F. Münzer, RE, 2A/2, 1923, col. 1783-1786, n° 49 s. v. Servilius ; K.-L. Elvers, Neue Pauly, 11, 2001, col. 464-465, [I 12] ; Rosenstein 1990, p. 200, n° 81 ; Shatzman 1975, p. 285-286, n° 74 ; Rüpke 2005, 2, p. 1280, n° 3057 ; DPRR n° SERV1629.
ad Heren., 1, 24 : Purgatio est cum consulto negat se reus fecisse. Ea diuiditur in inprudentiam, fortunam, necessitatem : fortunam, ut Caepio ad tribunum plebis de exercitus amissione.
L’excuse consiste pour l’accusé à dire qu’il n’a pas agi intentionnellement. Elle se subdivise en ignorance, hasard malheureux et force majeure. En hasard malheureux, comme lorsque Caepio s’est défendu devant un tribun de la plèbe après avoir perdu son armée (trad. G. Achard, CUF).
Cic., Balb., 28 : Neque solum dicatione, quod in calamitate clarissimis uiris [...] Q. Caepioni, P. Rutilio Zmyrnae uidimus accidisse, ut earum ciuitatum fierent ciues, <cum> hanc ante amittere non potuissent quam hoc solum ciuitatis mutatione uertissent, sed etiam postliminio potest ciuitatis fieri mutatio.
Ainsi d’éminentes personnalités, lors de leur disgrâce, […] Q. Caepio, P. Rutilius de Smyrne, et ce ne fut pas seulement par une déclaration solennelle qu’ils devinrent citoyens de ces cités, puisqu’ils ne pouvaient perdre leur qualité de Romains avant d’avoir émigré d’ici et changé de résidence ; bien plus, le changement peut se faire aussi par retour à la cité d’origine (trad. J. Cousin, CUF).
Cic., Brut., 135 : Nam flamen Albinus etiam in numero est habitus disertorum ; Q. etiam Caepio, uir acer et fortis, quoi fortuna belli crimini, inuidia populi calamitati fuit.
Quant à Albinus le flamine, il comptait au nombre des gens sachant parler, ainsi que Q. Caepio, homme d’énergie et de courage, dont le hasard malheureux d’une guerre fit un accusé et la haine du peuple un coupable (trad. J. Martha, CUF).
Cic., Part. Or., 104-105 : « Minueritne maiestatem Norbanus » ? […] » Non minuit maiestatem, quod egit de Caepione turbulentius ; populi enim dolor iustus non tribuni actio ; maiestas autem, quoniam est magnitudo quaedam populi Romani, in eius potestate ac iure retinendo, aucta potius est quam deminuta » […] exsistet illa disceptatio « Minueritne maiestatem, qui uoluntate populi Romani rem gratam et aequam per uim egerit ? »
Norbanus a-t-il attenté à la majesté [du peuple Romain] ? […] La majesté du peuple Romain n’a pas été lésée [par Norbanus], parce que sa conduite à l’égard de Caepio a été trop violente ; ce qui a provoqué ce mouvement, c’est le juste ressentiment du peuple et non le discours du tribun ; or la majesté, qui, en somme, n’est autre chose que la grandeur du peuple Romain et qui consiste à maintenir sa puissance légitime et ses droits, a été augmentée plutôt que diminuée. […] On arrivera ainsi au point à trancher : lèse-t-on la majesté du peuple Romain pour avoir fait, conformément à la volonté du peuple Romain, mais par violence, une chose agréable [au peuple] et équitable ? (Trad. H. Bornecque, CUF).
Liv., Perioch., 67, 2-3 : Ab isdem hostibus Cn. Manlius cos. et Q. Seruilius Caepio procos. Victi proelio castris quoque binis exuti sunt, militum milia LXXX occisa, calonum et lixarum XL secundum A<ntiatem apud> Arausionem. Caepionis, cuius temeritate clades accepta erat, damnati bona publicata sunt primi post regem Tarquinium imperiumque ei abrogatum.
