F. Münzer, RE, 13/1, 1926, col. 370, n° 88 s. v. Licinius ; P. Nadig, Neue Pauly, 7, 1999, col. 165, [I 21] ; Suolahti 1963, p. 428-429, n° 153 ; DPRR n° LICI1674.
Cic., Cluent., 119 : exempli causa ponam illud unum, C. Getam, cum a L. Metello et Cn. Domitio censoribus ex senatu eiectus esset, […] Quod si illud iudicium putaretur, ut ceteri turpi iudicio damnati in perpetuum omni honore ac dignitate priuantur, sic hominibus ignominia notatis neque ad honorem aditus neque in curiam reditus esset.
C. Geta, exclu du sénat par les censeurs L. Metellus et Cn. Domitius, fut lui-même plus tard élu censeur. […] Si on avait vu là un jugement, pareil à ceux qui frappés par une condamnation infamante sont à jamais privés de tout honneur et de toute charge, les hommes atteints d’ignominie n’auraient eu ni accès aux honneurs ni retour dans la curie (trad. P. Boyancé, CUF).
Val. Max., 2, 9, 9 : Secuntur duo eiusdem generis exempla, eaque adiecisse satis erit. <C.> Geta, cum a L. Metello et Cn. Domitio censoribus senatu motus esset, postea censor factus est. Item M. Valerius Messala censoria nota perstrictus censoriam postmodum potestatem impetrauit. Quorum ignominia uirtutem acuit : rubore enim eius excitati omnibus uiribus incubuerunt, ut digni ciuibus uiderentur, quibus dari potius quam obici censura deberet.
Suivent deux exemples du même genre et il suffira de les ajouter ici. C. Geta que les censeurs L. Metellus et Cn. Domitius avaient chassé du Sénat, devint pourtant censeur par la suite. De même M. Valerius Messala qu’une sanction des censeurs avait frappé accéda ensuite au pouvoir de la censure. Le déshonneur qu’ils en avaient subi accrut leur vigueur. Car la honte qu’ils en éprouvèrent les poussa à consacrer toutes leurs forces à montrer à leurs concitoyens qu’ils méritaient qu’on leur confiât la censure plutôt que de les exposer à ses appréciations (trad. R. Combès, CUF).
C. Licinius Geta ne nous est pas connu autrement qu’à travers ces deux textes le présentant comme un exemple de retournement total de situation. L’infâme devenant censeur aurait pu devenir un topos récurrent de la littérature moralisante et pourtant notre personnage est bien mal connu de même que l’autre exemple donné par Valère Maxime, M. Valerius Messala[1]. Puisqu’il est issu d’une gens illustre, J. Suolahti est persuadé qu’il appartenait à une stirps consulaire, ce qui est vraisemblable[2]. T. R. S. Broughton suppose qu’il géra la préture au plus tard en 119, au cours de laquelle il put avoir présidé le Sénat pour le vote d’un sénatus-consulte à propos des affaires asiatiques à la mort de Mithridate V[3]. En effet, Geta ne nous est formellement attesté que pour son consulat de 116 sur lequel nous ne savons rien[4]. Par conséquent, lorsqu’il fut exclu du Sénat par les censeurs de 115[5], L. Metellus Diadematus et Cn. Domitius Ahenobarbus[6], rien ne permet d’en déterminer le motif d’autant plus que ni Cicéron ni Valère Maxime ne nous donnent d’informations à ce sujet. J. Suolahti, comme à son habitude, pense qu’il fallait voir là des raisons avant tout politiques, mais cela reste une hypothèse, fondée certainement sur le grand nombre d’exclus du Sénat (trente-deux) pour cette censure[7] et le climat général de l’époque[8]. Cicéron emploie le verbe eicere pour désigner l’exclusion de Geta et Valère Maxime utilise un synonyme, mouere. Il s’agit donc bien d’une éviction d’un sénateur qui figurait sur l’album depuis au moins le dernier cens, ce qui est cohérent avec son consulat en 116[9].
