Infames Romani

P. Cornelius P. f. P. n. Lentulus Sura [240]

Numéro
22
Identité
Catégorie
Procédures censoriales
Sous catégorie
Eviction du Sénat
Date de l'épisode
-70
Références prosopographiques

F. Münzer, RE, 4/1, 1900, col. 1399-1402, n° 240 s. v. Cornelius ; Sumner 1973, p. 127, n° 175 ; David 1992, p. 761 ; Shatzman 1975, p. 335, n° 130 ; DPRR n° CORN2012.

Source
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Cic., Cluent., 130 : Praetermitti ab censoribus et neglegi macula iudiciorum posse non uidebatur. Homines, quos ceteris uitiis atque omni dedecore infamis uidebant, eos hac quoque subscriptione notare uoluerunt, et eo magis quod illo ipso tempore illis censoribus erant iudicia cum equestri ordine communicata, ut uiderentur per hominum idoneorum ignominiam sua auctoritate <rem> reprendisse.


Qui plus est ces tribunaux étaient tombés dans un grand décri. Et en effet peu de mois après, des tablettes marquées de signes convenus avaient déchaîné sur les tribunaux d’autres violences de l’opinion hostile. Les censeurs ne pouvaient, semble-t-il, ignorer et traiter par le mépris la honte des tribunaux. À des hommes qu’il voyait déjà déshonorés par d’autres vices et par toutes sortes de turpitude ils ont voulu infliger en outre la flétrissure de ces notes. Ils l’ont voulu d’autant plus qu’à ce même moment, sous leur censure, on avait ouvert les tribunaux à l’ordre équestre : ainsi en flétrissant à propos les individus, ils sembleraient avoir de leur autorité condamné l’usage ancien (trad. P. Boyancé, CUF).


 


Vell., 2, 34, 4 : Lentulus, consularis et praetor iterum.


Lentulus, consulaire et préteur pour la deuxième fois (trad. J. Hellegouarc’h, CUF).


 


Ps. Ascon., p. 193 St. : Marcus Terentius Varro, consobrinus frater Hortensi, reus ex Asia apud L. Furium praetorem primo de pecuniis repetundis, deinde apud P. Lentulum Suram, est accusatus ; absolutusque est a Q. Hortensio, qui corruptis iudicibus hunc metum adiunxit ad gratiam, ut discoloribus ceris insignitas iudices tabulas accipiant et timeret unusquisque eorum ne fidem pactionis non seruare uideretur, si non in tabula, quam unicuique datam meminisset Hortensius, ex nota cera scilicet discoloris, absolutum Varronem reperiret.


« Non illa infami ac nefaria ». Mire ex ipsius Hortensii persona hoc dicitur : quae saepe uirtus maxima Ciceronis in huiusmodi allocutionibus inuenitur.


Marcus Terentius Varro, cousin germain d’Hortensius, fut d’abord accusé à son retour d’Asie de pecuniis repetundis devant le préteur L. Furius, ensuite devant P. Lentulus Sura ; il fut acquitté grâce à Q. Hortensius, qui ayant corrompu les juges ajouta à son crédit personnel le motif de crainte que voici : les juges reçurent des tablettes distinguées par des cires de couleurs différentes et chacun d’entre eux redouta de paraître ne pas respecter le pacte conclu, si Hortensius ne trouvait pas, grâce à la marque de la couleur effectivement différente, mention de l’absolution de Varro sur la tablette de cire dont il se rappelait qu’elle avait été donnée à chacun des juges .


« Et non pas faite de cette cire infâme et impie ». Cette formule est employée, de manière admirable, en partant de la personnalité d’Hortensius lui-même : et souvent, la puissance expressive supérieure de Cicéron se trouve dans des expressions de ce genre.


 


Ps. Ascon., p. 218 St. : Terenti Varronis : ubi discoloribus ceris usus est.


De Terentius Varron : où il utilisa de la cire d’une autre couleur.