Battu dans une rencontre avec les mêmes ennemis [Cimbres], le consul Cn. Manlius et le proconsul Q. Servilius Caepio furent aussi dépouillés chacun de leur camp et perdirent, selon Antias, 80 000 soldats et 40 000 valets d’armes et vivandiers près d’Orange. Caepio, par la témérité duquel la défaite avait eu lieu, fut condamné, vit ses biens confisqués, pour la première fois depuis le roi Tarquin, et son imperium abrogé (trad. P. Jal, CUF).
Strab., 4, 1, 13 = 188 C : καὶ τοὺς Τεκτόσαγας δέ φασι μετασχεῖν τῆς ἐπὶ Δελφοὺς στρατείας, τούς τε θησαυροὺς τοὺς εὑρεθέντας παρ’ αὐτοῖς ὑπὸ Καιπίωνος τοῦ στρατηγοῦ τῶν Ῥωμαίων ἐν πόλει Τολώσσῃ τῶν ἐκεῖθεν χρημάτων μέρος εἶναί φασι, προσθεῖναι δὲ τοὺς ἀνθρώπους καὶ ἐκ τῶν ἰδίων οἴκων ἀνιεροῦντας καὶ ἐξιλασκομένους τὸν θεόν· προσαψάμενον δ’ αὐτῶν τὸν Καιπίωνα διὰ τοῦτο ἐν δυστυχήμασι καταστρέψαι τὸν βίον, ὡς ἱερόσυλον ἐκβληθέντα ὑπὸ τῆς πατρίδος, διαδόχους δ’ ἀπολιπόντα παῖδας, ἃς συνέβη καταπορνευθείσας, ὡς εἴρηκε Τιμαγένης, αἰσχρῶς ἀπολέσθαι. Πιθανώτερος δ’ ἐστὶν ὁ Ποσειδωνίου λόγος· τὰ μὲν γὰρ εὑρεθέντα ἐν τῇ Τολώσσῃ χρήματα μυρίων που καὶ πεντακισχιλίων ταλάντων γενέσθαι φησί, τὰ μὲν ἐν σηκοῖς ἀποκείμενα τὰ δ’ ἐν λίμναις ἱεραῖς, οὐδεμίαν κατασκευὴν ἔχοντα, ἀλλ’ ἀργὸν χρυσίον καὶ ἄργυρον.
En ce qui concerne les Tectosages, on assure qu’ils participèrent à l’expédition de Delphes et que les trésors sacrés trouvés chez eux dans la ville de Toulouse par le général romain Caepio provenaient des richesses rapportées de là-bas, mais augmentées cependant des offrandes privées faites par les habitants de cette ville pour consacrer au dieu ces dépouilles et solliciter sa miséricorde. Pour y avoir touché, Caepio devait finir misérablement sa vie, à ce qu’on dit : il fut exilé pour sacrilège par sa patrie et les deux filles qu’il laissait après sa mort, après avoir été livrées à la prostitution, comme le rapporte Timagène, moururent dans l’ignominie. Le récit de Posidonius est pourtant plus probant : les richesses trouvées à Toulouse atteignaient une valeur d’environ 15 000 talents et consistaient non pas en objets façonnés, mais uniquement en lingots d’or et d’argent brut, déposés en partie dans des sanctuaires, en partie dans des lacs sacrés (trad. F. Lasserre, CUF).
Val. Max., 4, 7, 3 : Tribunus enim plebis Caepionem in carcerem coniectum, quod illius culpa exercitus noster a Cimbris et Teutonis uidebatur deletus, ueteris artaeque amicitiae memor publica custodia liberauit nec hactenus amicum egisse contentus etiam fugae eius comes accessit. Pro magnum et inexuperabile tuum numen, amicitia ! Cum ex altera parte res publica manum iniceret, ex altera tua illum dextera traheret, et illa ut sacrosanctus esse uellet exigeret, tu exilium indiceres – adeo blando uteris imperio – supplicium honori praetulit.