L’humiliation fut d’autant plus durement ressentie par Geta qu’il venait d’atteindre le rang consulaire. Nos deux auteurs parlent ainsi d’ignominia, et elle fut même selon Valère Maxime ce qui poussa Geta à cultiver la uirtus. Geta aurait alors tout fait pour démontrer dans les années qui suivirent que les censeurs s’étaient trompés. Il fit si bien qu’il brigua la censure et fut élu pour 108[10]. Le renversement de la situation de Geta, privé de dignitas par les censeurs et propulsé ensuite par le peuple au sommet du cursus honorum, peut étonner, mais il faut garder à l’esprit que les responsables de l’humiliation et de l’honneur étaient bien distincts et que les circonstances étaient particulières. L’un des censeurs de 109, M. Livius Drusus, était mort en fonction en 108 ce qui avait contraint son collègue, M. Aemilius Scaurus à abdiquer[11]. Aussi les censeurs de 108 avaient-ils certainement une charge amoindrie car leurs prédécesseurs avaient eu presque une année entière pour mettre en œuvre certains travaux[12]. Le peuple, qui avait assisté à l’humiliation de certains chefs de file optimates avec la quaestio Mamilia l’année précédente, pouvait vouloir redonner sa dignité à celui qui affirmait depuis des années avoir été une victime de censeurs optimates. En outre la charge était peut-être avant tout honorifique, c’est-à-dire qu’elle ne visait seulement qu’à clôturer le lustre[13]. Enfin, les censeurs de 109 avaient pu réaliser la lectio senatus, qui était presque systématiquement la première tâche des censeurs, et avoir rappelé Geta au Sénat[14]. Ce retour en grâce aurait favorisé sa campagne pour la censure de 108. Toujours est-il qu’après ce dernier honneur, Geta disparaît de nouveau de nos sources. De plus aucun Licinius ne porte le cognomen Geta après lui ce qui rend presque impossible de déterminer, en l’absence de sources explicites, s’il eut des descendants et si l’un d’eux accomplit une carrière politique[15].
[1] Cf. notice n° 29.
[2] Suolahti 1963, p. 428.
[3] MRR, 1, p. 526 et 3, p. 120-121 d’après OGIS 436 – Sherk, RDGE n° 13 ; Drew-Bear 1972 qui situe la prise de ce sénatus-consulte à la préture plutôt qu’au consulat comme on le faisait auparavant.
[4] MRR, 1, p. 530 : Degrassi, Fast. Ant., p.162 (C. Licini [Ge]tha, ) ; Front., Aq., 2, 96.
[5] Cic., Cluent., 119 et Val. Max., 2, 9, 9.
[6] MRR, 1, p. 531-532 et Suolahti 1963, p. 417-420.
[7] Liv., Perioch., 62, 6.
[8] Suolahti 1963, p. 419.
[9] Cf. Bur 2018, chapitre 4.1.
[10] Cic., Cluent., 119 ; Val. Max., 2, 9, 9. Cf. MRR, 1, p. 548-549 et Suolahti 1963, p. 428-430.
[11] Plut., Moralia, 276 F ; cf. MRR, 1, p. 545 et Suolahti 1963, p. 420-426.
[12] La via Aemilia Scaura reliant Pise à Gênes fut construite, le pont Mulvius restauré : Strab., 5, 1, 11 ; Vir. Ill., 72, 8 ; CIL, 11, 6664 = ILS 5824.
[13] Cela expliquerait le peu d’informations dont on dispose sur cette censure. Cf. Bur 2018, chapitre 1.4.
[14] Brennan 1989, p. 481-482 n. 74.
[15] Suolahti 1963, p. 429.
Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.
Brennan 1989 : Brennan T. C., « C. Aurelius Cotta, praetor iterum (CIL, 1², 610) », Athenaeum, 1989, 67, p. 467-487.
Suolahti 1963 : Suolahti J., The Roman censors : a study on social structure, Helsinki, 1963.