Infames Romani

L. Quinctius T. f. L. n. Flamininus [43]

Numéro
7
Identité
Catégorie
Procédures censoriales
Sous catégorie
Eviction du Sénat
Date de l'épisode
-184
Références prosopographiques

H. Gundel, RE, 24, 1963, col. 1040-1047, n° 43 s. v. Quinctius ; T. Schmitt, Neue Pauly, 10, 2001, col. 708‑709, [I 3] ; DPRR n° QUIN0977.

Source
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Cato, In L. Quinctium Flamininum, frg. 55 Cugusi (ap. Isid., Diff. verb., 1, 113) : Aliud est, Philippe, amor, longe aliudque cupido. Accessit ilico alter, ubi alter recessit ; alter bonus, alter malus.


Une chose est l’amour, Philippe, autre chose la passion. La seconde arrive lorsque le premier s’éloigne ; l’un est bon, l’autre est mal.


 


Cic., C. M., 42 : Impedit enim consilium uoluptas, rationi inimica est, mentis ut ita dicam praestringit oculos nec habet ullum cum uirtute commercium. Inuitus feci ut fortissimi uiri T. Flaminini fratrem L. Flamininum e senatu eicerem septem annis post quam consul fuisset, sed notandam putaui libidinem. Ille enim cum esset consul in Gallia, exoratus in conuiuio a scorto est ut securi feriret aliquem eorum, qui in uinculis essent damnati rei capitalis. Hic Tito fratre suo censore qui proximus ante me fuerat, elapsus est ; mihi uero et Flacco neutiquam probari potuit tam flagitiosa et tam perdita lubido, quae cum probro priuato coniungeret imperii dedecus.


Car le plaisir entrave le jugement, combat la raison, offusque, pour ainsi dire, les yeux de l’esprit et n’a aucune relation avec la vertu. J’ai à regret exclu du Sénat le frère du très valeureux T. Flamininus, L. Flamininus, sept ans après son consulat ; mais j’ai cru devoir flétrir la passion. En effet, pendant qu’il exerçait son consulat en Gaule, une courtisane obtint de lui dans un festin qu’il frappât de la hache un des prisonniers, condamnés pour crime capital. Sous la censure de son frère Titus, qui avait précédé immédiatement la mienne, il échappa au châtiment ; mais nous n’avons pas pu, Flaccus et moi, admettre en aucune manière une passion si honteuse et si dépravée, qui associait à l’opprobre privé le déshonneur du pouvoir (trad. P. Wuilleumier, CUF).


 


Liv., 39, 42, 5-6 (a. 184) : Censores M. Porcius et L. Valerius metu mixta exspectatione senatum legerunt ; septem mouerunt senatu, ex quibus unum insignem et nobilitate et honoribus, L. Quinctium Flamininum consularem.


On attendait avec anxiété la révision des listes sénatoriales, à laquelle procédèrent les censeurs M. Porcius et L. Valerius. Ils exclurent sept sénateurs, dont l’un remarquable par sa noblesse et les fonctions qu’il avait exercées, le consulaire L. Quinctius Flamininus (trad. A.-M. Adam, CUF).


 


Liv., 39, 42, 7 - 43, 5 (a. 184) : longe grauissima in L. Quinctium oratio, qua si accusator ante notam, non censor post notam usus esset, retinere L. Quinctium in senatu ne frater quidem T. Quinctius, si tum censor esset, potuisset. Inter cetera obiecit ei Philippum Poenum, carum ac nobile scortum, ab Roma in Galliam prouinciam spe ingentium donorum perductum. Eum puerum, <per> lasciuiam cum cauillaretur, exprobrare consuli [per]saepe solitum, quod sub ipsum spectaculum gladiatorium abductus ab Roma esset, ut obsequium amatori uenditaret. Forte epulantibus iis, cum iam uino incaluissent, nuntiatum in conuiuio esse nobilem Boium cum liberis transfugam uenisse ; conuenire consulem uelle, ut ab eo fidem praesens acciperet. Introductum in tabernaculum per interpretem adloqui consulem coepisse. Inter cuius sermonem Quinctius scorto « uis tu », inquit « quoniam gladiatorium spectaculum reliquisti, iam hunc Gallum morientem uidere ? » et cum is uixdum serio adnuisset, ad nutum scorti consulem stricto gladio, qui super caput pendebat, loquenti Gallo caput primum percussisse, deinde, fugienti fidemque populi Romani atque eorum, qui aderant, imploranti latus transfodisse.


Valerius Antias, ut qui nec orationem Catonis legisset et fabulae tantum sine auctore editae credidisset, aliud argumentum, simile tamen et libidine et crudelitate peragit. Placentiae famosam mulierem, cuius amore deperiret, in conuiuium arcessitam scribit. Ibi iactantem sese scorto inter cetera rettulisse, quam acriter quaestiones exercuisset, et quam multos capitis damnatos in uinculis haberet, quos securi percussurus esset. Tum illam infra eum accubantem negasse umquam uidisse quemquam securi ferientem, et peruelle id uidere. Hic indulgentem amatorem unum ex illis miseris attrahi iussum securi percussisse. Facinus, siue eo modo, quo censor obiecit, siue, ut Valerius tradit, commissum est, saeuum atque atrox : inter pocula atque epulas, ubi libare diis dapes, ubi bene precari mos esset, ad spectaculum scorti procacis, in sinu consulis recubantis, mactatam humanam uictimam esse et cruore mensam respersam. In extrema oratione Catonis condicio Quinctio fertur, ut si id factum negaret ceteraque, quae obiecisset, sponsione defenderet sese : sin fateretur, ignominiane sua quemquam doliturum censeret, cum ipse uino et uenere amens sanguine hominis in conuiuio lusisset ?


