Infames Romani

Licinius Denticulus ou Denticula [80]

Numéro
173
Identité
Catégorie
Procédures judiciaires
Sous catégorie
Condamnés dans un procès indéterminé
Date de l'épisode
-49
Références prosopographiques

F. Münzer, RE 13/1, 1926, col. 350 s. v. Licinius n° 80 ; DPRR n° LICI3795.

Attention ! La condamnation de alea eut lieu quelques années avant 49 av. J.C.

Source
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Cic., Phil. 2, 56 : Restituebat multos calamitosos : in eis patrui nulla mentio. Si seuerus, cur non in omnis ? si misericors, cur non in suos ? Sed omitto ceteros : Licinium Denticulus de alea condemnatum, conlusorem suum, restituit, quasi uero ludere cum condemnato non liceret, sed ut quod in alea perdiderat beneficio legis dissolueret. Quam attulisti rationem populo Romano cur eum restitui oporteret ? Absentem, credo, in reos relatum ; rem indicta causa iudicatam ; nullum fuisse de alea lege iudicium ; ui oppressum et armis ; postremo, quod de patruo tuo dicebatur, pecunia iudicium esse corruptum ? Nihil horum. At uir bonus et re publica dignus. Nihil id quidem ad rem ; ego tamen, quoniam condemnatum esse pro nihilo est, si ita esset, ignoscerem. Hominem omnium nequissimum qui non dubitaret uel in foro alea ludere, lege quae est de alea condemnatum qui in integrum restituit, is non apertissime studium suum ipse profitetur ?


Il rétablissait dans leurs droits nombre d’infortunés ; parmi eux, nulle mention de son oncle paternel ; s’il a été sévère, pourquoi pas envers tous ? s’il a été miséricordieux, pourquoi pas envers ses proches ? Mais, pour ne pas parler des autres, il a rétabli Licinius Denticulus, condamné comme joueur et son compagnon de jeu ; comme si vraiment il ne lui était pas permis de jouer avec un condamné, mais en réalité parce qu’il voulait, au moyen de la loi, se libérer de ce qu’il avait perdu au jeu. Quelle raison as-tu fournie au peuple romain, pour justifier la réhabilitation de cet individu ? Tu as fait valoir, j’imagine, qu’il avait été accusé en son absence, que la cause avait été jugée sans avoir été plaidée, qu’il n’y avait pas eu de jugement en vertu d’une loi concernant les jeux de hasard, qu’il avait été victime de la violence armée, enfin, comme on le disait au sujet de ton oncle, que le tribunal avait été corrompu à prix d’argent. Rien de toute cela ! Mais “c’était un homme de bien, un digne citoyen”. Cela n’a vraiment rien à voir avec l’affaire. Et moi, pourtant, puisqu’une condamnation ne compte pas, dans ces circonstances, je t’excuserais. Mais c’était un homme pervers, qui n’avait nul scrupule à jouer jusqu’en plein Forum, qui a été condamné légalement comme joueur, et celui qui l’a rétabli dans ses droits n’avoue-t-il pas de la façon la plus évidente sa passion du jeu ? (Trad. A. Boulanger et P. Wuilleumier, CUF).


 


D.C. 45, 47, 3-4 : ἀλλὰ τὸν μὲν συγκυβευτὴν τὸν Λεντίκουλον τὸν ἐπὶ τῇ τοῦ βίου ῥᾳδιουργίᾳ φυγόντα ἐπανήγαγε


et a fait revenir Lenticulus, son compagnon de jeu, cet homme qui avait été exilé pour l’indécence de son mode de vie ? (trad. V. Fromentin et E. Bertrand, CUF).

Notice
Notice

Licinius Denticulus (ou Denticula) était un ami d’Antoine, plus précisément son conlusor, c’est-à-dire son compagnon de jeu. À cause de cette passion, il fut condamné dans une procédure pénale (lege quae est de alea condemnatum écrit Cicéron, ce qui exclut une sanction censoriale), peut-être devant une quaestio instituée par une hypothétique loi Cornelia signalée par le Digeste[1]. Denticulus faisait partie des personnages réhabilités (restituti) par Antoine en 49 parmi lesquels figuraient de nombreux exilés, notamment ceux condamnés par les tribunaux pompéiens. Dion Cassius, dans son résumé très proche du texte cicéronien, le désigne explicitement comme un exilé[2]. Aussi a-t-on envisagé que la peine prévue par la loi sur l’alea d’après laquelle Denticulus fut jugé prescrivait le bannissement[3]. Cependant, une remarque de Cicéron contredit une telle peine : quasi uero ludere cum condemnato non liceret. Or comment jouer avec un exilé[4] ? Comme le terme restituere peut signifier le rappel d’exil ou le rétablissement des droits civiques, il est possible que Denticulus fût en réalité condamné à une amende et subît des conséquences infamantes prescrites par la loi (exclusion du Sénat et des magistratures et éventuellement d’autres dispositions comparables à celles que nous retrouvons dans les autres lois pénales)[5]. Dans ce cas, il faudrait conclure à une confusion de Dion Cassius, favorisée par un contexte trouble et un verbe imprécis.


Nous ne savons rien d’autre de ce personnage, rien n’indique qu’il fut sénateur ni même engagé dans une quelconque carrière, quoiqu’il fût assurément issu de l’aristocratie romaine et sans doute chevalier, sans quoi les poursuites pénales n’auraient guère de sens. Nous ne lui connaissons aucun parent.






[1] Marcien D. 11.5.3. Kuryłowicz 1985, p. 201 ; Rivière 1997, p. 618 ; Ménard 2018, p. 89.


[2] Dio. Cass. 45, 47, 4.


[3] Mommsen 1907, p. 189 n. 6 ; F. Münzer, RE 13/1, 1926, col. 350 s. v. Licinius n° 80 ; Rivière 1997, p. 617‑618 et Ménard 2018, p. 90.


[4] Kuryłowicz 1985, p. 201-202 suivi par Elster 2003, p. 252.


[5] En ce sens Kuryłowicz 1985, p. 202 qui met en avant la réprobation contre le jeu qu’on constate à travers l’exclusion du Sénat par les censeurs de Q. Curius, joueur notoire (notice n° 23) et divers témoignages littéraires (Cic., Off. 1, 104 ; Juv. 11, 176 ; Suet., Claud. 5). Contra C. Schönardt, Ueber die Bestrafung des Gluckspiels ins alteren Rom. Recht, Stuttgart, 1885, dont je n’ai pu prendre connaissance que d’après le compte-rendu de H. H. Pernice, dans ZRG, 1886, 7, p. 148.

Bibliographie
Bibliographie

Elster 2003 : Elster M., Die Gesetze der mittleren römischen Republik, Darmstadt, 2003.


Kuryłowicz 1985 : Kuryłowicz M., « Das Glucksspiel im romischen Recht », ZRG, 1985, 102, p. 185‑219.


Ménard 2018 : Ménard H., « Perdre au jeu dans la Rome antique : du déshonneur à la mort », dans Illouz C. et Prétou P. (éd.), Heur et malheur du joueur. Études sur la violence et le jeu, Rennes, 2018, p. 77-98.


Mommsen 1907 : Mommsen T., Le Droit pénal romain, Paris, 1907 (3 vol.).


Rivière 1997 : Rivière Y, Les quadruplatores : la répression du jeu, de l’usure et de quelques autres délits sous la République romaine, MEFRA, 1997, 109, p. 577-631.


Clément Bur, Infames Romani n°173, Albi, INU Champollion, Pool Corpus, 2018, mis à jour le