En effet il [Lucius Rheginus] était tribun de la plèbe quand Caepio fut jeté en prison pour la responsabilité qu’on lui attribuait dans l’anéantissement de nos troupes par les Cimbres et les Teutons : se rappelant l’amitié qui le liait depuis longtemps et de très près à lui, Rheginus le libéra de la prison où l’État le tenait et, non content d’avoir mené jusque là son rôle d’ami, il se joignit à lui pour l’accompagner dans sa fuite. Quelle puissance, impossible à repousser, tu possèdes, amitié ! D’un côté l’État jetait sa main sur lui, de l’autre tu l’entraînais de ta main, l’un exigeant qu’il se sentît pourvu d’une puissance sacro-sainte, et toi lui prescrivant l’exil : – tant ont de charme les ordres que tu donnes –, il a préféré une condamnation à la charge qu’il remplissait (trad. R. Combès, CUF).
Val. Max., 6, 9, 13 : Crassum casus acerbitate Q. Caepio praecucurrit : is namque, praeturae splendore, triumphi claritate, consulatus decore, maximi pontificis sacerdotio ut senatus patronus diceretur adsecutus, in publicis uinculis spiritum deposuit, corpusque eius funesti<s> carnificis manibus laceratum in scalis Gemoniis iacens magno cum horrore totius fori Romani conspectum est.
Mais par rapport à Cassius, en fait de cruauté du destin, Q. Caepio est arrivé bien plus loin. Car l’éclat de sa préture, la splendeur de son triomphe, la gloire de son consulat, la charge sacrée de grand pontife, lui ont valu d’être appelé le protecteur du Sénat, et il était en prison quand il a expiré, et son cadavre, déchiré de la main d’un bourreau sinistre, est resté gisant sur l’escalier des Gémonies, inspirant une horreur profonde à tous ceux qui se trouvaient sur le forum, d’où on l’apercevait (trad. R. Combès, CUF).
Val. Max., 8, 5, 2 : M. etiam Aemilius Scaurus, princeps senatus, C. Memmium repetundarum reum destricto testimonio insecutus est, item C. Flauium eadem lege accusatum testis proscidit : iam C. Norbanum maiestatis crimine publicae quaestioni subiectum ex professo opprimere conatus est. Nec tamen aut auctoritate, qua plurimum pollebat, aut religione, de qua nemo dubitabat, quemquam eorum adfligere potuit.
M. Aemilius Scaurus, prince du Sénat, poursuivit aussi C. Memmius accusé de repetundis par un témoignage mordant, de même comme témoin il diffama C. Flavius qui avait été accusé par la même loi : déjà il tenta ouvertement d’accabler C. Norbanus jeté devant une quaestio publica pour crime de maiestas. Et cependant il ne put abattre aucun de ceux-ci ni par son autorité, qui était très puissante, ni par sa probité, de laquelle personne ne doutait.
Ascon., p. 78 C : L. Cassius L. f. Longinus tribunus plebis C. Mario C. Flauio coss. plures leges ad minuendam nobilitatis potentiam tulit, in quibus hanc etiam ut quem populus damnasset cuiue imperium abrogasset in senatu ne esset. Tulerat autem eam maxime propter simultates cum Q. Seruilio qui ante biennium consul fuerat et cui populus, quia male aduersus Cimbros rem gesserat, imperium abrogauit.
L. Cassius L. f. Longinus tribun de la plèbe sous le consulat de C. Marius et de C. Flavius porta plusieurs lois destinées à diminuer le pouvoir de la noblesse ; l’une d’elles interdisait que fît partie du sénat celui que le peuple aurait condamné, ou dont il aurait abrogé le commandement. Il l’avait proposée avant tout par hostilité contre Q. Servilius, consul deux ans auparavant, et dont le peuple avait abrogé le commandement à cause de sa mauvaise campagne contre les Cimbres (trad. Ferrary 1979, p. 96).
Gell., 3, 9, 7 : Eadem sententia est illius quoque ueteris prouerbii, quod ita dictum accepimus : « Aurum Tolosanum ». Nam cum oppidum Tolosanum in terra Gallia Quintus Caepio consul diripuisset multumque auri in eius oppidi templis fuisset, quisquis ex ea direptione aurum attigit misero cruciabilique exitu periit.
