Infames Romani

Faustus Cornelius F. f. Sulla Felix [391]

Numéro
126
Identité
Catégorie
Auto-épuration du Sénat
Sous catégorie
-
Date de l'épisode
62
Références prosopographiques

E. Groag, RE, 4/1, 1900, col. 1522, n° 391 s. v. Cornelius et PIR², 2, Berlin, 1936, p. 363‑364, C 1464 ; W. Eck, Neue Pauly, 3, 1997, col. 197, [II 60] ; Rüpke 2005, 2, p. 926, n° 1387.

Source
Source

Tac., Ann., 14, 59, 4 : Sed ad senatum litteras misit de caede Sullae Plautique haud confessus, uerum utriusque turbidum ingenium esse et sibi incolumitatem rei publicae magna cura haberi. Decretae eo nomine supplicationes utque Sulla et Plautus senatu mouerentur, grauioribus iam ludibriis quam malis.


Cependant il envoya un message au Sénat, où, sans rien avouer du meurtre de Sulla et de Plautus, il reprochait à l’un et à l’autre leur esprit séditieux et déclarait veiller avec grand soin au salut de l’État. On décréta, à ce titre des supplications, et on décida d’exclure Sulla et Plautus du Sénat – par une dérision encore plus accablante que leurs malheurs (trad. P. Wuilleumier, CUF).

Notice
Notice

Né en 20[1], Faustus Cornelius Sulla Felix est un descendant de Sylla, mais surtout le demi-frère de Messaline et donc le beau-frère de Claude. Fils du consul de 31, Sulla est qualifié de nobilissimus iuuenis par Suétone et fut honoré de façon exceptionnelle par l’empereur. Frère arvale au moins depuis 46[2], il épousa l’année suivante Antonia, fille de Claude[3]. Enfin, il fut choisi comme consul ordinaire pour l’année 52, avant l’âge légal[4]. Cependant, avec l’avènement de Néron, Sulla devint suspect en raison de ses liens trop étroits avec la famille julio-claudienne[5]. Dès 55, un délateur dénonça un prétendu complot ourdi par Pallas et Burrus pour mettre Sulla au pouvoir[6]. Si l’accusation fut déboutée et le délateur exilé, cela démontrait néanmoins que Sulla était un rival sérieux du jeune Néron. Bien qu’il ne semblât pas avoir été très actif politiquement, il inquiétait le Prince qui, en 58, finit par l’exiler à Marseille sous prétexte qu’il aurait cherché à organiser un attentat contre lui[7]. Malgré l’éloignement de ce concurrent potentiel au pouvoir impérial, les craintes de Néron persistèrent. Aussi prêta-t-il une oreille attentive lorsque, en 62, Tigellin suggéra que Sulla fomentait une rébellion depuis Marseille en s’appuyant sur les armées de Germanie et en lien avec Rubellius Plautus en Asie[8]. Des sicaires furent aussitôt dépêchés et la tête de Sulla fut apportée à Néron peu après[9]. L’épisode qui nous intéresse se situe à ce moment.


Alors que le Sénat semblait encore ignorer le meurtre de Sulla et de Plautus, Néron envoya à la curie des lettres dénonçant les attitudes séditieuses des deux exilés auxquelles les sénateurs répondirent en votant l’exclusion du Sénat de Sulla en plus de supplications[10]. Les mots employés par Tacite ne laissent aucun doute : senatu mouere[11]. Toutefois plusieurs questions se posent. Tout d’abord Sulla était-il toujours sénateur malgré son exil ? Si nous revenons au passage de Tacite relatant les faits de 58[12], nous apprenons que Sulla avait été quasi conuictus, donc il n’avait apparemment pas fait l’objet de poursuites officielles. Surtout on lui avait ordonné de cedere patria et Massiliensium moenibus coerceri[13]. Il s’agit là d’un ordre du Prince, non d’une condamnation, et E. Cizek parle à juste titre d’un « exil camouflé »[14]. Seulement éloigné de Rome par la volonté du Prince, Sulla n’avait perdu aucun de ses honneurs et était toujours sénateur en 62 bien qu’il ne siégeât plus au Sénat depuis quatre ans. En ce qui concerne la procédure, le récit de Tacite laisse entendre que ce furent les sénateurs qui, de leur propre chef, décidèrent d’exclure Sulla[15]. Nous sommes donc en présence d’un vote d’exclusion du Sénat envers un de ses membres, procédure qui se développa à partir de la fin de la République[16]. Enfin le motif est également indiqué par Tacite : le comportement séditieux de Sulla dénoncé par les lettres de Néron. Les sénateurs radièrent de leur ordre un personnage déclaré hostile à la res publica car hostile à son défenseur, le Prince. Bien que l’élimination de Sulla et de Plautus visât vraisemblablement à intimider l’opposition sénatoriale[17], les soupçons envers les deux exilés pouvaient être fondés ou, du moins, crédibles[18].