Mais le plus grave, de loin, est celui qui vise L. Quinctius, et s’il l’avait tenu en tant qu’accusateur avant un blâme censorial, et non en tant que censeur après avoir notifié le blâme, même son frère T. Quinctius, s’il avait alors été censeur, n’aurait pu maintenir L. Quinctius au Sénat. Il lui reprocha entre autres d’avoir emmené de Rome dans la province de Gaule, avec la promesse de grandes récompenses, Philippe le Punique, un prostitué célèbre et qui lui était cher. Ce garçon, par plaisanterie au milieu de leurs ébats, avait coutume de reprocher au consul qu’on l’eût arraché de Rome au beau milieu d’un spectacle de gladiateurs, pour vendre ses faveurs à son ami. Tandis qu’ils se trouvaient un jour attablés, le sang déjà échauffé par le vin, il fut annoncé dans le festin qu’un noble boïen s’était présenté comme transfuge avec ses enfants ; il voulait rencontrer le consul pour recevoir personnellement de lui des garanties. Introduit dans la tente, il entreprit de s’adresser au consul par l’intermédiaire d’un interprète. Interrompant son discours, Quinctius demande à son favori : « Veux-tu, puisque tu as abandonné un spectacle de gladiateurs, voir maintenant mourir ce Gaulois ? » Et comme le garçon avait fait, à peine sérieusement, un signe d’approbation, à ce signe de son favori, le consul, dégainant l’épée qui pendait au-dessus de sa tête, frappa d’abord à la tête le Gaulois qui parlait, puis, alors que l’homme s’enfuyait et implorait la protection du peuple romain et des personnes présentes, il lui transperça le flanc.


Valérius Antias, lui qui n’avait pas lu le discours de Caton mais cru une simple fable qui circulait sans qu’on en sût la source, présente une autre version, semblable toutefois par ce qu’elle implique de débauche et de cruauté. Il écrit qu’à Plaisance, L. Quinctius fit venir dans un banquet une femme de mauvaise réputation dont il était éperdument amoureux. Là, pour se vanter devant la courtisane, il lui raconta entre autres avec quelle rigueur il avait rendu la justice, et combien de condamnés à mort il gardait en prison et se préparait à faire exécuter. À ce moment-là la femme, qui était étendue à ses côtés, dit qu’elle n’avait jamais assisté à une exécution et qu’elle voulait absolument voir cela. Alors son amant, désireux de lui plaire, fit traîner devant eux et exécuter l’un de ces malheureux. Qu’il ait été commis de la façon que lui reprocha le censeur, ou comme le raconte Valerius, l’acte fut cruel et abominable : au milieu des coupes et des mets, là où la coutume est d’offrir de la nourriture en libation aux dieux et d’échanger des vœux, pour servir de spectacle à une créature vénale et effrontée, couchée entre les bras du consul, on immola une victime humaine et son sang éclaboussa la table. À la fin du discours de Caton, un marché est proposé à Quinctius : s’il niait cet acte et d’autres qu’on lui avait reprochés, qu’il montre sa bonne foi en versant une garantie financière ; si au contraire il avouait, croyait-il que quelqu’un s’affligerait de le voir déshonoré, lui qui, égaré par les effets du vin et de la passion, s’était amusé du sang d’un être humain au cours d’un banquet ? (trad. A.-M. Adam, CUF).


 


Liv., Perioch., 39, 5-6 : A censoribus L. Valerio Flacco et M. Porcio Catone, et belli et pacis artibus maximo, motus est senatu L. Quintius Flamininus, <T.> frater, eo quod, <cum> Galliam prouinciam consul optineret, rogatus in conuiuio a Poeno Philippo, quem amabat, scorto nobili, Gallum quendam sua manu occiderat siue, ut quidam tradiderunt, unum ex damnatis securi percusserat rogatus a meretrice Placentina, cuius amore deperibat. Extat oratio M. Catonis in eum.


Les censeurs L. Valerius Flaccus et M. Porcius Caton (l’homme le plus remarquable qui soit, aussi bien dans les activités de la guerre que dans celles de la paix) exclurent du Sénat L. Quinctius Flamininus, frère de Titus, parce que – alors que, comme consul, il possédait la province de Gaule – il avait, dans un banquet, à la demande de Philippe le Carthaginois, son mignon, un prostitué notoire, tué un Gaulois de sa main, ou bien, selon d’autres, parce qu’il avait fait frapper de la hache un condamné, à la demande d’une courtisane de Plaisance, dont il était éperdument amoureux. On possède encore le discours prononcé par M. Caton contre lui (trad. P. Jal, CUF).


 


Val. Max., 2, 9, 3 : Sicut Porcius Cato L. Flamininum, quem e numero senatorum sustulit, quia in prouincia quendam damnatum securi percusserat tempore supplicii ad arbitrium et spectaculum mulierculae, cuius amore tenebatur, electo. Et poterat inhiberi respectu consulatus, quem is gesserat, atque auctoritate fratris eius Titi Flaminini. Sed et censor <et> Cato, duplex seueritatis exemplum, eo magis illum notandum statuit, quod amplissimi honoris maiestatem.


Même attitude chez Caton à l’égard de L. Flamininus qu’il a exclu de la liste des sénateurs parce que, dans la province qu’il dirigeait, il avait fait frapper un condamné de la hache en choisissant le moment de l’exécution de façon à satisfaire le caprice et le goût qu’avait pour ce spectacle la femme dont il était épris. Caton pouvait certes être gêné par le prestige du consulat que l’autre avait exercé et par l’autorité de son frère Flamininus. Mais il était censeur et il s’appelait Caton, double modèle à suivre dans la sévérité ; il a donc décidé qu’il fallait d’autant plus le sanctionner qu’il avait souillé la majesté de la charge la plus élevée (trad. R. Combès, CUF).


 


Val. Max., 4, 5, 1 : quo L. Flamininus extrema in parte theatri constitit, quia a M. Catone et L. Flacco censoribus senatu m<otus> fuerat, consulatus iam honore defunctus, frater etiam T. Flaminini Macedoniae Philippique uictoris : omnes enim transire eum in locum dignitati suae debitum coegerunt.


le jour où L. Flamininus s’est placé tout en haut du théâtre parce que Caton et L. Flaccus, pendant leur censure, l’avaient exclu du Sénat, alors qu’il avait déjà exercé le consulat et qu’il était le frère de T. Flamininus, le vainqueur de la Macédoine et de Philippe. Tout le monde en effet l’a obligé à aller à la place qui était due à son rang (trad. R. Combès, CUF).