C’est aussi le sens du vieux proverbe que nous avons entendu en ces termes : « L’or de Toulouse ». Comme le consul Quintus Caepio avait pillé la ville de Toulouse dans le pays gaulois, et comme il y avait beaucoup d’or dans les temples de cette ville, tous ceux qui touchèrent à l’or provenant de ce pillage, périrent d’une mort pitoyable et cruelle (trad. R. Marache, CUF).
Justin, 32, 3, 9-11 : Tectosagi autem, cum in antiquam patriam Tolosam uenissent conprehensique pestifera lue essent, non prius sanitatem recuperauere quam aruspicum responsis moniti aurum argentumque bellis sacrilegiisque quaesitum in Tolosensem lacum mergerent, quod omne magno post tempore Caepio, Romanus consul, abstulit. Fuere autem argenti pondo centum decem milia, auri pondo quinquies decies centum milia. Quod sacrilegium causa excidii Caepioni exercituique eius postea fuit. Romanos quoque Cimbrici belli tumultus uelut ultor sacrae pecuniae insecutus est.
Quant aux Tectosages, arrivés à Tolosa, leur ancienne patrie, ils avaient été atteints par le fléau de la peste : ils ne recouvrèrent pas la santé avant d’avoir, sur consultation des haruspices, immergé dans le lac de Tolosa l’or et l’argent acquis par les guerres et les sacrilèges, un trésor que, bien longtemps après, le consul romain Caepio enleva tout entier. Il y avait cent dix mille livres d’argent et un million et demi de livres d’or. Ce sacrilège causa par la suite la perte de Caepio et de son armée et le tumulte de la guerre des Cimbres suivit, comme le vengeur de l’argent consacré (trad. M.-P. Lindet, CUF).
Vir. Ill., 73, 5 : et aurum dolo an scelere Caepionis partum ad emptionem agrorum conuertit.
et il [Saturninus] fit affecter à l’achat de terres l’or tolosan obtenu de manière scélérate par Caepio (trad. P.‑M. Martin, CUF).
Oros., Hist., 5, 15, 25 : Caepio proconsule capta urbe Gallorum, cui nomen est Tolosa, centum milia ponderis auri et argenti centum dece milia e templo Apollinis sustulit. Quod cum ad Massiliam, amicam populo Romano urbem, cum praesidiis misisset, interfectis clam – sicut quidam contestantur – quibus ea custodienda et peruehenda commiserat, cuncta per scelus furatus fuisse narratur. Vnde etiam magna quaestio post Romae acta est.
Le proconsul Caepio, ayant pris une ville des Gaulois, nommée Tolosa, enleva du temple d’Apollon cent mille livres d’or et cent dix mille d’argent. Comme il avait envoyé le trésor avec une escorte à Marseille, ville amie du peuple romain, ceux à qui il l’avait confié à garder et à convoyer ayant été tués en secret – comme certains l’attestent – on dit qu’il vola le tout criminellement. Il s’ensuivit également un grand procès à Rome (trad. M.-P. Arnaud-Lindet, CUF).
Gran. Licin., 13 F = 33, 24 Criniti : {Cn. Mallius ob eandem causam quam et C<a>epio L. Saturnini rogatione e ciuitate ple<bis>cito eiectus.}
Cn. Mallius fut exclu de la cité pour la même raison que Caepio, par un plébiscite sur la proposition de L. Saturninus.