Il nous reste maintenant à déterminer si le vote eut lieu avant ou après l’annonce officielle de la mort de Sulla et Plautus. Les mots de Tacite sont obscurs : de caede…haud confessus. Veut-il dire que Néron n’avoua pas sa responsabilité dans la mort des deux personnages, préférant obtenir d’abord leur condamnation par le Sénat ou bien qu’il ne reconnut pas que leur mort avait eu lieu ? Le récit du meurtre de Plautus permet de supposer que les sénateurs étaient au courant de la mort des deux hommes, et un tel acharnement à vouloir déshonorer certains personnages même après leur mort ne serait pas un cas isolé[19]. Le Sénat aurait ainsi voulu confirmer la décision de Néron en adoptant la seule sanction qui était encore en leur pouvoir : supprimer l’honneur d’avoir appartenu à l’ordre sénatorial. Cependant si les patres avaient débattu de l’exclusion du Sénat de deux personnages déjà exécutés, il est fort probable que Tacite aurait été encore plus amer[20]. L’impression qui se dégage de ce passage est plutôt celle d’une comédie au cours de laquelle les sénateurs votent l’exclusion de deux membres qu’ils feignent de croire vivants. Néron entendait de la sorte s’assurer le soutien en quelque sorte rétroactif du Sénat pour une mesure qu’il avait déjà prise tout en faisant passer un message clair aux opposants.


En conclusion, Sulla, qui était aux yeux de Néron un rival dangereux, fut exécuté dans le plus grand secret à Marseille, et les sénateurs, jouant la comédie de l’ignorance, votèrent son exclusion du Sénat, et donc de l’ordo[21], sous prétexte qu’il menaçait la res publica et était de ce fait indigne d’appartenir à l’ordre chargé de la servir. Nous n’avons aucune information sur d’éventuels enfants ou petits-enfants de Sulla.






[1] Rüpke 2005, 2, p. 926, n° 1387.


[2] Rüpke 2005, 1, p. 206.


[3] Suet., Claud., 27, 4 et Tac., Ann., 13, 23, 1.


[4] Degrassi 1952, p. 14, n° 805.


[5] Carcopino 1949, p. 266-267 ; McAlindon 1956, p. 124 ; Cizek 1982, p. 55-56 ; Griffin 2002 [1984], p. 113.


[6] Tac., Ann., 13, 23.


[7] Tac., Ann., 13, 47. Tacite dément l’accusation notamment en dressant un portrait peu flatteur du jeune homme : maximeque despecta et nullius aussi capax natura eius.


[8] Tac., Ann., 14, 57, 1. Cf. notice n° 127.


[9] Tac., Ann., 14, 57, 4 – 58, 1.


[10] Tac., Ann., 14, 59, 4.


[11] Cf. Bur 2018, chapitre 4.1.


[12] Tac., Ann., 13, 47, 3.


[13] Tac., Ann., 13, 47, 3. De même, ailleurs, Tacite (Ann., 14, 57, 1) le désigne comme in Galliam Narbonensem nuper amot[us].


[14] Cizek 1982, p. 56. Il en est de même pour Rubellius Plautus, cf. notice suivante n° 127.


[15] Tacite parle d’abord de decretae (Tac., Ann., 14, 59, 4), puis de patrum consultus (14, 60, 1). Cf. Talbert 1984, p. 27.


[16] Cf. Bur 2018, chapitre 8.


[17] Cizek 1972, p. 148.


[18] Cizek 1972, p. 148 n. 5.


[19] Par exemple Vibullius Agrippa, chevalier romain, bien qu’il se fût suicidé en plein procès, fut emmené en prison et étranglé par le bourreau (Tac., Ann., 6, 40, 1). De même, toujours sous Tibère, l’épisode de la répression contre les partisans de Séjan (Suet., Tib., 61, 12-13).


[20] Et cela d’autant plus qu’il s’agirait, à notre connaissance, d’un hapax.


[21] Mommsen 1889-1896, 6/1, p. 60. Cf. Bur 2018, chapitre 6.3.

Bibliographie
Bibliographie

Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.


Carcopino 1949 : Carcopino J., « Note sur une inscription de mosaïque trouvée à Glanum », CRAI, 1949, p. 264-270.


Cizek 1972 : Cizek E., L’époque de Néron et ses controverses idéologiques, Leyde, 1972.


Cizek 1982 : Cizek E., Néron, Paris, 1982.


Degrassi 1952 : Degrassi A., I Fasti consolari dell’impero romano dal 30 avanti Cristo al 613 dopo Cristo, Rome, 1952.


Griffin 2002 [1984] : Griffin M. T., Néron ou la fin d’une dynastie, Paris, 2002 (traduit de l’anglais par D’Hautcourt A., 1984).


McAlindon 1956 : McAlindon D., « Senatorial opposition to Claudius and Nero », AJPh, 1956, 77/2, p. 113‑132.


Mommsen 1889-1896 : Mommsen T., Le Droit public romain, Paris, 1889-1896 (8 vol.).


Rüpke 2005 : Rüpke J., Fasti Sacerdotum : die Mitglieder der Priesterschaften und das sakrale Funktionspersonal römischer, griechischer, orientalischer und jüdisch-christlicher Kulte in der Stadt Rom von 300 v. Chr. bis 499 n. Chr., Wiesbaden, 2005 (3 vol.).


Talbert 1984 : Talbert R. J. A., Senate of Imperial Rome, Princeton, 1984.


Clément Bur, Infames Romani n°126, Albi, INU Champollion, Pool Corpus, 2018, mis à jour le