 


Sen., Contr., 9, 2, 27 : Sed ne hoc genus furoris protegere uidear, in Flaminino tumidissime dixit Murredius : « praetorem nostrum in illa ferali cena saginatum meretricis sinu excitauit ictus securis ». Et illud Tetracolon : « seruiebat forum cubiculo, praetor meretrici, carcer conuiuio, dies nocti ».


Mais pour que je ne semble pas protéger ce genre de folie, Murredius disait contre Flamininus de façon très enflée : « le coup d’une hache excita notre préteur engraissé dans ce banquet funeste par la courbe d’une courtisane ». Et là dans le Tetralocon : « le forum servait la chambre, le préteur la courtisane, la prison le banquet, le jour la nuit ».


 


Plut., Cat. Ma., 17, 1-6 : Προέγραψε μὲν οὖν ὁ Κάτων τῆς συγκλήτου τὸν συνάρχοντα καὶ φίλον Λεύκιον Οὐαλέριον Φλάκκον, ἐξέβαλε δὲ τῆς βουλῆς ἄλλους τε συχνοὺς καὶ Λεύκιον Κοΐντιον, ὕπατον μὲν ἑπτὰ πρότερον ἐνιαυτοῖς γεγενημένον, ὃ δ’ ἦν αὐτῷ πρὸς δόξαν ὑπατείας μεῖζον, ἀδελφὸν Τίτου Φλαμινίνου τοῦ καταπολεμήσαντος Φίλιππον. Αἰτίαν δὲ τῆς ἐκβολῆς ἔσχε τοιαύτην. Μειράκιον ἐκ τῆς παιδικῆς ὥρας ἑταιροῦν ἀνειληφὼς ὁ Λεύκιος ἀεὶ περὶ αὑτὸν εἶχε, καὶ συνεπήγετο στρατηγῶν ἐπὶ τιμῆς καὶ δυνάμεως τοσαύτης ὅσην οὐδεὶς εἶχε τῶν πρώτων παρ’ αὐτῷ φίλων καὶ οἰκείων. Ἐτύγχανε μὲν οὖν ἡγούμενος ὑπατικῆς ἐπαρχίας· ἐν δὲ συμποσίῳ τινὶ τὸ μειράκιον ὥσπερ εἰώθει συγκατακείμενον ἄλλην τε κολακείαν ἐκίνει πρὸς ἄνθρωπον ἐν οἴνῳ ῥᾳδίως ἀγόμενον, καὶ φιλεῖν αὐτὸν οὕτως ἔλεγεν, ‘ὥστ’’ ἔφη ‘θέας οὔσης οἴκοι μονομάχων οὐ τεθεαμένος πρότερον ἐξώρμησα πρὸς σέ, καίπερ ἐπιθυμῶν ἰδεῖν ἄνθρωπον σφαττόμενον’. Ὁ δὲ Λεύκιος ἀντιφιλοφρονούμενος, ‘ἀλλὰ τούτου γε χάριν’ εἶπε ‘μή μοι κατάκεισο λυπούμενος, ἐγὼ γὰρ ἰάσομαι’. Καὶ κελεύσας ἕνα τῶν ἐπὶ θανάτῳ κατακρίτων εἰς τὸ συμπόσιον ἀχθῆναι καὶ τὸν ὑπηρέτην ἔχοντα πέλεκυν παραστῆναι, πάλιν ἠρώτησε τὸν ἐρώμενον εἰ βούλεται τυπτόμενον θεάσασθαι. Φήσαντος δὲ βούλεσθαι, προσέταξεν ἀποκόψαι τοῦ ἀνθρώπου τὸν τράχηλον. Οἱ μὲν οὖν πλεῖστοι ταῦθ’ ἱστοροῦσι, καὶ ὅ γε Κικέρων αὐτὸν τὸν Κάτωνα διηγούμενον ἐν τῷ Περὶ γήρως διαλόγῳ πεποίηκεν· ὁ δὲ Λίβιος αὐτόμολον εἶναί φησι Γαλάτην τὸν ἀναιρεθέντα, τὸν δὲ Λεύκιον οὐ δι’ ὑπηρέτου κτεῖναι τὸν ἄνθρωπον, ἀλλ’ αὐτὸν ἰδίᾳ χειρί, καὶ ταῦτ’ ἐν λόγῳ γεγράφθαι Κάτωνος.


Ἐκβληθέντος οὖν τοῦ Λευκίου τῆς βουλῆς ὑπὸ τοῦ Κάτωνος, ὁ ἀδελφὸς αὐτοῦ βαρέως φέρων ἐπὶ τὸν δῆμον κατέφυγε καὶ τὴν αἰτίαν ἐκέλευσεν εἰπεῖν τὸν Κάτωνα τῆς ἐκβολῆς. Εἰπόντος δὲ καὶ διηγησαμένου τὸ συμπόσιον, ἐπεχείρει μὲν ὁ Λεύκιος ἀρνεῖσθαι, προκαλουμένου δὲ τοῦ Κάτωνος εἰς ὁρισμὸν ἀνεδύετο. Καὶ τότε μὲν ἄξια παθεῖν κατεγνώσθη· θέας δ’ οὔσης ἐν θεάτρῳ, τὴν ὑπατικὴν χώραν παρελθὼν καὶ πορρωτάτω που καθεσθεὶς οἶκτον ἔσχε παρὰ τῷ δήμῳ, καὶ βοῶντες ἠνάγκασαν αὐτὸν μετελθεῖν, ὡς ἦν δυνατὸν ἐπανορθούμενοι καὶ θεραπεύοντες τὸ γεγενημένον.


