Infames Romani

C. Junius [15]

Numéro
26
Identité
Catégorie
Procédures censoriales
Sous catégorie
Eviction du Sénat
Date de l'épisode
-70
Références prosopographiques

F. Münzer, RE, 10/1, 1921, col. 963, n° 15 s. v. Junius ; J. Fündling, Neue Pauly, 6, 1999, col. 58, [I 1] ; DPRR n° IUNI2068.

Source
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Cic., Cluent., 79 : Atque in hanc flammam recentem tum C. Iunium qui illi quaestioni praefuerat iniectum esse memini, et illum hominem aedilicium iam praetorem opinionibus omnium constitutum non disceptatione dicendi sed clamore hominum de foro atque adeo de ciuitate esse sublatum.


Je me souviens aussi que C. Junius, président de ce tribunal, fut précipité dans ces flammes à peine allumées, et cet ancien édile, que l’opinion publique élevait déjà à la préture, disparut du forum et même de la cité, sans qu’il y eût débat, sous les seules clameurs des gens (trad. P. Boyancé, CUF).


 


Cic., Cluent., 91-92 : Multam petiuit. Qua lege ? Quod in legem non iurasset, quae res nemini umquam fraudi fuit, et quod C. Verres, praetor urbanus, homo sanctus et diligens, subsortitionem eius in eo codice non haberet qui tum interlitus proferebatur. His de causis C. Iunius condemnatus est, iudices, leuissimis et infirmissimis, quas omnino in iudicium adferri non oportuit. […] « Ergo » inquit « idcirco infestus tum populus Romanus fuit C. Iunio, quod illud iudicium corruptum per eum putabatur ».


Il a réclamé une amende. En vertu de quelle loi ? Parce que Junius n’avait pas prêté serment selon les termes de la loi, ce qui n’a jamais porté préjudice à personne, et parce que C. Verres, préteur urbain, homme respectable et consciencieux, n’avait point porté les noms des juges suppléants qu’il avait tirés au sort sur le registre qu’on produisait alors couvert de ratures. Voilà pour quels motifs C. Junius fut condamné, Juges, motifs des plus inconsistants et des plus faibles, qu’on n’aurait absolument pas dû apporter devant un tribunal, et ainsi il fut victime non de sa cause, mais des circonstances. […] « Ainsi, dit-il, l’hostilité du peuple romain envers C. Junius vint de ce qu’on croyait qu’il avait corrompu le tribunal » (trad. P. Boyancé, CUF).


 


Cic., Cluent., 96 : Ab illo enim, siue quod in legem non iurasset siue quod ex lege subsortitus iudicem non esset, multa petita esse dicitur ; Cluenti autem ratio cum illis legibus quibus a Iunio multa petita est nulla potest ex parte esse coniuncta.


Une amende fut, dit-on, infligée à Junius soit pour n’avoir pas prêté serment à la loi soit pour n’avoir pas procédé selon la loi à la désignation des juges suppléants. Mais le cas de Cluentius ne peut avoir de liens sous aucun rapport avec ces lois, au nom desquelles on infligea une amende à Junius (trad. P. Boyancé, CUF, modifiée).

Notice
Notice

C. Junius fut le iudex quaestionis de ueneficiis devant qui Cluentius accusa son beau-père Oppianicus en 74. Il avait revêtu l’édilité l’année précédente, en 75, et cette fonction était habituelle entre cette magistrature et la préture[1]. Au cours de sa charge, il fut confronté à une affaire qui provoqua un grand scandale. À la suite de la condamnation d’Oppianicus, son défenseur, L. Quinctius, qui était alors tribun de la plèbe et surtout maxime popularis[2], accusa pour se venger C. Junius devant le tribunal civil[3]. Cicéron, qui défendit par la suite Cluentius, était extrêmement bien informé sur l’affaire. Il affirme dans sa plaidoirie que, malgré la défense de L. Piso Frugi[4], C. Junius avait été condamné à une amende soit pour n’avoir pas prêté serment à la loi soit pour n’avoir pas procédé selon la loi à la désignation des juges suppléants[5] et que sa condamnation provoqua sa disparition de la vie publique[6]. La procédure intentée à C. Junius est considérée de façon unanime depuis T. Mommsen et A. H. J. Greenidge comme un procès en amende fixe devant le tribunal civil[7]. Le montant de l’amende qui frappa C. Junius n’est pas précisé mais T. Mommsen pensait que dans ce type de procédure les montants étaient très élevés au point de menacer l’existence civile. Autrement C. Junius aurait disparu ensuite de la scène publique, parce que, condamné à une lourde amende, il aurait perdu les moyens de poursuivre sa carrière d’autant plus qu’il était isolé et peu fortuné[8]. Il n’y aurait donc apparemment pas à proprement parler d’exclusion immédiate du Sénat ou de privation du ius honorum comme le pensait P. Willems[9]. Cependant ce dernier point doit être discuté. En effet la loi Cassia de 104 prévoyait qu’un sénateur condamné à une amende devant les comices serait exclu du Sénat[10] . Cependant, comme nous avons un tribunal civil ordinaire et non les comices, C. Junius n’était vraisemblablement pas passible de la loi et ne fut pas à ce titre exclu du Sénat. En revanche, le motif de l’amende souligné par Cicéron à deux reprises, in legem non iurasset[11], pourrait provoquer une exclusion du Sénat[12].