Q. Servilius Caepio est le fils de Q. Servilius Caepio, le consul de 140[1], et d’après les déductions de G. V. Sumner il serait né vers 152[2]. De 129 à 126 il est légat en Asie sous M’. Aquillius[3]. Préteur en 109, il obtient comme province l’Espagne Ultérieure, prorogé en 108, il vainc les Lusitaniens et célèbre un triomphe sur eux en 107[4]. De retour à Rome, il serait devenu grand pontife en 107 au plus tôt[5]. Consul en 106, il s’affirme à cette occasion comme un des chefs de file des optimates en faisant voter une loi qui soit redonnait intégralement aux sénateurs les jurys de la quaestio de repetundis soit les partageait avec les chevaliers[6]. Sa carrière, jusque-là brillante et au service de la noblesse dont il est un des meilleurs représentants, explique que Valère Maxime le désigne comme senatus patronus, c’est-à-dire comme jouissant d’une grande influence sur le Sénat[7]. Le sort lui octroya la Gaule Narbonnaise, et, après être parti pour sa province, il prit Toulouse et s’empara de l’or sacré que la légende faisait provenir du pillage de Delphes par les Celtes en 270. Il fit transporter cet or jusqu’à Marseille pour l’envoyer à Rome, mais le trésor n’y parvint jamais, ce qui éveilla certains soupçons[8]. Néanmoins l’année suivante il est prorogé et doit aider le consul de 105, Cn. Mallius, contre les Cimbres et les Teutons qui menaçaient l’Italie. Refusant d’obéir à un homo nouus et de coopérer avec un adversaire politique[9], Caepio sembla en grande partie responsable du désastre d’Orange, le 6 octobre 105, qui coûta la vie à des milliers de légionnaires[10].
Immédiatement rappelé à Rome, le peuple abrogea son imperium[11], selon J.-L. Ferrary, sur une rogatio du tribun C. Norbanus[12]. Ce serait à cette occasion que les tribuns T. Didius et L. Aurelius Cotta, dévoués aux optimates et aux Metelli[13], tentèrent en vain d’opposer leur intercessio car Norbanus eut recours à la violence, ce qui lui valut un procès de maiestate une dizaine d’années plus tard, vers 95[14]. L’année suivante, en 104, le tribun de la plèbe L. Cassius Longinus fit voter une loi qui provoquait l’exclusion du Sénat de ceux dont l’imperium aurait été abrogé ou condamné à une amende par le peuple[15]. Cette loi aurait été selon Asconius, notre unique source, dirigée contre Caepio qui en fut la première victime[16]. En effet, Longinus était un rival des Metelli et de manière générale des optimates, faction à laquelle appartenait Caepio[17]. En 104 Caepio fut exclu du Sénat en vertu de la nouvelle loi, mais ses ennuis ne s’arrêtèrent pas là.
Après ce premier coup, l’histoire de l’or de Toulouse revint dans les esprits et on intenta à Caepio, par effet d’aubaine et/ou par inimitié, un procès à ce propos devant une quaestio extraordinaria auri Tolosani[18]. J. Lengle a bien montré que ce premier procès se situait peu après la lex Cassia de 104 et qu’il n’était pas capital[19]. Un fragment de Dion Cassius[20] nous apprend que cette procédure ne visait pas uniquement Caepio même si nous pouvons supposer qu’après les déboires récents et surtout le désastre d’Orange, le peuple était prêt à le soupçonner d’avoir détourné l’or[21]. Nous ne savons pas quelle fut l’issue du procès, soit un acquittement soit une condamnation à une amende selon J. Lengle[22].
Caepio apparaissait désormais comme une cible facile pour de jeunes populares ambitieux tels que L. Appuleius Saturninus[23]. Tribun de la plèbe en 103, il le convoqua devant les comices pour perduellio à cause de la défaite d’Orange[24]. Caepio se défendit en prétextant la fortuna belli[25], mais il ne put échapper à la condamnation sans doute en raison de la haine du peuple à son égard[26]. Il est également possible que sa conduite contraire à l’ethos aristocratique lors de la bataille, puisqu’il prit la fuite alors que ses soldats tombaient pour Rome, joua contre lui et empêcha les optimates de le défendre efficacement[27]. Les comices prononcèrent vraisemblablement une peine de mort qui devait être appliquée puisque Caepio fut emprisonné[28]. Cependant il put y échapper grâce à l’aide d’un ami tribun, L. Antistius Rheginus, qui l’accompagna jusque dans son exil à Smyrne[29]. Cet exil fut confirmé ensuite par ce qui semble bien être une interdictio aquae et igni[30]. À cette occasion ses biens furent peut-être également confisqués[31]. Enfin son exclusion de la cité lui fit naturellement perdre sa charge de grand pontife et il fut remplacé par Cn. Domitius Ahenobarbus en cette même année 103[32].