Caton mit en tête de la liste des sénateurs son collègue et ami, Lucius Valerius Flaccus, et il en raya beaucoup de sénateurs, entre autres Lucius Quinctius, qui avait été consul sept ans auparavant, mais dont le plus grand titre de gloire, supérieur même au consulat, était d’avoir pour frère Titus Flamininus, le vainqueur de Philippe. Voici quel fut le motif de cette expulsion. Lucius avait pris pour mignon un jeune et beau prostitué ; il l’avait toujours avec lui, l’emmenait dans ses campagnes et lui accordait une considération et une influence plus grandes qu’à aucun de ses amis ou de ses familiers les plus intimes. Or il se trouva que Lucius gouvernait une province consulaire et que, dans un banquet, le jeune garçon étendu près de lui, comme il en avait l’habitude, débitait force flatteries à cet homme facile à entraîner après boire ; il lui disait notamment : « Vois combien je t’aime : il y avait, dans mon pays, un combat de gladiateurs, spectacle auquel je n’avais jamais assisté auparavant ; je l’ai manqué pour accourir vers toi, malgré mon envie de voir égorger un homme ». Lucius lui dit pour le payer de sa tendresse : « Quant à cela, ne regrette pas d’être couché à mes côtés : je réparerai le mal ». Là-dessus, il fit amener dans la salle du festin un condamné à mort et ordonna à son licteur de se placer près de lui avec la sa hache ; puis il demanda de nouveau à son bien-aimé s’il voulait le voir frapper. Le jeune garçon répondit oui, et Lucius donna l’ordre de couper la tête du condamné. Telle est la version la plus répandue de cette affaire. Cicéron, dans son dialogue Sur la vieillesse, a mis ce récit dans la bouche de Caton lui-même. Quant à Tite-Live, il dit que la victime était un déserteur gaulois et que ce ne fut pas le licteur, mais Lucius lui-même qui le tua de sa propre main, et que le fait est consigné dans un discours de Caton.


Lucius ayant été chassé du Sénat par Caton, son frère, indigné, en appela au peuple et il somma Caton de déclarer la cause de l’expulsion. Caton prit la parole et raconta l’affaire du banquet. Lucius essaya de nier, mais Caton lui proposant un arrangement pécuniaire, il se déroba. On reconnut alors la justice du châtiment ; mais, un jour de spectacle, au théâtre, Lucius ayant passé près des places réservées aux consulaires pour aller s’asseoir très loin de là, le peuple fut pris de pitié et le contraignit par ses cris à changer de place, réparant et adoucissant ainsi dans la mesure du possible la sanction qui l’avait frappé (trad. R. Flacelière et E. Chambry, CUF).


 


Plut., Flam., 18, 4 – 19, 8 : Ἀδελφὸς ἦν Τίτῳ Λεύκιος Φλαμινῖνος, οὔτε τὰ ἄλλα προςεοικὼς ἐκείνῳ τὴν φύσιν, ἔν τε ταῖς ἡδοναῖς ἀνελεύθερος δεινῶς καὶ ὀλιγωρότατος τοῦ πρέποντος. Τούτῳ συνῆν μειρακίσκος ἐρώμενος, ὃν καὶ στρατιᾶς ἄρχων ἐπήγετο, καὶ διέπων ἐπαρχίαν εἶχεν ἀεὶ περὶ αὑτόν. Ἐν οὖν πότῳ τινὶ θρυπτόμενος πρὸς τὸν Λεύκιον, οὕτως ἔφη σφόδρα φιλεῖν αὐτόν, ὥστε θέαν μονομάχων ἀπολιπεῖν, οὔπω γεγονὼς ἀνθρώπου φονευομένου θεατής, τὸ πρὸς ἐκεῖνον ἡδὺ τοῦ πρὸς αὑτὸν ἐν πλείονι λόγῳ θέμενος. Ὁ δὲ Λεύκιος ἡσθείς, “οὐδὲν” ἔφη “δεινόν· ἰάσομαι γὰρ ἐγώ σου τὴν ἐπιθυμίαν,” καὶ κελεύσας ἕνα τῶν καταδίκων ἐκ τοῦ δεσμωτηρίου προαχθῆναι, καὶ τὸν ὑπηρέτην μεταπεμψάμενος, ἐν τῷ συμποσίῳ προσέταξεν ἀποκόψαι τοῦ ἀνθρώπου τὸν τράχηλον. Οὐαλέριος δ’ Ἀντίας οὐκ ἐρωμένῳ φησίν, ἀλλ’ ἐρωμένῃ τοῦτο χαρίσασθαι τὸν Λεύκιον. Ό δὲ Λίβιος ἐν λόγῳ Κάτωνος αὐτοῦ γεγράφθαι φησίν, ὡς Γαλάτην αὐτόμολον ἐλθόντα μετὰ παίδων καὶ γυναικὸς ἐπὶ τὰς θύρας δεξάμενος εἰς τὸ συμπόσιον ὁ Λεύκιος ἀπέκτεινεν ἰδίᾳ χειρί, τῷ ἐρωμένῳ χαριζόμενος. Τοῦτο μὲν οὖν εἰκὸς εἰς δείνωσιν εἰρῆσθαι τῆς κατηγορίας ὑπὸ τοῦ Κάτωνος· ὅτι δ’ οὐκ αὐτόμολος ἦν, ἀλλὰ δεσμώτης ὁ ἀναιρεθεὶς καὶ ἐκ τῶν καταδίκων, ἄλλοι τε πολλοὶ καὶ Κικέρων ὁ ῥήτωρ ἐν τῷ περὶ γήρως, αὐτῷ Κάτωνι τὴν διήγησιν ἀναθείς, εἴρηκεν.


Ἐπὶ τούτῳ Κάτων τιμητὴς γενόμενος καὶ καθαίρων τὴν σύγκλητον, ἀπήλασε τῆς βουλῆς τὸν Λεύκιον, ὑπατικοῦ μὲν ἀξιώματος ὄντα, συνατιμοῦσθαι δὲ τοῦ ἀδελφοῦ δοκοῦντος αὐτῷ. Διὸ καὶ προελθόντες εἰς τὸν δῆμον ἀμφότεροι ταπεινοὶ καὶ δεδακρυμένοι, μέτρια δεῖσθαι τῶν πολιτῶν ἐδόκουν, ἀξιοῦντες αἰτίαν εἰπεῖν τὸν Κάτωνα καὶ λόγον, ᾧ χρησάμενος οἶκον ἔνδοξον ἀτιμίᾳ τοσαύτῃ περιβέβληκεν. Οὐδὲν οὖν ὑποστειλάμενος ὁ Κάτων προῆλθε, καὶ καταστὰς μετὰ τοῦ συνάρχοντος ἠρώτησε τὸν Τίτον εἰ γινώσκει τὸ συμπόσιον. Ἀρνουμένου δ’ ἐκείνου, διηγησάμενος εἰς ὁρισμὸν προεκαλεῖτο τὸν Λεύκιον, εἴ τί φησι τῶν εἰρημένων μὴ ἀληθὲς εἶναι. Τοῦ δὲ Λευκίου σιωπήσαντος, ὁ μὲν δῆμος ἔγνω δικαίαν γεγονέναι τὴν ἀτιμίαν, καὶ τὸν Κάτωνα προέπεμψε λαμπρῶς ἀπὸ τοῦ βήματος.


