en 74[15], qui est considéré comme le petit-fils de notre personnage[16]. L’action de Scipion aurait alors peut-être eu pour effet de ruiner la réputation de Sacerdos, l’empêchant de se lancer dans une carrière politique et reportant d’une génération les débuts politiques de la famille.






[1] MRR, 1, p. 474-475 et Suolahti 1963, p. 393-398.


[2] Cic., Cluent., 134 ; Val. Max., 4, 1, 10 ; Quint., Inst. Or., 5, 11, 13 ; Plut., Moralia, 200 E.


[3] Immédiatement avant le début de notre passage, Cicéron écrit exemplum summi et clarissimi uiri, P. Africani.


[4] Cf. Bur 2018, chapitre 3.1.2.


[5] Cf. Bur 2018, chapitre 3.


[6] Schmähling 1938, p. 90.


[7] Astin 1967, p. 120 n. 4 suppose d’ailleurs que le parjure pouvait avoir eu lieu au cours de la déclaration devant les censeurs ce qui pourrait être assimilé à une mauvaise conduite de vie. Cependant, dans ce cas, Scipion n’avait pas besoin de recourir à un accusateur extérieur puisque l’irrespect envers les censeurs suffisait à blâmer tout citoyen (cf. Gell., 4, 20, 1-11). Cf. notices du maître de Statius et de L. Nasica n° 57 et 76.


[8] Tatum 1990, p. 35.


[9] Cf. Bur 2018, chapitre 4.6.


[10] Cf. notice n° 61.


[11] Val. Max., 6, 4, 2 ; D.C., 22, 76, 1 ; Vir. Ill., 58, 9.


[12] La procédure du regimen morum dépendait entièrement des censeurs ainsi que nous l’avons vu dans Bur 2018, chapitre 3. Nous pouvons également constater la proximité de la procédure intentée par Scipion avec la dokimasia des archontes athéniens rapportée par Ar., Ath. Pol., 55, 2-4. Il s’agissait peut-être pour le censeur de revendiquer une influence grecque à une époque où le philhellénisme battait son plein.


[13] Wiseman 1971, p. 237, n° 225.


[14] Cic., Verr., 2, 1, 130.


[15] Cic., Verr., 2, 2, 214.


[16] F. Münzer, RE, 13/1, p. 458-459, n° 154 ; Hill 1932, p. 175 ; Nicolet 1966-1974, 1, p. 191 et 2, p. 924.

Bibliographie
Bibliographie

Astin 1967 : Astin A. E., Scipio Aemilianus, Oxford, 1967.


Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.


Hill 1932 : Hill H., « Sulla’s new senators in 81 B.C. », CQ, 1932, 26, p. 170-177.


Nicolet 1966-1974 : Nicolet C., L’Ordre équestre à l’époque républicaine (312-43 av. J.-C.), Paris, 1966-1974 (2 vol.).


Schmähling 1938 : Schmähling E., Die Sittenaufsicht der Censoren, Stuttgart, 1938.


Suolahti 1963 : Suolahti J., The Roman censors : a study on social structure, Helsinki, 1963.


Tatum 1990 : Tatum W. J., « The Lex Clodia de censoria notione », CPh, 1990, 85, p. 34-43.


Wiseman 1971 : Wiseman T. P., New Men in the Roman Senate, Londres, 1971.


Clément Bur, Infames Romani n°59, Albi, INU Champollion, Pool Corpus, 2018, mis à jour le