Caepio finit très probablement sa vie en exil à Smyrne, privé de sa dignitas. La fin misérable de Caepio donna une certaine consistance à la légende de l’or de Toulouse[33]. Celle‑ci fut sans doute transmise par les milieux optimates en accord avec la défense de Caepio, qui s’appuyait sur la fortuna belli, d’autant plus qu’elle permettait d’épargner son capital symbolique et de le préserver pour son fils[34]. Ce dernier, Q. Servilius Caepio[35], aurait été questeur en 100[36], soit quelques années seulement après l’humiliant exil de son père. Il se serait alors opposé naturellement au nouvel ennemi de la famille, Saturninus, instigateur de l’ultime procès, qui était encore une fois tribun de la plèbe cette année-là. Il serait peut-être parvenu à la préture en 91, mais cela reste très incertain[37]. Le destin tragique de ses filles tel qu’il est décrit par Strabon a été expliqué par F. Münzer[38]. Sa fille, Servilia, put être considérée comme s’étant livrée à la prostitution parce qu’elle épousa Livius Drusus qui était très riche alors qu’elle était désormais pauvre depuis les malheurs de son père. L’autre fille serait en réalité la petite-fille de Caepio, la confusion s’expliquant parce qu’elle s’appelait également Servilia. Elle épousa Lucullus et aurait été décriée pour ses mœurs[39]. Strabon, qui suit ici Timagène, se ferait l’écho de la haine de ce dernier contre l’aristocratie romaine.
[1] F. Münzer, RE, 2A/2, 1923, col. 1783-1786, n° 48 s. v. Servilius ; K.-L. Elvers, Neue Pauly, 11, 2001, col. 464, [I 11].
[2] Sumner 1973, p. 85, n° 96.
[3] MRR, 3, p. 194 corrige MRR, 1, p. 505 qui en faisait un tribun militaire : Holleaux 1919, p. 7-16 ; Robert 1963, p. 165, n° 220 ; Jones C. 1974, p. 192 n. 49.
[4] MRR, 1, p. 546 ; Itgenshorst 2005, p. 300-302 n° 229 et Bastien 2007, p. 412.
[5] Rüpke 2005, 1, p. 110-111.
[6] MRR, 1, p. 553. Cic., Inv., 1, 92 ; de Orat., 2, 199 et 223 ; Brut., 161-164 ; Cluent., 140 et Val. Max., 6, 9, 13. La tradition livienne (Liv., Perioch., 66) parle d’un partage avec l’ordre équestre tandis que Tac., Ann., 12, 60 et Ascon., p. 79 C. indiquent une exclusivité sénatoriale. Cf. Bur 2018, chapitre 10.6.
[7] Val. Max., 6, 9, 13. Cf. Roman 1994, p. 387.
[8] Strab., 4, 1, 13 citant Posidonius et Timagène ; Gell., 3, 9, 7 ; Dio. 27 F. 90 ; Justin., 32, 3, 9-11 ; Oros., Hist., 5, 15, 25. Carcopino 1952 [1932], p. 336 suppose que seul un des convois fut attaqué par des bandits que certains pensèrent payés par Caepio. Labrousse 1968, p. 132, suppose une déception des Romains à la vue des sommes parvenues à Rome alors que le trésor des Gaulois était faramineux selon la légende. Caepio aurait peut-être gonflé l’importance du trésor, et l’écart entre ses annonces et la réalité lui aurait été cruellement rappelé plus tard, et à cette occasion il aurait dû inventer une histoire de brigands. Cette hypothèse se fonde sur l’idée qu’une partie de l’or parvint à Rome parce que Vir. Ill., 73, 5 signalerait l’emploi de cet or pour la fondation de colonies par Saturninus. Selon nous, ce passage renvoie plutôt aux biens confisqués de Caepio qui aurait, selon l’opinion des contemporains, accru sa fortune grâce au vol du butin (cf. infra).
