Infames Romani

Témoin bâilleur

Numéro
77
Identité
Catégorie
Procédures censoriales
Sous catégorie
Aerarium facere et/ou tribu mouere
Date de l'épisode
-142
Références prosopographiques

Attention ! L'épisode eut lieu avant 142 av. J.C.

Source
Source

Gell., 4, 20, 8-10 : Deliberatum est de nota eius, qui ad censores ab amico aduocatus est et in iure stans clare nimis et sonore oscitauit atque inibi ut plecteretur fuit, tamquam illud indicium esset uagi animi et alucinantis et fluxae atque apertae securitatis. Sed cum ille deiurasset inuitissimum sese ac repugnantem oscitatione uictum tenerique eo uitio, quod « oscedo » appellatur, tum notae iam destinatae exemptus est. Publius Scipio Africanus, Pauli filius, utramque historiam posuit in oratione, quam dixit in censura, cum ad maiorum mores populum hortaretur.


On débattit de la nota de quelqu’un qui avait été appelé par un ami comme conseil auprès des censeurs et qui, debout au tribunal, bailla trop ostensiblement et bruyamment, s’exposant à une sanction pour avoir fait montre d’un esprit incapable de se fixer rêveur, d’une insouciance inconsistante et désinvolte. Mais il fut dispensé de la nota déjà décidée, lorsqu’il eut juré que c’était malgré lui et en dépit de ses efforts, qu’il avait baillé, étant atteint de la maladie qu’on appelle oscedo (fièvre oscitante). Publius Scipio l’Africain, fils de Paul-Émile, a inséré les deux histoires dans le discours qu’il a prononcé lors de sa censure en exhortant le peuple à revenir aux mœurs de ses ancêtres (trad. R. Marache, CUF, modifiée).

Notice
Notice

L’épisode ne nous a été transmis que par Aulu-Gelle qui l’utilise comme exemple de la sévérité des censeurs et qui le tire d’un discours de Scipion Émilien. Non seulement les protagonistes ne sont pas nommés, mais leur statut n’est pas même mentionné. En revanche, l’exemple ayant été utilisé par Scipion Émilien lors de sa censure, nous en déduisons que notre épisode date d’avant 142. En raison de l'admiration de Scipion Émilien pour Caton l'Ancien (Cic., Rep. 2, 1), il est possible que l'anecdote se situe lors de la censure de ce dernier, en 184.


Aulu-Gelle rapporte simplement qu’un citoyen appela un ami afin de lui servir d’aduocatus dans sa comparution devant les censeurs. Le terme est ambigu[1], mais associé à l’expression in iure, il désigne certainement l’assistant dans un procès, une sorte de témoin de moralité. On a parfois voulu y voir une allusion au procès censorial lors du regimen morum mais nous avons montré qu’il s’agissait plutôt d’une controverse dans les adjudications ou dans la gestion de l’espace public[2]. Bien qu’en dehors du regimen morum, la situation était délicate parce que les censeurs étaient soucieux du respect de leur majesté et la conduite de notre personnage doit s’interpréter dans ce contexte[3]. En effet, les censeurs voulurent le noter parce qu’il bâilla trop ostensiblement[4]. Le débat mentionné par Aulu-Gelle pourrait signaler la comparution devant les censeurs : d’avocat il devenait accusé dans le cadre du regimen morum cette fois[5]. C’est sans doute pour cela que le texte précise qu’il dut jurer qu’il était frappé d’une maladie dont les bâillements étaient une conséquence malheureuse, puisque les paroles prononcées devant les censeurs étaient solennelles. Il réussit à s’en sortir indemne car les censeurs acceptèrent son excuse. T. Mommsen a considéré que le motif du blâme rentrait dans la catégorie des conduites irrespectueuses envers un magistrat, motif ici aggravé puisque c’était envers les censeurs[6]. Cependant, en bâillant, notre personnage affichait plus qu’une absence de diligentia, son désintérêt même pour une question pour laquelle son amicus l’avait choisi comme aduocatus. Par là, il révélait le peu d’importance que revêtait pour lui non seulement le devoir d’amitié mais aussi le travail des censeurs. Il apparaissait dès lors comme un citoyen non impliqué dans la vie de la communauté, détaché des principes et des règles qui guidaient la vie publique et à ce titre méritait, selon les censeurs, d’être dégradé pour rejoindre les rangs des sous-citoyens qui ne comptaient que comme contribuables[7].






[1] R. Marache dans sa traduction optait pour « témoin ». Kunkel et Wittmann 1995, p. 407 rappelle les deux sens possibles.


[2] Cf. Bur 2018, chapitre 3.1.2.


[3] Cf. notice n° 76.


[4] Ne connaissant pas son statut, nous ne pouvons déterminer quel blâme risquait notre homme : exclusion du Sénat ? de l’ordre équestre ? changement de tribu et relégation parmi les aerarii ? La tonalité de l’épisode rend difficile selon nous d’en faire un sénateur, mais il nous paraît impossible d’aller plus loin.


[5] Cf. Bur 2018, chapitre 3.2.


[6] Mommsen 1889-1896, 4, p. 56.


[7] Sur le tribus motus et aerarium facere, voir Bur 2016 et 2018, chapitre 4.4.

Bibliographie
Bibliographie

Bur 2016 : Bur C., « Les censeurs privaient-ils du droit de vote ? Retour sur l’aerarium facere et le tribu mouere », MEFRA, 2016, 128-2.


Bur 2018 : Bur C., La Citoyenneté dégradée : une histoire de l’infamie à Rome (312 avant J.-C. – 96 après J.-C.), Rome, 2018.


Kunkel et Wittmann 1995 : Kunkel W. et Wittmann R., Staatsordnung und Staatspraxis der römischen Republik, 2, Die Magistratur, Munich, 1995.


Mommsen 1889-1896 : Mommsen T., Le Droit public romain, Paris, 1889-1896 (8 vol.).


Clément Bur, Infames Romani n°77, Albi, INU Champollion, Pool Corpus, 2018, mis à jour le