Il avait un frère, Lucius Flamininus, qui ne lui ressemblait en rien pour le caractère et qui se livrait aux plaisirs les plus grossiers, sans s’inquiéter de la bienséance. Ce Lucius vivait avec un jeune garçon qu’il aimait, qu’il emmenait avec lui dans ses expéditions militaires et qu’il gardait toujours à ses côtés quand il administrait les provinces. Or un jour, dans un banquet, ce jeune garçon, voulant flatter Lucius, lui dit qu’il l’aimait au point d’avoir manqué pour le rejoindre un combat de gladiateurs, bien qu’il n’eût jamais vu égorger un homme et qu’il avait ainsi préféré faire plaisir à Lucius plutôt qu’à lui-même. Lucius, ravi, lui répondit : « Ce n’est pas une grande affaire, et je me charge de satisfaire ton désir ». Alors il fit amener de la prison un des condamnés et appela le licteur, à qui il ordonna de lui trancher le cou dans la salle du banquet. Valerius d’Antium prétend que ce ne fut pas pour un mignon, mais pour une courtisane, qu’il eut cette complaisance. Tite-Live dit avoir lu dans un discours de Caton qu’un transfuge gaulois se présenta avec ses enfants et sa femme à la porte de la salle du banquet, que Lucius le fit entrer et le tua de sa propre main pour faire plaisir à son mignon. Il est vraisemblable que Caton a dit cela pour aggraver l’accusation. La victime n’était pas un transfuge, mais un prisonnier, au nombre des condamnés à mort : c’est ce qu’affirment plusieurs auteurs, et notamment l’orateur Cicéron dans son écrit Sur la vieillesse, où il a placé ce récit dans la bouche de Caton lui-même.


Sur ces entrefaites, Caton devenu lui-même censeur, et procédant à l’épuration du Sénat, en chassa Lucius, malgré sa dignité de consulaire, et bien que cette dégradation parût atteindre son frère. Aussi se présentèrent-ils tous les deux humbles et en larmes, devant l’assemblée du peuple ; leur demande parut raisonnable ; ils souhaitaient que Caton expliquât la cause et la raison pour laquelle il infligeait une telle dégradation à une illustre maison. Caton n’hésita pas ; il parut devant le peuple et, prenant place près de son collègue, il demanda à Titus s’il connaissait la scène du banquet. Sur sa réponse négative, il raconta le fait et il proposa à Lucius un engagement pécuniaire s’il trouvait quelque fausseté dans son récit, Lucius gardant le silence, le peuple reconnut que la dégradation était juste et il fit à Caton descendu de la tribune un brillant cortège. Titus, très affecté par le malheur de son frère, fit cause commune avec ceux qui de longue date haïssaient Caton […] un jour que le peuple assistait à un spectacle au théâtre et que les sénateurs avaient pris place, comme de coutume, aux premiers rangs, on vit Lucius, honteux et humilié, assis à l’une des dernières places. La foule, prise de pitié, n’en put supporter la vue et lui cria de changer de place, jusqu’à ce qu’il se rendît aux premiers rangs parmi les consulaires, qui le reçurent parmi eux (trad. R. Flacelière et E. Chambry, CUF).


 


Vir. Ill., 47, 4 : Censor L. Flaminium consularem senatu mouit, quod ille in Gallia ad cuiusdam scorti spectaculum eiectum quendam e carcere in conuiuio iugulari iussisset.


Censeur, [Caton] chassa du Sénat le consulaire L. Flaminius, parce que celui-ci, en Gaule, avait offert en spectacle à un objet de prostitution la mort d’un homme qu’on avait tiré de prison pour l’égorger en plein banquet (trad. P.‑M. Martin, CUF).

Notice
Notice

L. Quinctius Flamininus, un temps considéré comme le frère aîné en raison de son augurat dès 213[1], serait en réalité le cadet selon E. Badian qui avance des arguments convaincants comme le fait qu’il porte le prénom du grand-père, la cohérence de sa carrière et les longues années au service de son frère Titus[2]. Né vers 230, son père était T. Quinctius Flamininus[3], inconnu par ailleurs, et son grand-père peut-être L. Quinctius Flamininus[4] qui aurait été flamen Dialis.


Les sources ne mentionnent comme début de carrière, outre l’augurat, que l’édilité curule qu’il revêtit en 201[5]. En 199 il était préteur urbain[6] et suit comme légat de 198 à 194 son frère dans sa campagne en Grèce[7]. Rentré à Rome, il devint consul en 192 et mena des opérations militaires en Gaule contre les Ligures et les Boïens[8]. Lucius avait donc accompli une belle carrière, bien que dans l’ombre de son frère, le célèbre « libérateur des Grecs », lorsque les censeurs de 184[9], à l’initiative de Caton, l’exclurent du Sénat[10].


Les termes employés dans les différents récits ne laissent aucun doute : eicere et notare chez Cicéron, senatu mouere et nota chez Tite-Live et son abréviateur, e numero senatorum sustulit et senatu mouere chez Valère Maxime, ἐξέβαλε δὲ τῆς βουλῆς ainsi que ἀπήλασε τῆς βουλῆς et ἐκβληθέντος τῆς βουλῆς chez Plutarque et enfin senatu mouere chez l’auteur du De Viris Illustribus. Lucius, bien que consulaire et membre d’un groupe très influent dirigé par son frère, fut bel et bien rayé de l’album sénatorial par Flaccus et Caton.