[9] Voir Roman 1994, p. 384 qui parle de « préjugés aristocratiques » et p. 386 de l’élection de Mallius grâce à des soutiens populares.
[10] Cic., de Orat., 2, 197 ; Sall., Iug., 114, 1 ; Vell., 2, 12, 2 ; Ps. Quint., Decl., 3, 13 ; Plut., Mar., 11, 8 et 16, 5 et 19, 2 ; Luc., 27, 7 ; Sert., 3, 1 ; Tac., Germ., 37 ; App., Illyr., 4 ; Justin., 32, 3, 11 ; Flor., 1, 38, 4 ; Gran. Lic., 17 B ; Dio. 27, F. 91, 1-4 ; Eutrop., 5, 1, 1 ; Oros., Hist., 5, 1-, 17 citant Antias, frg. 63 Peter.
[11] Liv., Perioch., 67, 3 et Ascon., p. 78 C. Bauman 1968, p. 48-50 le considère comme le premier cas d’abrogation d’imperium voté par le peuple, ce qui expliquerait selon lui la lex Cassia qui fut votée ensuite.
[12] Ferrary 1979, p. 93‑95 propose, selon nous, la reconstruction la plus pertinente. Il met en avant l’impossibilité que Norbanus et Saturninus soient tribuns la même année, en 103, et résout le problème de l’intercession en deux étapes d’abord de T. Didius et L. Aurelius Cotta puis L. Antistius Rheginus. Il s’oppose en cela à l’opinion dominante chez les historiens depuis les travaux de Lengle 1931.
[13] Gruen 1968, p. 165.
[14] Cicéron développe cette affaire dans le de Oratore, 2 notamment aux § 107-109, 124, 188 et 197-203 ; voir également Cic., part. Or., 104-105 ; Off., 2, 49 ; Val. Max., 8, 5, 2.
[15] Niccolini 1934, p. 189-191.
[16] Ascon., p. 78 C. Cf. Bur 2018, chapitre 9.5.2.
[17] Gruen 1968, p. 162.
[18] Alexander 1990, p. 33-34, n° 65.
[19] Lengle 1931, p. 304-305 et 311-312 ; Labrousse 1968, p. 129-132.
[20] D.C., 27, frg. 90. Demougeot 1978, p. 929 affirme que le convoi aurait pu être volé par des brigands, des Gaulois ne craignant plus l’autorité romaine en raison des événements et même par des soldats démobilisés. L’accusation pourrait porter sur l’incapacité de Caepio à assurer le transport des richesses du peuple romain : cf. Hermon 1972, p. 83.
[21] Oros., Hist., 5, 15, 25 fait état de cette rumeur, mais Shatzman 1975, p. 286 n. 188 indique à juste titre que les contemporains de Caepio auraient cru n’importe quoi après sa défaite. Demougeot 1978, p. 927 rappelle la fausseté de la légende, signalée déjà par Poseidonios, contemporain des événements, cité dans Strab., 4, 1, 13 et s’interroge sur l’intérêt de Caepio à voler l’or. Le pillage de Toulouse devait lui permettre un triomphe plus munificent que celui qu’il avait accompli pour sa victoire sur les Lusitaniens en 107, aussi comprendrait-on mal pourquoi le détourner. À la page 129, elle qualifie Caepio de « bouc-émissaire » ce qui explique les soupçons de vol de cet or maudit qui pesaient sur lui.
[22] Lengle 1931, p. 312-313 ; Nicolet 1966-1974, 1, p. 534-535 penche plutôt pour la condamnation de Caepio.
[23] Gruen 1968, p. 164.