 


Plut., Cic., 17, 1-5 : Τοὺς δ’ ὑπολειφθέντας ἐν τῇ πόλει τῶν διεφθαρμένων ὑπὸ τοῦ Κατιλίνα συνῆγε καὶ παρεθάρρυνε Κορνήλιος Λέντλος Σούρας ἐπίκλησιν, ἀνὴρ γένους μὲν ἐνδόξου, βεβιωκὼς δὲ φαύλως καὶ δι’ ἀσέλγειαν ἐξεληλαμένος τῆς βουλῆς πρότερον, τότε δὲ στρατηγῶν τὸ δεύτερον, ὡς ἔθος ἐστὶ τοῖς ἐξ ὑπαρχῆς ἀνακτωμένοις τὸ βουλευτικὸν ἀξίωμα. Λέγεται δὲ καὶ τὴν ἐπίκλησιν αὐτῷ γενέσθαι τὸν Σούραν ἐξ αἰτίας τοιαύτης. Ἐν τοῖς κατὰ Σύλλαν χρόνοις ταμιεύων, συχνὰ τῶν δημοσίων χρημάτων ἀπώλεσε καὶ διέφθειρεν. Ἀγανακτοῦντος δὲ τοῦ Σύλλα καὶ λόγον ἀπαιτοῦντος ἐν τῇ συγκλήτῳ, προελθὼν ὀλιγώρως πάνυ καὶ καταφρονητικῶς, λόγον μὲν οὐκ ἔφη διδόναι, παρεῖχε δὲ τὴν κνήμην, ὥσπερ εἰώθασιν οἱ παῖδες ὅταν ἐν τῷ σφαιρίζειν διαμάρτωσιν. Ἐκ τούτου Σούρας παρωνομάσθη· σούραν γὰρ Ῥωμαῖοι τὴν κνήμην λέγουσι. Πάλιν δὲ δίκην ἔχων καὶ διαφθείρας ἐνίους τῶν δικαστῶν, ἐπεὶ δυσὶ μόναις ἀπέφυγε ψήφοις, ἔφη παρανάλωμα γεγονέναι τὸ θατέρῳ κριτῇ δοθέν· ἀρκεῖν γὰρ εἰ καὶ μιᾷ ψήφῳ μόνον ἀπελύθη.


Les gens corrompus par Catilina qui étaient restés dans la ville furent assemblés et réconfortés par Cornelius Lentulus surnommé Sura. Celui-ci était d’une naissance illustre, mais sa vie honteuse et ses débauches l’avaient fait précédemment exclure du Sénat ; il était alors préteur pour la seconde fois, comme c’est l’usage pour ceux qui veulent à nouveau revêtir la dignité sénatoriale. Son surnom de Sura lui fut donné, dit-on, pour la cause suivante : comme il était questeur au temps de Sylla et qu’il avait perdu et dilapidé une grande partie des fonds publics, Sylla indigné lui en demanda compte au Sénat ; Lentulus se présenta d’un air désinvolte et hautain et déclara qu’il ne rendait pas de comptes, mais qu’il offrait sa jambe, comme c’est l’habitude des enfants quand ils ont fait une faute au jeu de la balle [ie. = pour y recevoir un coup]. C’est de là que lui vint le surnom de Sura, car sura en latin signifie la jambe. Une autre fois, étant poursuivi en justice, il avait acheté quelques-uns de ses juges ; il s’en tira à la majorité de deux voix seulement, et dit alors que ce qu’il avait donné à l’un des deux était de l’argent perdu, puisqu’il lui suffisait d’une voix pour être acquitté (trad. R. Flacelière et E. Chambry, CUF).


 


D.C., 37, 30, 4 : καὶ ὁ Λέντουλος ὁ Πούπλιος ὁ μετὰ τὴν ὑπατείαν ἐκ τῆς γερουσίας ἐκπεσών (ἐστρατήγει γὰρ ὅπως τὴν βουλείαν ἀναλάβῃ).


Publius Lentulus qui, chassé du Sénat après son consulat, gérait alors la préture dans le but de recouvrer son ancienne dignité.