La dégradation surprit l’opinion et choqua notamment les parents et amis de Lucius, en premier lieu son frère. Titus ressentait cette exclusion comme un affront dirigé également contre lui[11], entre autres parce qu’il avait été censeur cinq années auparavant[12] et n’avait pas jugé bon de blâmer son frère[13]. Aussi soutint-il Lucius et utilisa vraisemblablement toute son influence mais en faisant preuve d’humilité pour que fût réunie une contio où ils pourraient obtenir des éclaircissements[14]. Comme les censeurs ne convoquaient pas individuellement les sénateurs lors de la lectio senatus, à moins que les censeurs n’expliquent leurs décisions à l’issue de la recitatio, les motifs ne devaient être connus que si on s’adressait à eux à ce moment ou que l’on attendait le dépôt des registres sur lesquels figuraient les notae[15]. Comme le soulignait E. M. Carawan, le blâme ne pouvait pas être supprimé à l’issue de cette contio, mais la culpabilité et donc l’humiliation pouvaient être fortement amoindries, ouvrant la voie à la réhabilitation au prochain cens[16]. Nous le suivons également lorsqu’il suppose que la contio avait été ouverte à la demande de Titus, membre très influent de l’aristocratie, et non par Caton pour humilier davantage Lucius ou pour éteindre les récriminations nées de la recitatio[17]. La demande de comptes au censeur n’était pas interdite par la loi, elle était même possible peu avant la clôture pour l’ensemble des actions entreprises au cours de la censure, mais rien n’interdisait à des hommes puissants de le faire plus tôt au moyen d’une contio[18]. Cela était simplement risqué car les censeurs pouvaient divulguer des informations méconnues du public justifiant le blâme et ainsi accroître l’humiliation. En protestant, la victime attirait l’attention sur elle et risquait par là de diffuser plus largement son déshonneur si il était avéré. Dans le cas de Lucius, l’exclusion d’un consulaire, qui plus est du frère du fameux Titus Flamininus, créait déjà un scandale suffisant. Si le risque de diffusion était donc moindre, en revanche les arguments de Caton pourraient briser les proclamations d’innocence des deux frères, réduisant à néant les espoirs d’une révision de son cas par la prochaine paire de censeurs. En ce sens la manœuvre était périlleuse.


Nous avons conservé plusieurs versions des raisons invoquées par Caton pour exclure Lucius du Sénat. Tite-Live nous apprend que le censeur avait cité plusieurs motifs pour étayer son action mais qu’il avait mis surtout en avant la faute de Lucius qui devait le plus choquer l’opinion[19]. L’historien en rapporte la version la plus ignominieuse[20] et affirme s’être servi du discours même de Caton pour l’établir[21]. D’après celle-ci, lors de son consulat en Gaule[22], Lucius aurait tué de sa propre main un déserteur gaulois venu implorer la fides du peuple romain pour plaire à un mignon nommé Philippe le Punique[23] qui regrettait de n’avoir pas pu assister à des jeux de gladiateurs.


Mais à la suite de cette première version, Tite-Live nous transmet celle de Valerius Antias dont l’œuvre est aujourd’hui perdue. Cette variante, suivie par Cicéron, Valère Maxime et l’auteur du De Viris Illustribus[24], semble avoir été l’histoire la plus répandue[25] malgré le mépris que manifeste Tite-Live envers les recherches d’Antias. Cette fois, Lucius aurait voulu satisfaire les désirs d’une courtisane et aurait fait mettre à mort un condamné à mort au cours d’un banquet.


Enfin, Plutarque nous livre à deux reprises, dans la vie de Caton et dans celle de Flamininus[26], une dernière version mêlant les deux précédentes bien qu’il eût connaissance de la version d’Antias et de Tite-Live[27]. Pour le biographe grec, Lucius aurait fait exécuter un condamné à mort pour plaire à son mignon.


Nous constatons donc trois éléments suscitant des divergences dans ces récits. Tout d’abord le sexe de la personne à qui Lucius voulait plaire : mignon ou courtisane ? Ensuite le statut de la victime de cet épisode : transfuge gaulois ou condamné à mort ? Enfin l’auteur de la mise à mort : Lucius lui-même ou un tiers (sans doute un licteur) ? Plutarque, déjà, indiquait contre la version de Tite-Live que la victime était un condamné à mort et que Caton avait voulu ainsi « aggraver l’accusation »[28]. Une polémique existait donc très tôt à ce sujet, en témoignent les paroles dures de Tite-Live contre Antias, et cela d’autant plus que l’épisode devait servir d’exemple dans les écoles de rhétorique[29]. Celle-ci se poursuit encore aujourd’hui puisque l’étude d’E. M. Carawan n’a pas convaincu J. Briscoe dans son très récent commentaire des livres 38-40 de Tite-Live[30]. E. M. Carawan était arrivé à la conclusion que la version de Plutarque était sans doute la meilleure car elle s’appuyait sur des sources diverses, en particulier Cornelius Nepos, tandis que Tite-Live aurait été abusé par un discours que Caton aurait recomposé et déformé longtemps après sa censure[31]. Selon lui, Cicéron, qui se vantait d’avoir lu 150 discours de Caton dans le Brutus, rédigé un an plus tôt, serait passé à côté du discours contre Flamininus parce que le corpus des discours de Caton prenait alors forme et que celui auquel fait référence Tite-Live aurait été découvert peu auparavant. Cela expliquerait l’orgueil que l’historien padouan manifeste d’avoir trouvé, peut-être lui-même[32], la meilleure source[33]. J. Briscoe, plus prudent, ne pense pas que le discours de Caton ait été écrit tardivement par Caton et il ne choisit finalement aucune version[34]. Toutefois la théorie d’E. M. Carawan s’appuie sur les doutes de Plutarque envers la version livienne, peut-être abusée par l’auteur, tout en ne suivant pas entièrement le récit d’Antias, qui reste un historien considéré comme peu fiable[35]. Enfin, notons que Tite-Live est le seul à donner le nom du mignon de Lucius : Philippe le Punique. Ce nom, sans doute inventé, faisait référence à la fois à Philippe V de Macédoine que Titus avait vaincu et qui symbolisait la dangereuse culture grecque aux yeux de Caton, et à Carthage, ennemi terrible de Rome, réputé pour sa mauvaise foi[36]. Ce nom est trop lourd de connotations pour être considéré comme vraisemblable et il fournit un indice contre la version livienne. Ainsi, s’il est impossible de proposer une conclusion définitive, nous trouvons toutefois plus séduisante l’hypothèse élaborée par E. M. Carawan en faveur de la version de Plutarque.