[24] Alexander 1990, p. 34, n° 66 qui indique comme sources : Ad Her., 1, 24 ; Cic., Balb., 28 ; Brut., 135 ; Liv., Perioch., 67 ; Strab., 4, 1, 13 ; Val. Max., 4, 7, 3 et 6, 9, 13 ; Gran. Licin. 13 Flemisch. Lengle 1931, p. 306-309 ; Gruen, loc. cit. ; Ferrary 1979, p. 92-95 en particulier la note 19. Contra Gabba 1951a, p. 22-23 n. 4 ; Scullard 1976 [1959], p. 57 et Badian 1964, p. 35 qui parlent d’un procès devant la quaestio de maiestate organisée d’après la nouvelle loi que venait de faire voter Saturninus.
[25] Ad Heren., 1, 24 et notamment Cicéron qui dans Brut., 135 et Tusc., 5, 14 conserve la tradition des optimates sur cette défense.
[26] Cic., de Orat., 2, 124 et 197-204 entre autres.
[27] Rosenstein 1990, p. 125-127.
[28] Val. Max., 4, 7, 3. Rosenstein 1990, p. 126 n. 47. L’autre tradition livrée par Val. Max., 6, 9, 3 et qui fait état d’une exécution serait fausse selon Ferrary 1979, p. 93 n. 20. En effet la version de l’exil (cf. infra) est également attestée chez Cicéron qui connaissait bien cet épisode et semble donc bien plus sûre.
[29] Val. Max., 4, 7, 3 ; Cic., Balb., 28. Que Rheginus n’intervint pas avant révèle la haine du peuple contre Caepio et l’impossibilité d’interrompre la procédure sans créer peut-être des séditions ou nuire gravement aux optimates. Il agit d’abord par amitié (amicitia) et nous n’avons pas de raison de refuser cette anecdote de Valère Maxime. Ainsi le cas de Caepio semblait désespéré y compris pour ses anciens partisans et ses proches, et seul un ami accepta de sacrifier sa carrière pour le sauver.
[30] Gran. Licin. 13 F = 33, 24 Criniti.
[31] Liv., Perioch., 67, 3 ne nous indique pas la cause de la confiscation, tandis que Vir. Ill., 73, 5 semble plutôt se rapporter à de l’argent récupéré par l’État à l’issue d’une procédure contre Caepio en lien avec l’or de Toulouse. Nicolet 1966-1974, 1, p. 534-535 pense que cet argent résultait de la condamnation de Caepio devant la quaestio extraordinaria auri Tolosanum. Cependant, puisque la fondation de colonies à laquelle devait servir cet or est datée de 100, nous pensons que ce furent les biens confisqués de Caepio à l’occasion de la condamnation pour perduellio qui financèrent ce projet. Et si l’auteur du de Viris Illustribus lie ces biens à l’aurum Tolosanum, c’est parce que Caepio était soupçonné l’avoir détourné. Autrement dit, dans l’opinion publique sa fortune proviendrait de ce vol. Nous ne pensons donc pas pouvoir suivre Hermon 1972, loc. cit. qui suppose que Saturninus utilisa le reliquat de l’or de Toulouse pour se réclamer de Ti. Gracchus qui avait utilisé le legs d’Attale III pour financer sa loi agraire.
[32] Rüpke 2005, 2, p. 1280, n° 3057
[33] Le jour du désastre d’Orange, le 6 octobre, fut déclaré néfaste ou du moins considéré comme tel d’après Plut., Luc., 27.
[34] Sur cette légende : Gell., 3, 9, 7.
[35] F. Münzer, RE, 2A/2, 1923, col. 1786-1787, n° 50 s. v. Servilius ; Sumner 1973, p. 116-117, n° 162 ; Rosenstein 1990, p. 200 n° 81 c). Pour sa carrière voir MRR, 2, p. 618.
[36] La date de la questure a été placée en 99 par Mattingly 1969, p. 267-268. Si la date est débattue, en revanche la magistrature semble certaine.
[37] MRR, 2, p. 24 n. 5.
[38] Münzer 1922, p. 292-295 sur Strab., 4, 1, 13.
[39] Plut., Luc., 38.
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