Notice
Notice

P. Cornelius Lentulus Sura est le petit-fils de P. Cornelius Lentulus, le consul suffect de 162, qui fut prince du Sénat[1]. Son père est peut-être le consul de 90, P. Cornelius Lentulus, tué par les marianistes en 87[2]. Enfin il épousa la fille de L. Caesar, le consul de 90. Né, vers 114[3], il appartenait donc à une famille illustre et influente de la noblesse romaine.


Syllanien, il fut questeur en 81[4], ce qui lui permit d’entrer au Sénat mais aussi de détourner de l’argent public, s’attirant des réprimandes de Sylla. C’est à cette occasion qu’il aurait obtenu son sobriquet de Sura selon Plutarque[5]. Les propos tenus par Sura, s’ils sont véridiques, dénotent une certaine légèreté et contrastent avec la grauitas attendue des optimates partisans de Sylla. Il poursuivit néanmoins sa carrière en étant élu préteur en 75 et se chargea de la quaestio de repetundis en 74[6]. Il eut alors à diriger le procès de (A. ?) Terentius Varro, défendu par son cousin Hortensius, qui fit grand bruit[7]. En effet, Hortensius fut soupçonné d’avoir donné des tablettes distinctes aux juges qu’il avait achetés afin de vérifier qu’ils respectaient leur part du contrat[8]. Varro fut acquitté, mais l’ordre sénatorial se retrouva déshonoré comme l’indiquent les fréquentes allusions de Cicéron dans les Verrines. Vers la même époque, Sura fut accusé à deux reprises et acquitté deux fois[9]. À cette occasion, on lui attribue un nouveau trait d’esprit puisqu’il aurait regretté d’avoir corrompu deux juges alors qu’il ne lui manquait qu’une voix[10]. Il obtint finalement le consulat pour 71[11] mais l’année suivante, lors de la sévère censure de Cn. Lentulus Clodianus et L. Gellius Publicola[12], il fut exclu du Sénat avec 63 autres sénateurs.


L’exclusion serait causée d’après Plutarque par ses mauvaises mœurs (βεβιωκὼς δὲ φαύλως)[13]. Nous pouvons toutefois supposer que le scandale de l’acquittement de Terentius Varro en 74 y fut pour quelque chose. Responsable de la quaestio, il a pu toucher de l’argent pour fermer les yeux sur l’utilisation de tablettes différentes, ou du moins il aurait dû agir pour préserver la dignité de son tribunal. Il pratiqua lui-même la corruption de façon éhontée et détourna de l’argent public dès sa questure. Toutefois, I. Shatzman avait peut-être raison d’estimer que ce besoin d’argent était lié à une vie dissolue[14]. Il fut sanctionné par des censeurs qui tentaient de faire renaître la sévérité ancestrale après trente ans de troubles et qui étaient heureux en même temps d’éliminer un adversaire politique. Le blâme infligé au consul de l’année précédente dut provoquer un large scandale et, à moins de paraître inique et d’être contesté par les amis de Sura, il devait s’appuyer sur des arguments solides.


Sura mit du temps à se relever de cette humiliation, toutefois le grand nombre d’exclus joua en sa faveur. Comme C. Antonius Hybrida il brigua une nouvelle fois une magistrature afin de retrouver sa place dans la Curie[15]. Les sources ne mentionnent que sa seconde élection à la préture en 64[16]. Le scandale était oublié, d’autres avaient surgi, et Sura devait jouir de soutiens importants. Cependant, T. C. Brennan a défendu l’idée que Sura n’avait pas pu rester inactif pendant six ans et qu’il devait en outre recommencer l’ensemble de son cursus pour retrouver son rang au Sénat[17]. Il aurait donc revêtu également une seconde questure entre 69 et 66 en tenant compte des délais légaux. Son hypothèse ne s’appuie que sur l’invraisemblance d’une aussi longue absence de la vie politique et sur une relecture du passage de Plutarque (Plut., Cic., 17, 1) et j’ai réfuté ailleurs sa reconstruction des carrières après l’exclusion du Sénat[18]. En outre, Dion Cassius confirme l’interprétation de Plutarque, si toutefois ses informations ne sont pas issues du seul moraliste[19]. Aussi préférons-nous suivre Plutarque et Dion Cassius et faire de la seconde préture le moyen par lequel Sura retrouva sa place au Sénat grâce au ius s. d. à la sortie de charge d’une magistrature curule.