Néanmoins toutes les versions tournent autour du même thème : l’exécution d’un homme pour le plaisir d’un scortum[37]. L’humble condition du scortum est humiliante pour Lucius, que ce soit une courtisane ou un mignon, cette dernière possibilité étant pire aux yeux de vieux Romains hostiles à la pédérastie considérée comme due à la mauvaise influence grecque[38]. Dans le récit livien, la faute est aggravée d’une part parce que Lucius procède lui-même à l’exécution, souillant ainsi sa magistrature et l’espace du banquet, et d’autre part parce qu’il s’agit d’un gaulois implorant la fides Romana. Lucius ajoute donc à l’abus de l’imperium, considéré comme la principale faute, la violation de la fides et la cruauté. Cependant tout tourne autour de la libido de Lucius[39], comme le remarquait déjà Cicéron, et de l’abus de l’imperium pour satisfaire une passion honteuse[40]. Si l’accusation de Caton était véridique, Lucius avait réellement souillé le nom romain et s’était comporté d’une manière indigne d’un magistrat. Il avait détourné l’imperium pour son plaisir et offert un piètre exemple dans son propre camp pour la discipline militaire.


Face aux réclamations des frères Flamininii, Caton vint s’expliquer dans une contio et dévoila toute l’affaire. À la fin de son discours, il proposa à Lucius une sponsio, sorte de défi judiciaire[41]. Le silence de Lucius fut interprété dès l’Antiquité comme la preuve de sa culpabilité : Tite-Live et Plutarque, qui mentionnent tous les deux la sponsio[42], arrivent à cette même conclusion[43]. Seul J. Briscoe émit l’hypothèse que ce silence pouvait avoir d’autres causes comme la difficulté de trouver des témoins pour une affaire qui avait eu lieu huit ans plus tôt ou un iudex pour juger un cas impliquant de si hauts personnages, ou encore le refus de croire que Caton était sérieux en proposant une sponsio ce qui pouvait apparaître comme inapproprié[44]. Or nous apprenons de Valère Maxime et de Plutarque, dont la source est certainement Antias, que peu après, lors d’un spectacle au théâtre, le peuple, ému de voir Lucius exclu de l’orchestre, réclama à grands cris qu’il retrouvât sa place parmi les sénateurs[45]. Valère Maxime supposait que le peuple avait été pris de pitié par la déchéance d’un tel homme et surtout qu’il voulait honorer son frère. Le récit de Plutarque est plus surprenant puisqu’il présente cette action du public comme un adoucissement de la sanction des censeurs alors même qu’il vient d’affirmer que le peuple avait été convaincu de la culpabilité de Lucius par son refus de relever le défi de la sponsio. Que le peuple ait souhaité ménagé Titus, qui jouissait alors d’un prestige considérable et qui était profondément affligé du malheur de son frère, est fort probable. J. Briscoe a cependant raison de suggérer qu’il est peu vraisemblable que le peuple ait manifesté un tel désir s’il croyait Lucius coupable[46], si toutefois l’épisode du théâtre est véridique et n’est pas une invention d’Antias ou issue d’une tradition favorable aux Flamininii.


Selon Plutarque, l’exclusion de son frère incita Titus Flamininus à rejoindre les opposants à Caton[47] et nous voyons une fois de plus combien la censure créait ou aggravait les inimitiés. À la suite de cette affaire, Lucius n’apparaît plus dans nos sources en dehors de la mention de sa mort en 170[48].


Pour conclure, en 184, Caton exclut du Sénat Lucius Quinctius Flamininus, consulaire et frère du « libérateur des Grecs », parce qu’il avait osé faire exécuter un condamné à mort en plein banquet pour plaire à son mignon ou à une courtisane. Lors d’une contio réclamée par Titus Flamininus, Caton avait mis au défi Lucius de nier cette déclaration, qui le faisait apparaître comme indigne du Sénat par son abus de l’imperium et son intempérance, mais ce dernier recula. Peut-être que le peuple, peu convaincu par Caton et voulant consoler Titus, adoucit la sanction en obligeant Lucius à retrouver l’orchestre lors d’un spectacle au théâtre.


Malgré le scandale, les descendants des Flamininii firent de belles carrières. Titus Quinctius Flamininus[49], fils de Lucius ou de Titus selon H. Gundel et P. Nadig[50], devint consul en 150[51] et son propre fils, Titus Quinctius Flamininus[52], fut consul en 123[53]. S’il s’agissait effectivement des descendants de Lucius, alors le blâme infligé par Caton ne semble pas avoir eu de répercussions néfastes. Cependant, le fait que ces deux hommes se prénomment Titus laisse plutôt supposer qu’ils descendaient de Titus Flamininus[54], le vainqueur de la Macédoine, et qu’ils bénéficièrent de la gloire familiale pour mener leur carrière. Si le consul de 150 était bien le fils de Titus, alors Lucius n’aurait apparemment pas nui à sa carrière et nous n’aurions dans ce cas aucune information sur les éventuels descendants de Lucius sans que l’on puisse attribuer cela à une absence de carrière causée par l’humiliation subie en 184.






[1] Rüpke 2005, 1, p. 70.


[2] Badian 1971, en particulier p. 108 pour le stemma des Quinctii et les p. 110-111 sur Lucius.


[3] H. Gundel, RE, 24, 1963, col. 1047, n° 44 s. v. Quinctius.


[4] H. Gundel, RE, 24, 1963, col. 1039-1040, n° 42 s. v. Quinctius.


[5] MRR, 1, p. 320.


[6] MRR, 1, p. 327.


[7] MRR, 1, p. 332, 334, 342 et 345.


[8] MRR, 1, p. 350.


[9] MRR, 1, p. 374-375 et Suolahti 1963, p. 348-358.