En conclusion, la condamnation de C. Junius en 74 à l’instigation de L. Quinctius l’humilia durablement en plus de le ruiner à cause du montant sans doute très élevé de l’amende infligée. Par conséquent il fut très probablement exclu du Sénat soit immédiatement d’après les dispositions de la loi à laquelle il n’avait pas prêté serment en qualité de président de quaestio, qui prévoyaient l’exclusion du Sénat en plus de l’amende, soit seulement en 70 par les censeurs qui sanctionnaient sa faillite et éventuellement sa mauvaise administration. Outre le scandale qui l’entourait, si C. Junius était ruiné, les censeurs de 70 n’avaient même pas la possibilité de le recruter dans l’ordre équestre puisqu’il ne possédait plus le cens requis. C. Junius ne disposait pas des ressources nécessaires pour relancer sa carrière, lui qui avait déjà difficilement obtenu les moyens de parvenir jusque-là. Les sources ne nous livrent aucune indication sur la vie de C. Junius après ce procès mais il est raisonnable de penser que la situation d’isolement décrite par Cicéron se poursuivit et que C. Junius disparut définitivement de la vie politique romaine.


Nous savons seulement que son fils s’opposa par sa miseratio à une loi votée par l’ennemi de son père, L. Quinctius[13], mais nous perdons ensuite sa trace.






[1] MRR, 2, p. 97. En dehors de son édilité, nous n’avons aucune indication sur la carrière de C. Junius.


[2] Niccolini 1934, p. 242-245 ; David 1992, p. 772-773.


[3] Ps. Ascon., p. 216 St. parle d’inuidia.


[4] Schol. Gron., p. 351 St.


[5] Cic., Cluent., 91-92 et 96.


[6] Cic., Cluent., 79.


[7] Mommsen 1907, 3, p. 372-375 ; Greenidge 1901, p. 13 n. 1 ; p. 438-439 suivi par Gruen 1974, p. 528 et David 1992, loc. cit.


[8] Cic., Cluent., 94.


[9] Willems 1885, 1, p. 219.


[10] Cf. Bur 2018, chapitre 9.5.2.


[11] Cic., Cluent., 91 et 96 : si Cicéron minimise la faute de C. Junius c’est en raison de la nature du texte, une plaidoirie dans laquelle C. Junius apparaissait comme une victime solidaire de son client, Cluentius.


[12] Cf. Bur 2018, chapitre 9.5.1. Le serment exigé des magistrats de se conformer aux lois devait être exigé également des présidents de quaestiones et son non-respect devait provoquer les mêmes conséquences. Que Cicéron s’exclame que personne n’avait jamais été condamné pour ce motif (cf. note ci-dessus) n’implique pas que la cause n’était pas valable et l’accusation fondée.


[13] Cic., Cluent., 137.

Bibliographie
Bibliographie

Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.


David 1992 : David J.-M., Le Patronat judiciaire au dernier siècle de la République romaine, Rome, 1992.


Ferrary 1979 : Ferrary J.-L., « Recherches sur la législation de Saturninus et de Glaucia, II », MEFRA, 1979, 91/1, p. 85-134.


Greenidge 1901: Greenidge A. H. J., The Legal Procedure of Cicero’s Time, Oxford, 1901.


Gruen 1974 : Gruen E. S., The Last Generation of the Roman Republic, Berkeley, 1974.


Mommsen 1907 : Mommsen T., Le Droit penal romain, Paris, 1907 (3 vol.).


Niccolini 1934 : Niccolini G., I Fasti dei tribuni della plebe, Milan, 1934.


Willems 1885 : Willems P., Le Sénat de la République romaine, Paris, 1885² (2 vol.).


Clément Bur, Infames Romani n°26, Albi, INU Champollion, Pool Corpus, 2018, mis à jour le