Toutefois la voie légale ne lui suffit pas, peut-être en raison des difficultés rencontrées durant les sept années qui suivirent son exclusion du Sénat. Sa traversée du désert le conduisit à suivre d’autres déçus de la République et à devenir l’un des principaux membres de la conjuration de Catilina[20]. Chef de file de la faction urbaine, il fut arrêté et finalement mis à mort avec d’autres conjurés le 5 décembre 63[21]. Il demeure assez surprenant de le voir se lancer dans cette aventure alors même qu’il retrouvait son statut grâce à une seconde préture.


Nous ne lui connaissons pas de descendants.






[1] F. Münzer, RE, 4/1, 1900, col. 1374-1375, n° 202 s. v. Cornelius ; K.-L. Elvers, Neue Pauly, 3, 1997, col. 10, [I 22].


[2] F. Münzer, RE, 4/1, 1900, col. 1375, n° 203 s. v. Cornelius.


[3] Sumner 1973, p. 127.


[4] MRR, 2, p. 76.


[5] Plut., Cic., 17, 2-4. Comme Cicéron ne l’emploie qu’une seule fois, F. Münzer en déduit qu’il ne s’agit pas d’un cognomen mais d’un simple sobriquet.


[6] MRR, 2, p. 102.


[7] Alexander 1990, p. 73, n° 144.


[8] Ps. Ascon., p. 193 et 218 St. ; Schol. Gron., p. 349 St. ; Cic., Cluent., 130 ; Caecil., 24 ; Verr., 1, 17 et 35 et 40 et 47 ; Porphyr. et Ps. Acro sur Hor., Sat., 2, 1, 49.


[9] Gruen 1974, p. 526 ; Alexander 1990, p. 67, n° 130 et p. 109, n° 219 ; David 1992, p. 761 d’après Cic., Att., 1, 16, 9 = Shackleton Bailey, CLA, n° 16 et Plut., Cic., 17 qui indique que les juges étaient corrompus.


[10] Plut., Cic., 17, 4.


[11] MRR, 2, p. 121.


[12] MRR, 2, p. 126-127 et Suolahti 1963, p. 458-464.


[13] Plut., Cic., 17, 1 ; D.C., 37, 30, 4 atteste simplement cette exclusion.


[14] Shatzman 1975, p. 335, n° 130.


[15] Cf. notice n° 20.


[16] D.C., 37, 30, 4 ; Plut., Cic., 17, 1 ; Vell., 2, 34, 4 ; cf. MRR, 2, p. 166.


[17] Brennan 1989, p. 481 n. 68.


[18] Cf. Bur 2018, chapitre 15.1.2.


[19] D.C., 37, 30, 4.


[20] Plut., Cic., 17, 1.


[21] Pour les sources sur son rôle durant la conjuration nous renvoyons à MRR, 2, p. 166.

Bibliographie
Bibliographie

Alexander 1990 : Alexander M. C., Trials in the late Roman Republic, 149 BC to 50 BC, Toronto, 1990.


Brennan 1989 : Brennan T. C., « C. Aurelius Cotta, praetor iterum (CIL, 1², 610) », Athenaeum, 1989, 67, p. 467-487.


Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.


David 1992 : David J.-M., Le Patronat judiciaire au dernier siècle de la République romaine, Rome, 1992.


Gruen 1974 : Gruen E. S., The Last Generation of the Roman Republic, Berkeley, 1974.


Shackleton Bailey, CLA : Shackleton Bailey D. R., Cicero’s letters to Atticus, Cambridge, 1965-1970 (7 vol.).


Shatzman 1975 : Shatzman I., Senatorial wealth and Roman politics, Bruxelles, 1975.


Sumner 1973 : Sumner G. V., The Orators in Cicero’s Brutus, Toronto, 1973.


Suolahti 1963 : Suolahti J., The Roman censors : a study on social structure, Helsinki, 1963.


Clément Bur, Infames Romani n°22, Albi, INU Champollion, Pool Corpus, 2018, mis à jour le 2018-09-19