[10] Cic., C. M., 42 ; Liv., 39, 42, 5-6 et 42, 7 – 43, 5 ; Liv., Perioch., 39, 5-6 ; Val. Max., 2, 9, 3 et 4, 5, 1 ; Sen., Contr., 9, 2, 27 ; Plut., Cat. Ma., 17, 1-6 et Flam., 18, 4 – 19, 8 ; Vir. Ill., 47, 4.


[11] Plut., Cat. Ma., 17, 5.


[12] MRR, 1, p. 360-361 et Suolahti 1963, p. 341-344, n° 120.


[13] Cic. C. M., 42.


[14] Plut., Flam., 19, 2. Voir déjà Gelzer 1969 [1912], p. 124-125.


[15] Fraccaro 1956a [1911], p. 431-432. Cf. Bur 2018, chapitres 3.3 et 4.5-6.


[16] Carawan 1989-1990, p. 323.


[17] Carawan 1989-1990, p. 323-324.


[18] Fraccaro 1956a [1911], p. 431-432.


[19] Liv., 39, 42, 8 : inter cetera.


[20] Liv., 39, 42, 8-12.


[21] Liv., 39, 43, 1. Nous avons conservé quelques fragments de ce discours : Malcovati, ORF4, frg. 69-71 ; Sblendorio Cugusi 1982, frg 54‑56, p. 78-79 et le commentaire p. 224-229 ; Cugusi et Sblendorio Cugusi 2001, discours 13, frg. 54-56, p. 288-291. M. T. Sblendorio Cugusi croit plutôt que le discours de Caton eut lieu au Sénat et que Plutarque, par effet dramatique, fit du peuple la « cassa di risonanza » du scandale. Carawan 1989-1990, p. 325-327 pense que l’historien consulta des versions remaniées des discours. Contra Briscoe 2008, p. 359 suppose qu’il s’agissait du discours authentique.


[22] Toutes les versions situent toutefois l’incident lors de la campagne en Gaule menée par Lucius lors de son consulat en 192. Le cadre en serait donné par Liv., 35, 21, 7 – 22, 4 : cf. Carawan 1989-1990, p. 318 n. 5.


[23] On a rapporté Cato, In L. Quinctium Flamininum, frg. 55 Cugusi (ap. Isid., diff. verb., 1, 113) à cet épisode en raison du nom Philippe. En outre, la mise en garde contre la passion conviendrait également.


[24] Liv., 39, 43, 1-3 ; Cic., C. M., 42 ; Val. Max., 2, 9, 3 ; Vir. Ill., 47, 4. On retrouverait également cette variante chez Sen. Rhet., Contr., 9, 2, 27.


[25] Fraccaro 1956a [1911], p. 429-430.


[26] Plut., Cat. Ma., 17, 2-4 ; Flam., 18, 5-7


[27] Plut., Cat. Ma., 17, 5 ; Flam., 18, 8 pour Antias et 9 pour Tite-Live.


[28] Plut., Flam., 18, 10.


[29] Carawan 1989-1990, p. 322.


[30] Sur les premiers débats, nous renvoyons à Carawan 1989-1990, p. 316 avec la bibliographie.


[31] Fraccaro 1956a [1911], p. 430 ; Carawan 1989-1990, p. 319-320.


[32] Suerbaum 1993, p. 98.


[33] Carawan 1989-1990, p. 325-329.


[34] Briscoe 2008, p. 359. Fraccaro 1956a [1911], p. 425-432 ne concluait pas non plus en faveur de l’une ou l’autre version.


[35] Chassignet 2004, p. LXXV. Voir aussi Wiseman 1979, p. 32-33.


[36] Carawan 1989-1990, p. 321, en particulier n. 15.


[37] Ce terme, neutre, est employé par Cicéron et l’auteur du De Viris Illustribus, et, bien que Münzer 1905, p. 73-75 considère que cela désigne généralement une femme, il s’avère ici utile puisqu’il évite de trancher entre les deux possibilités. Peut-être nos deux auteurs y avaient-ils déjà recouru pour cela.


[38] Toutefois Cantarella 1991 [1988], p. 151 insiste bien sur le fait que « Lucius Flaminius [sic] n’avait pas été puni pour son homosexualité : sa faute avait été de tuer un homme sans respecter les règles qui présidaient aux exécutions. Sa relation avec Philippe, en soi, ne suscitait aucun scandale ».


[39] Cato, In L. Quinctium Flamininum, frg. 55 Cugusi en est un autre indice. Ce fragment a été attribué au discours contre Flamininus à partir du nom Philippe qui est, d’après dans le récit livien, le nom du mignon.


[40] Mommsen 1889-1896, 4, p. 57 n. 1 classe cette histoire au sein de « la catégorie des abus de l’imperium, en exerçant arbitrairement le pouvoir de vie et de mort qui lui est conféré ». Willems 1885, 1, p. 298 en faisait simplement un acte de cruauté et de débauche.


[41] Crook 1976 et Lintott 1981, p. 171.


[42] Carawan 1989-1990, p. 320 suppose que Cornelius Nepos est à l’origine de cette information et que Tite-Live y aurait recouru pour contrôler la version d’Antias tandis que Plutarque l’utilisa fréquemment dans sa biographie de Caton.


[43] Liv., 39, 43, 5 ; Plut., Flam., 19, 4-5.


[44] Briscoe 2008, p. 359.


[45] Val. Max., 4, 5, 1 ; Plut., Cat. Ma., 17, 6 et Flam., 19, 8.


[46] Briscoe 2008, loc. cit.


[47] Plut., Flam., 19, 6-7.


[48] Liv., 43, 11, 13.


[49] H. Gundel, RE, 24, 1963, col. 1100, n° 46 s. v. Quinctius ; P. Nadig, Neue Pauly, 10, 2001, col. 711, [I 15].


[50] H. Gundel, RE, 24, 1963, col. 1047, n° 43 s. v. Quinctius et P. Nadig, loc. cit.


[51] MRR, 1, p. 456.


[52] H. Gundel, RE, 24, 1963, col. 1100, n° 47 s. v. Quinctius ; P. Nadig, Neue Pauly, 10, 2001, col. 711, [I 16].


[53] MRR, 1, p. 512-513.


[54] C’est l’opinion que suit finalement H. Gundel, loc. cit.

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